Entretien avec Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole de « Stop aux violences obstétricales et gynécologiques » qui lutte contre ces violences. Cette organisation est à l’origine de la récente mobilisation contre le professeur Émile Daraï, spécialiste de l’endométriose à l’hôpital Tenon.
Quand et pourquoi avez-vous créé Stop VOG ?
J’ai créé Stop VOG en 2017 afin d’informer les femmes et les filles sur les violences obstétricales et gynécologiques (VOG) et sur leurs droits (loi Kouchner de 2002 sur le consentement). Informer les femmes, porter leur parole, c’est leur redonner confiance et pouvoir de décision. Ces violences sont taboues. On est face à un médical extrêmement fort qui abuse de son pouvoir, c’est une réalité. On n’entend pas les victimes parce qu’on vénère le médical.
J’ai moi-même subi des violences pendant mon accouchement en 2015. J’ai été littéralement agressée en accouchant. J’ai mis longtemps à réaliser ce qui s’était passé.
J’étais sidérée. Avec un médecin, on se croit toujours en sécurité. Quand on accouche, on est en situation de vulnérabilité. Je me suis mise à militer pour épargner les autres, pour le fameux « plus jamais ça ».
À cela s’ajoute une deuxième réalité : la culture du viol « façon gynécologie ». Ce sont les mêmes mécanismes que pour toutes les violences contre les femmes : inversion de la culpabilité, déni et minimisation de la parole des victimes, traitées de menteuses ou de chochottes.
Quand on porte plainte, c’est la double peine. Le Conseil de l’Ordre a été épinglé par la Cour des comptes pour sa mauvaise gestion des plaintes des patientes. Ce sont des médecins, élus par des médecins, payés par des médecins, qui souvent protègent des médecins... En justice, les VOG ne sont pas reconnues. On espère que l’affaire Daraï va changer la donne.
Tu parles de violence et de viol gynécologique, tu peux préciser ?
Ça a été long de faire reconnaître qu’un viol est commis plus souvent par un proche que par un inconnu dans la rue. Il peut avoir lieu aussi dans un cabinet gynécologique. Un spéculum mis de façon violente, même si la patiente hurle qu’elle a mal et qu’elle refuse, ou des va-et-vient dans le vagin n’ont rien de médical. Dans l’affaire E. Daraï, beaucoup de témoignages dénoncent des touchers rectaux par surprise, extrêmement douloureux. Parmi les médecins, des agresseurs peuvent se cacher.
Quelles sont vos revendications, vos moyens d’action ?
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) précise que la bonne santé n’est pas juste une absence de maladie, de pathologie. Violenter, traumatiser une personne gâche sa santé, sa vie à long terme, sa sexualité et peut entraîner le suicide. Le respect et l’écoute de la parole des femmes sont indispensables à la bientraitance.
L’absence de respect des choix des femmes : c’est non ! L’hyper-médicalisation inutile pour arranger un service ou un médecin, sans besoin réel de la patiente : c’est non ! On ne sauve pas de vie en faisant un frottis contre l’avis de la patiente ou une épisiotomie systématique lors d’un accouchement. Même si on a donné son accord, on peut le retirer à tout moment.
On nous forme trop à obéir aux médecins. Quand on va voir un médecin, on est en demande de prescription, de diagnostic, de conseil, de soin. Les violences gynécologiques sont des abus de confiance, de vulnérabilité.
On travaille auprès des éluEs pour en faire une question de santé publique. Depuis 2018, plusieurs rapports officiels alertent, notamment celui du Haut conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes de juin et celui du Conseil de l’Europe. En 2020, nous avons réalisé une Enquête nationale sur la naissance et participé à un Groupe de travail réuni – une seule fois – par Marlène Schiappa, avec les hautes instances de santé.
On demande urgemment une campagne d’information du grand public et la formation des personnels soignants aux bonnes pratiques médicales, à un réel partenariat soignantE/soignéE, à la physiologie de l’accouchement, à la bientraitance, au respect de la parole des femmes, de leur corps, de leur consentement. Les femmes doivent trouver une place active dans les parcours de santé, comme au Canada, avec l’intervention de patientes-expertes, dans la recherche médicale et dans l’enseignement initial et continu.
Peux-tu revenir sur les témoignages que vous recevez et sur l’affaire Daraï ?
On reçoit environ 200 témoignages par mois. Des jeunes femmes nous disent sortir de la visite gynécologique en ayant le sentiment d’avoir été violée, d’avoir eu un frottis ou une palpation mammaire pour rien (gestes non recommandés avant 25 ans), ou elles se sentent mal et pensent que quelque chose n’était pas normal. Les gynécologues n’ont pas à nous demander d’être entièrement nues. Si besoin, on enlève le bas ou le haut. Les frottis, c’est seulement tous les trois ans, voire tous les cinq ans après 35 ans, selon les recommandations de bonnes pratiques.
Le Pr Émile Daraï est gynécologue à l’hôpital Tenon et « renommé » dans le traitement de l’endométriose. Cette maladie se caractérise par des douleurs particulièrement effroyables.
Plusieurs victimes ont porté plainte au pénal contre lui pour viol et viol en réunion, dont une mineure de 16 ans au moment des faits. Depuis 2014, des signalements à l’Ordre des médecins et à la direction de l’hôpital n’ont abouti à rien. Des internes ont alerté leur faculté, en vain.
À Stop VOG, on a reçu plus de 150 témoignages accablants de violences le concernant. Un témoignage date même de 1996 ! Cette femme est restée traumatisée toute sa vie et attendait que le nom sorte sur les réseaux sociaux…
Où en est-on après la mobilisation en octobre et la médiatisation ?
Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a proposé une charte des bonnes pratiques, à afficher dans les cabinets gynécologiques. Même si nous saluons l’initiative, ce n’est bien sûr pas suffisant. Quant à Émile Daraï, il a été suspendu seulement de ses fonctions de chef de service et de responsable pédagogique, mais il continue à exercer, alors qu’une enquête interne de l’AP-HP est en cours.
Nous demandons sa suspension pleine et entière de toutes ses fonctions hospitalières y compris ses consultations et opérations, par précaution. Il y a eu vote à l’unanimité dans ce sens au Conseil de Paris, vote resté sans effet à ce jour.
On est face à une omerta et à une impunité sidérantes. Le pouvoir médical cristallise le patriarcat de notre société. Sans l’engagement des féministes, on n’y arrivera pas !
Stop VOG organise un cortège dans la manifestation #NousToutes du 20 novembre à Paris pour dénoncer les violences obstétricales et gynécologiques et exiger la suspension du professeur Émile Daraï pendant tout le temps de l’enquête de police et des poursuites judiciaires pouvant en découler. Stop VOG donne rendez-vous samedi prochain à 14 h au 5, place de la République à Paris à toutes les organisations et personnes sensibles à cette cause.
Propos recueillis par Sonia Casagrande