Publié le Jeudi 4 novembre 2021 à 19h00.

« Arrêtez de vous servir des étudiantes infirmières comme d’une soupape au manque de moyens dans les hôpitaux ! »

Entretien. Olivier Véran a annoncé la semaine dernière la démission de 1 300 étudiantEs infirmierEs entre 2018 et 2021 et a déclaré : « Nous essayons de comprendre ». Aurélie est étudiante infirmière en troisième année et essaie de comprendre ce qu’Olivier Véran ne comprend pas.

Cela se passe comment quand on est étudiante infirmière ?

En fait il faut penser deux aspects : d’un côté nos conditions d’études et de l’autre nos conditions de travail lorsque nous sommes en stage. Et c’est bien simple : ça n’allait pas des deux côtés avant le covid et ça s’est encore aggravé depuis le début de la crise sanitaire.

Du côté de nos études, on alterne des cours prodigués par des médecins qui exigent un niveau de connaissances pointues et nous méprisent, viennent pour quelques heures et ne s’encombrent pas de nos questions, avec des enseignements donnés par d’anciennes IDE [infirmières] n’ayant pas pratiqué depuis plusieurs années, qui nous enseignent le « bon sens » et le « savoir-être ». Le moindre écart est repéré et aussitôt repris : tu arrives en retard en cours ? Tu ne seras jamais une bonne infirmière. Tu oublies un livre à la maison ? Tu oublieras aussi les prescriptions. Tes ongles sont trop longs, tes cheveux mal attachés, tiens-toi mieux sur ta chaise ce n’est pas respectueux. Tu es en permanence surveillée, jugée, notée sur ta capacité à « bien te tenir ».

Cela doit être difficile à vivre, non ?

C’est une forme de pression permanente alors même que l’école est désorganisée au possible : lieux de stage annoncés au dernier moment, suivi pédagogique sporadique, changement de programme de cours le jour même. L’école considère que nous lui devons une disponibilité totale. Et tout est justifié par les conditions de travail actuelles des infirmières : « Mais plus tard vous n’aurez pas connaissance de vos plannings à l’avance » ; « Mais plus tard vous devrez travailler sous la pression » ; « Mais plus tard on va vous demander de vous adapter ». Donc en fait les conditions de travail des infirmières servent à justifier des conditions d’études mauvaises, ces dernières servant ouvertement à nous préparer à de mauvaises conditions de travail. Tant et si bien que lorsque nous serons diplômées nous trouverons normal des choses anormales…

Qu’est-ce qui a changé avec le covid ?

Avec le covid, mon école est restée fermée pendant un an et demi. Nous nous sommes retrouvées isolées chez nous, à recevoir des powerpoint incomplets et remplis d’erreurs, avec des changements de programmes permanents. Les plateformes en ligne se sont multipliées (mon école ne compte pas moins de cinq espaces numériques de travail différents). Les camarades de l’éducation nationale ou de l’enseignement supérieur en ont beaucoup parlé mais l’enseignement en ligne ce n’est pas la même chose qu’en présentiel. Dans ce contexte, les petites difficultés sont devenues insurmontables. Pas étonnant que certaines d’entre nous aient pu « lâcher ». Moi j’ai dû interrompre mon année et reprendre à la rentrée posément.

Et en stage ?

Nos conditions de stage n’ont rien à envier à l’école. La majorité du temps les équipes ne sont pas au courant de notre arrivée. Et nos apprentissages ou notre encadrement n’est pas pensé ou réfléchi. Dans des équipes sous pression, l’étudiante infirmière peut vite être perçue comme une charge supplémentaire qui « ne sert à rien » et doit faire ses preuves à tout prix. Puis, paradoxalement, dans des endroits où le personnel manque nous pouvons vite devenir une main-d’œuvre à bas prix. L’aide-soignante prévue ce jour n’est pas là ? Ce n’est pas grave il y a l’étudiante. Il y a trois heures de battement sans infirmière dans ce secteur ? Oui mais l’étudiante peut gérer. Ces situations nous mettent en danger, mettent les patients en danger mais nous n’avons pas le droit de nous plaindre sinon cela veut dire que nous ne sommes « pas prêtes à être professionnelles parce que c’est ça la réalité du métier plus tard ». Donc on pallie des manques dans les services et on ne compte pas nos heures supplémentaires. Notre isolement en stage n’arrangeant rien.

Vous vous sentez isolées ?

C’est sûr, entre l’école et les stages on ne se voit pas beaucoup entre étudiantes et nous n’avons pas vraiment de moments pour nous retrouver et discuter simplement de comment cela se passe pour nous. Personne n’ose verbaliser ses difficultés parce que c’est « mal vu », il y a toujours un soupçon sur nos propres compétences. En stage nous pouvons vite devenir la cible de violences ou de harcèlement, on ne peut en parler à personne. Comme on gravite sur plusieurs services et sur des périodes de temps courtes (allant de 5 à 10 semaines) même les syndicats ont du mal à s’adresser à nous. Avec le covid cela a empiré à un point difficile à imaginer, les étudiantes infirmières sont devenues corvéables à merci. Réquisitionnées sur des lieux de stage difficiles, se retrouvant en première ligne sans avoir la formation, les équipements et l’accompagnement garantissant notre sécurité. Et tout cela pour une rémunération dérisoire, moins de deux euros de l’heure en dernière année, ce qui fait que beaucoup d’entre nous travaillons en plus à côté. Alors oui, on est épuisées.

Il a été question d’une prime covid ?

La « prime covid » n’a pas concerné tout le monde car les conditions pour y accéder sont restrictives (région, nombre d’heures effectuées, etc). Par exemple, je viens de faire un stage avec la moitié de mes patients covid, mais il n’est pas question de prime. D’autant qu’il est considéré comme « déplacé » que nous parlions d’argent : on est là par vocation ! On est supposée ne pas se plaindre parce qu’on est jeune et qu’on a choisi ce métier « en connaissance de cause ». Donc en fait tout est fait pour nous dégoûter et nous endurcir et si on se plaint c’est qu’on n’est « pas apte » à faire ce métier.

Alors quand j’entends Véran qui dit « chercher à comprendre » pourquoi les étudiantes infirmières quittent l’école et finissent écœurées d’un métier qui les a pourtant attirées, j’ai envie de dire cherchez donc du côté des formations prodiguées et des conditions de travail à l’hôpital. Et prenez vos responsabilités ! Arrêtez de vous servir des étudiantes infirmières comme d’une soupape au manque de moyens dans les hôpitaux et payez nos heures !