Publié le Mercredi 10 mai 2017 à 11h44.

Sécurité sociale et accès aux soins : face à la régression

La Sécurité sociale est née en 1945. De Gaulle, le chef du gouvernement, craignait la révolution et se donnait pour objectif de « renouveler les conditions sociales, afin que le travail reprenne et qu’échoue la subversion ». Il constatait que « les privilégiés mesurant la force du courant, s’y résignent aussitôt et d’autant plus volontiers qu’ils avaient redouté le pire »…1

Le rapport de forces social et politique de l’époque aura donc permis la création, sur la base d’un compromis de classes, de cette institution que la bourgeoisie cherchera sans cesse à rogner et à détruire. Dès 1948, elle dénoncera « les dépenses [qui] ne cessent de progresser » (Le Monde, 12 janvier 1948) dans un contexte, déjà, de mondialisation : « les cotonnades japonaises ont fait leur apparition. Pour l’avenir de la Sécurité sociale il est vital d’exporter, pour cela il faut que les prix français ne soient pas plus chers que les prix de nos concurrents sur le marché mondial » (Paul Reynaud, député, le 11 juillet 1949). Elle incriminera aussi la fraude des assurés sociaux, le manque de concurrence, l’absence de responsabilisation financière des médecins...

La Sécu est financée par les cotisations sociales, une part socialisée du salaire prélevée sur les richesses produites. La classe dirigeante n’accepte pas qu’une partie importante de ses profits lui échappe. Il lui est tout aussi insupportable de payer des gens « à ne rien faire » durant leur retraite, pendant les arrêts de travail en maladie, la maternité ou les congés. Elle s’inquiète également du principe régissant la Sécu,  « chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », une règle qui n’entre pas dans la logique du profit et du chacun pour soi. 

Les capitalistes n’ont jamais vraiment accepté la Sécu. Ils ont régulièrement bataillé pour « maîtriser les dépenses » et fiscaliser le financement. Leur objectif est de transférer cette « charge » au privé et de ne maintenir qu’un filet de sécurité pour les plus pauvres, pris en charge par l’Etat. La dégradation du droit à la santé est une des conséquences de cette offensive.

 

Le recul de la Sécurité sociale, premier facteur d’exclusion des soins

En 1945, la Sécurité sociale remboursait les frais de santé à 80 %. Le remboursement à 100 % des affections de longue durée (ALD) a été décidé dès cette époque. Trente maladies sont actuellement reconnues à ce titre.  Dès 1950, le taux de remboursement des actes dentaires a commencé à diminuer. A partir des années 1960, quatre taux de remboursements (entre 15 et 100 %) ont été créés pour les médicaments. Dès 2003, les gouvernements successifs ont commencé à ne plus rembourser des centaines de médicaments, la Haute autorité de santé les classant dans la catégorie « service médical rendu insuffisant ». Mais dans ce cas, ils ne devraient plus bénéficier de l’autorisation d’être produits... à moins que les profits des laboratoires ne valent plus que notre santé !

Le forfait hospitalier, dans le public et le privé, était de trois euros par jour à sa création en 1983 ; il n’a cessé d’augmenter pour atteindre 18 euros en 2010 (13,50 euros en psy). Entre 2004 et 2007, d’autres mesures ont alourdi ce qui est à la charge des patients. En ville ou à l’hôpital, une participation forfaitaire d’un euro est soustraite des remboursements pour tous les actes et consultations d’un médecin et pour chaque acte de biologie ou radiologie. Au forfait de 18 euros retenu sur le remboursement des actes « coûteux » (à partir de 120 euros), il faut ajouter les franchises de 0,50 centime par boîte de médicaments et sur chaque acte effectué par des auxiliaires médicaux, et de deux euros par trajet pour les frais de transports. Depuis 1987, le remboursement à 100 % des ALD est appliqué aux seuls traitements considérés en rapport direct avec la maladie grave. Les autres soins sont remboursés au tarif habituel de la Sécu. 

A tous ces dispositifs, qui ont alourdi la participation financière des malades à leurs frais de santé, s’ajoutent les dépassements d’honoraires. Plus d’un tiers des médecins ont adhéré à ce dispositif dénommé « secteur 2 ». Le montant global des dépassements a doublé en 15 ans. 

Hollande et Touraine ne sont revenus sur aucune de ces mesures, ils ont au contraire continué la même politique : déremboursements de médicaments, suppression de l’hypertension sévère de la liste des ALD.  Le nombre de médecins, en ville ou à l’ hôpital (privé ou public), pratiquant les honoraires libres s’est allongée. Sous prétexte de limiter le montant des dépassements d’honoraires, la ministre de la santé a proposé en 2012 aux médecins de signer des « contrats d’accès aux soins ». Les signataires se sont engagés à « stabiliser leur taux moyen de dépassement » et ont bénéficié en contrepartie d’allégement de leurs cotisations sociales en moyenne de 4 300 euros par an. Des médecins du secteur 1 (sans dépassements d’honoraires) ont profité de l’aubaine pour adhérer au secteur 2.

Les conséquences de cette politique apparaissent dans une enquête du Secours populaire : les difficultés financières poussent une partie significative de la population à retarder des soins ou à y renoncer, notamment pour les soins dentaires et l’optique, particulièrement chez les plus pauvres : la moitié des foyers dont le revenu mensuel net est inférieur à 1200 euros nets ont dû reporter ou renoncer à une consultation chez un dentiste (+ 22 points par rapport à 2008), et plus d’un tiers chez un ophtalmologiste (39 %, + 9 points).

 

L’efficacité très relative de la CMU-C et de l’ACS2

Les personnes qui font face aux dépenses de santé les plus élevées, y compris lorsqu’elles sont exonérées du ticket modérateur en raison d’une ALD, subissent les restes à charges les plus lourds.3 Plus on est pauvre, plus on est malade et plus les coûts de santé augmentent ! L’accès à une couverture complémentaire est indispensable à une majorité de la population pour pouvoir se soigner. Mais 5 % d’entre elle n’en bénéficie pas. Les seuils imposés pour pouvoir bénéficier de la CMU-C (721 euros) et de l’ACS (973 euros) excluent un grand nombre de personnes qui vivent pourtant sous le seuil de pauvreté.

La complexité du système de soins (coexistence des secteurs 1 et 2), l’ignorance des droits, les difficultés à déchiffrer les informations et des démarches d’obtention complexes amènent les plus bas revenus à ne pas solliciter leurs droits. L’ACS fait l’objet d’un taux de non recours proche de 75 % en raison de la méconnaissance de cette aide. Le non-respect des droits par des professionnels de santé (refus du tiers payant, demande de dépassement d’honoraires) participe à ces renoncements aux soins. A ces  problèmes  viennent s’ajouter des ruptures de droits en lien avec l’instabilité professionnelle et/ou familiale.4

 

La Protection maladie universelle : 700 000 étrangers exclus de la Sécu ? 

L’universalité de la Sécu avait été proclamée par le gouvernement Jospin lors de la mise en place de la CMU, le 1er janvier 2000. La création de cette Sécurité sociale des pauvres, remplaçant l’Aide médicale gratuite attribuée par les départements, n’a pas résolu les difficultés d’accès aux soins : une personne sans domicile sur dix déclare ne bénéficier d’aucune couverture maladie et une sur quatre d’aucune complémentaire santé. Les personnes sans domicile de nationalité étrangère sont 16 % à ne pas disposer de couverture maladie et 29 % à ne pas avoir de complémentaire santé, des pourcentages encore accrus parmi ceux qui déclarent avoir dormi dans la rue ou en haltes de nuit. Les principaux motifs de non recours sont le coût et l’absence de couverture maladie.5

Touraine a proclamé à son tour l’universalité de la Sécu en présentant la loi de financement 2016 de la Sécu, qui a créé la « PUMa » (Protection maladie universelle) et supprimé la CMU de base. Pour bénéficier des prestations en nature6 de la branche maladie de la Sécu, il suffit théoriquement de travailler ou de résider en France de manière stable et ininterrompue depuis plus de trois mois. Le gouvernement précise que « la PUMa garantit désormais à toute personne qui travaille ou réside en France un droit à la prise en charge des frais de santé, sans démarche particulière à accomplir ». Mais la réalité est différente.

Les associations de l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE)7 ont craint dès mars 2016 « une régression catastrophique pour la Sécurité sociale des personnes étrangères », 700 000 migrants pouvant être concernés. Le 13 février 2017, elles se sont à nouveau alarmées des conséquences de la PUMa : « Un arrêté réduisant la liste des titres et documents qui autorisent les personnes étrangères à bénéficier de l’assurance maladie est sur le point d’être pris. Malgré des alertes réitérées vont désormais être exclues les personnes disposant d’un récépissé de demande de titre de séjour ou d’autres documents nominatifs remis par les préfectures et attestant de démarches en cours. Or, les préfectures multiplient précisément la délivrance de ces documents de séjour précaires. Résultat : alors qu’elles sont en règle du fait de la possession de ces documents, ces personnes vont être renvoyées vers l’AME  voire vers "rien du tout" pour celles dont les ressources sont supérieures au plafond fixé par les textes pour bénéficier de l’AME (721 euros par mois). »

 

Lutter pour le droit à la santé !

Le droit à la santé doit être un droit fondamental. Pour l’accès de tous et toutes sans exclusive à ce droit, la Sécu doit rembourser tous les soins et actes médicaux  à 100 % sans forfait, ni franchise. Les dépassements d’honoraires doivent être interdits. Les actes et soins rémunérés aux professionnels de santé doivent l’être à leur juste valeur afin de ne plus justifier certains de ces dépassements. Aucune avance des frais ne doit être exigée, le tiers-payant doit être généralisé à tous les professionnels et établissements de santé. 

Pour être en  bonne santé se soigner n’est pas suffisant, il faut aussi agir sur les différents facteurs de dégradation de la santé : les conditions de travail, l’environnement, la nutrition, le logement… La Sécu doit donc avoir les moyens de réellement prendre en charge  la prévention, l’éducation à la santé, la rééducation.  

Cette bataille pour le droit à la santé universelle et gratuite doit être menée unitairement avec les organisations associatives, syndicales et politiques qui partagent cet objectif, notamment au sein des différents collectifs (défense de la santé, des hôpitaux, des services publics...) qui se mobilisent sur ce sujet.

S. Bernard

 

  • 1. « Mémoires de guerre, Le salut, 1944-1946 », Plon, 1959.
  • 2. Respectivement : Couverture maladie universelle complémentaire (l’assurance complémentaire des pauvres) et Aide à la complémentaire santé.
  • 3. Selon l’IRDES, Institut de recherche et documentation en économie de la santé, dans « Question d’économie de la santé » n° 218, mai 2016.
  • 4. RDES « Question d’économie de la santé », n° 209, mai 2015.
  • 5. Source : « Etudes et Résultats » n° 933, Dree (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères sociaux).
  • 6. Les prestations en nature désignent la prise en charge des dépenses de santé, les CPAM versant aussi des prestations en espèces qui compensent partiellement les pertes de revenus lors des arrêts de travail pour maladie, maternité...
  • 7. L’ODSE regroupe 25 organisations dont le Gisti, la LDH, Médecins du monde, le MRAP, la LDH, le Secours catholique...