Publié le Jeudi 2 juillet 2020 à 19h26.

Attaques historiques contre l’ensemble des chômeurEs, les intermittentEs ne sont pas à l’abri

Les intermittentEs du spectacle ont un intérêt objectif (et pas seulement politique, éthique ou moral) à défendre les droits de l’ensemble des chômeurs et chômeuses. Ce sont des travailleurs/ses salariéEs avec des conditions de travail particulières – et particulièrement précaires – qui nécessitent des règles spécifiques d’indemnisation, dans les périodes où ils et elles sont privéEs d’emploi.

Au caractère discontinu de l’exercice de ces métiers correspond une manière particulière de les indemniser quand ils et elles ne travaillent pas. Ces règles spécifiques d’indemnisation sont régies par les annexes 8 et 10 de l’assurance chômage. En 2017, on comptait autour de 120 000 intermittentEs du spectacle indemniséEs par Pôle emploi (64 033 au titre de l’annexe 8 – les technicienNEs – et 58 490 au titre de l’annexe 10 – artistes1).

L’intermittence du spectacle n’est pas un statut

Macron a promis de prolonger les droits au chômage des intermittentEs, mais c’est largement insuffisant : non seulement il a oublié les entrantEs (ceux et celles qui auraient « fait leurs heures » pour la première fois ou après une interruption sans le Covid et se retrouvent donc sans droits) et il a oublié les congés maternité, maladie. Mais surtout, il n’y a rien de concret sur le plan de relance. On s’adresse de plus en plus aux salariéEs du spectacle (vivant et enregistré), comme à des chômeurs à qui l’on donne juste ce qu’il faut d’heures pour renouveler le droit à des indemnités. Or, nous voulons vivre de l’exercice de nos métiers (qu’ils soient techniques ou artistiques), pas de petits boulots qui nous permettent de rester au chômage.

Mais les salariéEs intermittentEs, et le terme abusif de « statut » en témoigne, intériorisent ce changement de paradigme : ils ne se considèrent pas comme des salariéEs avec des droits spécifiques au chômage, mais comme des « intermittentEs » avant tout. Les employeurs du spectacle restent les principaux responsables, l’État en premier lieu. En effet, prenons le cas de Radio France ; énormément de salariéEs intermittentEs y travaillent dix mois sur douze et pour autant, sont employéEs en CDDU2. L’assurance chômage finance donc Radio France et permet la précarité de ces salariéEs, à jamais précaires, licenciables (il suffit de ne pas les réemployer), et avec toujours moins de droits que les autres. Cette logique est la même pour les employeurs privés (notamment de la production audiovisuelle).

C’est souvent autour de cette question que divergent les points de vue des collectifs (notamment Coordinations de précaires) et celles des syndicats de salariéEs. Les premiers regroupent des gens en tant que précaires, les seconds, en tant que travailleurs/ses. On a vu récemment le Syndicat français des artistes interprètes (CGT) retirer sa signature de l’appel Bas Les Masques3 ! Culture au motif qu’il y est demandé « La prise en compte de toutes les heures d’Action d’éducation artistique [AEC] et culturelle dans les heures permettant d’accéder au régime spécifique des annexes 8 et 10 et ce de façon pérenne. » En effet, le syndicat a estimé qu’une telle revendication avait deux effets pervers : premièrement, remplacer les travailleurs/ses culturelEs en situation d’emploi pérenne par des contrats très courts ne peut que dégrader leurs métiers et conditions de travail et, deuxièmement, continuer de dégrader les conditions de travail des travailleuses et travailleurs du spectacle.

D’autres catégories (saisonnierEs, intérimaires…) ont aussi leurs annexes à l’assurance chômage. Mais le rapport de force s’est tant dégradé que ces annexes ont été vidées de leur contenu. Le régime général, quant à lui, a été la cible de tant d’attaques que les conditions d’indemnisation des intermittentEs apparaissent aujourd’hui comme une sorte de privilège. Les intermittentEs deviennent une « réserve d’Indiens », c’est du moins la grande et légitime inquiétude des syndicats de salariéEs, parce que l’intermittence du spectacle dépend de la solidarité interprofessionnelle, et une réserve d’Indiens ne survivrait pas longtemps toute seule. Toute attaque contre les chômeurs est un coup porté à l’ensemble des chômeurs/ses, annexe ou pas annexe.

 

Des attaques historiques contre les chômeurs/ses

Or justement, les attaques qui visent les chômeurs/ses sont d’une violence inouïe. La dernière réforme de l’Unedic, dont l’application, prévue initialement au 1er avril (#lol) dernier, a été repoussée au 1er septembre prochain, du fait de la pandémie. 

Alors que le nombre de chômeurs va atteindre des taux records, le gouvernement va-t-il maintenir une réforme qui promet tout simplement la misère à privéEs d’emploi ? 

Cette réforme s’inscrit dans un calendrier d’attaques historiques contre les chômeurs/ses : depuis le 1er novembre 2019, il faut avoir travaillé six mois et non plus quatre pour ouvrir des droits au chômage. Pour les saisonnierEs (hôtels, cafés, restaurants, l’événementiel, le tourisme, festivals…), le calcul est vite fait : une saison ne permet plus d’ouvrir des droits au chômage. Mais malheureusement, il n’y a pas que ces salariéEs qui soient touchéEs. Dans nombre d’entreprises, les contrats de moins de six mois sont devenus légion. À cela s’ajoute un décret du 30 décembre 2018, qui a renforcé le flicage des chômeurs/ses. Les manquements aux obligations de chômeurs/ses (présence aux rendez-vous, etc.) leur feront perdre des droits, alors que jusqu’à présent, cela les suspendait simplement. 

Mais le pire reste à venir : si la réforme est appliquée au 1er septembre, les indemnités des chômeurs vont baisser drastiquement, jusqu’à 75 % dans certains cas. Plus de 50 % des personnes indemnisées toucheront moins de 708 euros par mois4

Comment cela est-il possible ? Si on a travaillé six mois sur une période de douze mois, Pôle emploi, pour estimer l’argent gagné, ne considérera plus la moyenne d’argent touché sur six mois mais sur douze. Avant, on aurait estimé ce que la personne avait touché par jour travaillé pendant les six mois où elle a travaillé. Désormais, on cherchera à savoir combien elle a touché pendant la période des douze mois. L’allocation sera basée sur ce chiffre. Autant dire qu’elle va largement diminuer. Mais la personne aura aussi droit à un an d’indemnisation, contre six mois (dans cet exemple) jusqu’à présent. Le gouvernement peut donc expliquer qu’il va prolonger les droits des chômeurs. Mais il le fera à des taux si bas que ce ne sera tout simplement plus possible de vivre avec de telles allocations.

Vers un retour des femmes au foyer ?

Ce qui est à craindre également, c’est un retour massif des femmes au foyer. Entendons-nous, choisir d’élever ses enfants plutôt que d’avoir un travail salarié est un choix de vie parfaitement valable, bien trop souvent décrédibilisé. Mais ce doit être un choix. Dans une période de chômage de masse, quand les deux adultes d’un foyer ne pourront pas avoir d’emploi, c’est très souvent celui de la femme qui sera sacrifié, d’autant plus avec ces deux mois de confinement, qui ont, de fait, remis le foyer au centre du quotidien. 

Dans les métiers du spectacle, les pressions sur les femmes sont particulièrement violentes. Les licenciements pour grossesse sont encore une chose très commune – souvent extraordinairement assumée par les employeurs ; les comédiennes travaillent aussi d’autant moins qu’elles vieillissent (après 50 ans, elles disparaissent tout simplement des écrans de télé et de cinéma) et, surtout, la pression à exercer un métier « normal » est terrible. Dans la famille, dans les écoles, on reprochera beaucoup plus à une femme qu’à un homme de partir souvent en tournée et de laisser ses enfants. Ces différents éléments – et beaucoup d’autres – combinés, font que 41,6 % des intermittentEs de moins de 30 ans sont des femmes, contre 30,2 % chez les 50 ans ou plus5.

Mobilisation

Mais il y a fort à parier que cette réforme ne passera pas comme une lettre à la poste : une première AG en mars a réuni à Paris plusieurs centaines de personnes. Ce n’était pas arrivé depuis des années. Pendant longtemps, les intermittentEs étaient les plus mobiliséEs des chômeurs. Peut-être parce que, contrairement aux autres, ils se considèrent comme chômeurs sur le long terme. Mais en 2019, les assistantes maternelles, via le collectif des Gilets roses, ont montré une extrême détermination, et qui a payé, puisqu’elles ont été épargnées par la réforme de l’Unedic. Les saisonnierEs se sont aussi mobiliséEs dans les stations de ski, et avant même le 1er avril. Cette mobilisation aussi est historique, et montre que les gens ne s’en laisseront pas compter.

Il y a déjà des suppressions d’emplois par centaines de milliers, le gouvernement n’arrivera plus à faire croire que les privéEs d’emplois doivent leur situation à eux-mêmes. C’est bien ce système absurde qui est incapable de permettre à sa population de vivre dans des conditions dignes. Les Gilets jaunes l’ont montré : notre classe est pleine de ressources pour inventer de nouvelles manières de se mobiliser. Et tout récemment encore, ce sont les sans-papiers puis les militantEs de l’antiracisme politique qui ont rouvert la voie de la mobilisation après le confinement. Dans l’histoire, les mouvements de chômeurs ont souvent été particulièrement puissants et ont joué un rôle déterminant dans la lutte de classes, gageons qu’ils referont surface dans les mois et années qui viennent. La prochaine date de mobilisation contre la réforme de l’assurance chômage sera le 30 juin à Paris, première date pour continuer de relever la tête et dire non à cette réforme !

Macron a un vrai projet de société… nous aussi !

La classe dominante, dont Macron sert merveilleusement les intérêts, nous présente un projet de société aussi effrayant qu’il semble cohérent et pensé. D’un côté le droit du travail est attaqué, rogné, et le salariat remplacé par des statuts (auto- entrepreneurs, indépendants, free-lance) qui nient la relation de dépendance et qui ôtent leurs responsabilités aux donneurs d’ordre – aux patrons. Et en parallèle, Macron détruit le droit à l’assurance chômage, n’en faisant plus qu’un très mince filet de sécurité, de quoi agrémenter un peu les soupes populaires sans lesquelles ces chômeurs de demain ne survivront pas. Bref, de moins en moins de droits pour les travailleurs dans l’entreprise, mais des perspectives encore plus noires en dehors. Face à une telle misère, il ne restera plus qu’à accepter n’importe quel travail, dans n’importe quelles conditions, et pour les autres, à crever, tout simplement.

Un système qui prive une immense partie de la société de travail et qui prive les chômeurs qu’il a créés de conditions de vie dignes, un tel système montre l’ampleur de son indigence. Face à ces attaques, nous l’affirmons au contraire : 10 chômeurs/ses sur 10 doivent être indemniséEs. Les droits au chômage ne doivent plus être subordonnés à une « recherche active de travail ». Nous revendiquons que l’assurance chômage soit financée à 100 % par les cotisations sociales, c’est-à-dire par la part socialisée du salaire, le refus de la baisse des cotisations dites « patronales » : quand on les diminue, ce sont en fait nos salaires que l’on ampute, l’abolition de la CSG, impôt en rupture avec la logique de la cotisation sociale. Pour en finir avec le chômage subi, nous revendiquons de travailler moins sans perte de salaire pour travailler toutes et tous.

Mais le capitalisme et son anarchie sont incapables d’organiser une telle répartition du travail. Chaque capitaliste cherche à faire augmenter son profit et à exploiter le plus possible ses travailleurs/ses. Si, pour maintenir ses profits, ou éviter qu’ils ne baissent trop, il faut laisser des travailleurs/ses sur le carreau, il n’hésitera pas. S’il faut garder peu de travailleurs/ses pour les faire travailler beaucoup plus (plus longtemps, ou en augmentant leur productivité), il le fera. Alors pour imposer de travailler moins pour travailler touTEs, il nous faudra exproprier ces capitalistes, et nationaliser leurs entreprises, sous le contrôle des travailleurs. 

C’est comme ça que nous ouvrirons la voie vers une lutte qui nous débarrassera enfin de ce système inique. Nous ne sommes pas des utopistes, nous ne proposons pas de réformer ce système moisi. Nous proposons de le renverser, pour construire une autre société, fondée sur l’auto-organisation de celles et ceux qui la font tourner.