Pour répondre aux recommandations du Comité consultatif national d’éthique qui ouvre la voie à « une aide active à mourir, à certaines conditions strictes avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger » (CCNE, avis n° 192), Macron a créé en septembre dernier une Convention citoyenne sur la fin de vie. Depuis décembre, elle réunit 180 citoyenEs qui doivent rendre leurs conclusions le 19 mars prochain. « Suicide assisté » ou « euthanasie » ? Sous quelles conditions ? Et pour qui ? Toutes ces questions sont encore en suspens après qu’une majorité de la convention s’est prononcée pour une « aide active à mourir » le 19 février.
Les progrès de la médecine et des techniques biomédicales ont modifié radicalement les conditions de la mort, en prolongeant la durée de vie de malades lourdement atteints. Les techniques de la réanimation permettent aujourd’hui le maintien en vie de personnes mourantes ou en phase terminale de maladie grave et incurable, dans des conditions artificielles. L’acharnement thérapeutique en est la conséquence caricaturale.
Vivre et mourir dans la dignité
La modification des modes de vie limite les capacités de solidarité familiale, tandis que le poids budgétaire de la prise en charge de personnes âgées dépendantes, au niveau collectif et familial, s’accroît. Cette charge est souvent intériorisée par les personnes qui se vivent comme un fardeau et qui doivent se battre contre la douleur, contre l’angoisse, et souvent contre l’isolement social en institution.
La crise des structures hospitalières et la détérioration des institutions pour personne âgées (Ehpad), le manque de personnel, la faible participation des patientEs et de leurs proches aux décisions qui les concernent, l’isolement (l’abandon) des personnes âgées contribuent à dégrader un peu plus les conditions de la fin de vie. Tout cela renforce la frustration, l’inquiétude face à la mort, la peur de souffrir et de mourir seul.
La revendication qui résume les attentes exprimées est celle de mourir dans la dignité. Celle-ci, inhérente à tout être humain, est le fondement de ses droits : l’esclavage, l’exploitation, la torture, toutes les formes de racisme ou de discrimination sont des atteintes à cette dignité fondamentale que ni la misère, ni la maladie, ni le handicap physique ou psychique ne peuvent annuler. Dans les situations de fin de vie, c’est ce principe qui n’est plus respecté.
Une législation au service de la médicalisation de la fin de vie
Depuis la fin des années 1990, les dispositifs législatifs ont peu à peu évolué pour répondre à ces situations critiques.
En garantissant tout d’abord le droit à l’accès aux soins palliatifs à toute personne dont l’état le requiert (loi du 24 juin 1999) ; en instituant le droit au refus de traitement et celui de désigner une personne de confiance qui représente le malade dans les situations où il ne peut plus s’exprimer (loi du 4 mars 2002).
Plusieurs situations difficiles de fin de vie vont conduire à deux nouvelles lois : celle du 22 avril 2005 introduit l’interdiction de l’obstination déraisonnable et rend possible la rédaction de directives anticipées qui permettent à la personne de faire connaître sa position sur les soins souhaités ; elle met en place une procédure collégiale de décision (loi Leonetti). Celle du 2 février 2016 renforce la place de la personne de confiance et le rôle des directives anticipées qui deviennent contraignantes ; elle ouvre l’accès à une sédation profonde et continue, maintenue jusqu’au décès, dite sédation terminale (loi Claeys-Leonetti).
Ces différents textes de loi ont contribué à gommer les aspects les plus critiquables de l’exercice technique de la médecine (acharnement thérapeutique). Ils ont amélioré la prise en compte des malades (personne de confiance, directives anticipées). La création des soins palliatifs a tenté de briser la solitude du mourant, d’améliorer le soulagement de la douleur et les conditions d’accueil des mourants. Mais ces différents textes ont renforcé la médicalisation de la fin de vie, laissant aux équipes médicales toute latitude pour en gérer les étapes, jusqu’à la mort.
L’aide active à mourir en question
En accédant au rang de discipline médicale, la filière palliative est devenue un instrument parmi d’autres du pouvoir des médecins, au détriment de celui des personnes mourantes et de leurs proches.
Les procédures collégiales de prise de décision négligent les personnes de confiance, et les directives anticipées rédigées par les malades sont rares.
L’interdiction de l’obstination déraisonnable autorise la suspension ou l’arrêt des traitements inutiles et disproportionnés pour des personnes dont la qualité de vie est devenue trop précaire. C’est le médecin qui prend la décision finale.
La sédation terminale, dont la maîtrise revient au médecin référent à l’issue d’une procédure collégiale, est une mort lente, inconsciente et solitaire. C’est une forme d’euthanasie qui ne dit pas son nom. Une fois sédaté et inconscient le malade ne se réveille plus !
Une loi sur l’aide active à mourir légalisant l’euthanasie et le suicide assisté renforcerait ce rôle médical. De quoi s’agit-il ? Le suicide assisté « consiste à donner les moyens à une personne de se suicider » ; l’euthanasie « permet de mettre délibérément fin à la vie d’une personne, à sa demande ».
Dans le cas de l’assistance au suicide, l’aide à la personne qui déclenche le dispositif létal peut être apportée par un proche, un soignant. Le rôle du médecin est limité à la prescription des produits nécessaires. En cas d’euthanasie, le médecin et l’équipe soignante prescrivent et administrent le produit à la personne qui le demande.
Bien sûr on ne peut pas écarter les demandes persistantes de mort de personnes en phase avancée ou terminale d’une maladie grave et incurable. Dans ces situations critiques, plus que l’euthanasie soumise à la décision médicale, l’assistance au suicide pourrait être un dernier recours acceptable, puisqu’elle laisse toute sa place à la décision active de la personne. Ces situations devraient pourtant rester exceptionnelles.
Renforcement du thanatopouvoir
Faire du suicide assisté, de l’euthanasie un « droit » peut être lu comme un renforcement du pouvoir de l’État, et de la médecine, comme un thanatopouvoir qui gérerait le passage de la vie à la mort, en édictant des normes du bien-vieillir et du bien-mourir.
Cela ne saurait améliorer significativement les conditions de la fin de vie en France. Dans le contexte actuel de crise inédite du système de santé, cela pourrait contribuer à le dégrader en négligeant les mesures qui rendraient le vieillissement et la mort plus dignes.
L’association permanente du patient et de ses proches aux décisions qui le concerne, son consentement libre, loyal et éclairé, le renforcement d’un accompagnement psychologique et social en institution et à domicile, sont les conditions strictes avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger.
Notre priorité aujourd’hui est de nous battre pour obtenir les conditions d’une fin de vie de qualité pour toutes et tous. Nous devons réfléchir à reconstituer des collectifs qui accompagnent, qui soulagent, qui prennent soin. Ils n’éviteront ni la maladie, ni la souffrance, ni l’angoisse existentielle de la mort, mais ils pourront limiter le « sentiment de mort sociale » qui est la raison la plus forte du désir de mort. Il s’agira de faire vivre dans les situations de maladies incurables, à l’approche de la mort, les perspectives d’émancipation et de solidarité collective que nous défendons.