Publié le Jeudi 13 décembre 2012 à 12h04.

Le « dialogue social » contre les acquis sociaux

Par Patrick Le Moal

En prenant un recul sur une période assez longue, on constate que le droit et la pratique de la négociation ont connu ces trente dernières années des modifications considérables. Elles rendent compte de la dégradation du rapport de forces entre les salariés et les patrons, de l’évolution du syndicalisme vers un syndicalisme de compromis plutôt que de lutte de classes, tout en les accentuant.

La question n’est pas de refuser par principe toute négociation. Depuis qu’existe une action ouvrière, lorsque les salariés en lutte veulent que l’évolution de la situation en leur faveur soit reconnue, ils ont toujours cherché à la négocier avec les patrons pour matérialiser les avantages conquis. Le débat actuel sur la place du dialogue social et de la négociation est tout autre.

Le patronat préconise la négociation en dehors de tout conflit, avec des organisations syndicales qui sont prêtes à valider des compromis répondant à ses besoins. Dans une négociation à froid, sans la possibilité pour les salariés de faire pression sur les employeurs, directement ou indirectement par la menace crédible d’une action, le contenu de l’accord est celui que les employeurs sont prêts à accepter. Autrement dit, ces derniers ont un droit de veto sur toute avancée sociale. 

Depuis une trentaine d’années, l’offensive patronale de destruction des acquis ouvriers a avancé à grands pas à partir de cette conception de la négociation.

Les premiers pas de la négociation en France

Les premières tentatives, au début du siècle dernier, d’obtenir par la négociation à froid des aménagements dans l’application de la loi de 1919 sur la journée de huit heures s’étaient soldées par un échec cuisant : les syndicats ouvriers n’étaient pas disposés à s’engager dans ce type de compromis. Le Front populaire avait relancé le processus en introduisant dans le premier article de l’accord Matignon1 la négociation de conventions collectives (contrats collectifs de travail). Ces contrats étaient strictement encadrés puisque des décrets furent pris par profession suite aux très nombreuses négociations par branches sur les modalités d’application de la loi des 40 heures, pour étendre l’application de ces accords à tous les employeurs, appartenant ou non à l’organisation patronale signataire.

C’est à partir des années 1950 que la négociation se développa à nouveau, à partir des branches professionnelles et entreprises phare (métallurgie, Renault…) ayant un niveau de combativité important. 

Ces négociations reposaient sur un principe essentiel, le « principe de faveur » : l’accord collectif conclu ne pouvait déroger à la loi que dans un sens plus favorable au salarié, et l’accord de niveau inférieur (par exemple, l’accord d’entreprise par rapport à un accord de branche) ne pouvait qu’être plus favorable au salarié. De ce fait, même si des accords étaient signés par des organisations minoritaires, le seul reproche qu’on pouvait leur faire est qu’ils n’étaient pas assez favorables aux salariés.

Pour autant, si des avancées importantes ont été initiées par ces accords, la totalité des améliorations de la situation des salariés passait par l’adoption de lois.

A partir de 1968, beaucoup de lois ont résulté de négociations nationales interprofessionnelles : la formation professionnelle (accord du 9 juillet 1970, loi du 16 juillet 1971), l’indemnisation du chômage économique (accords de 1969 et 1974, loi du 3 janvier 1975) qui sera en partie remise en cause par un nouvel accord de 1984, la mensualisation (accord du 10 décembre 1977, loi du 19 janvier 1978), la législation sur le travail temporaire et les CDD (accord du 20 mars 1990)…

La rupture des années 1980/1990

C’est ensuite que s’est opérée une rupture fondamentale : la loi va permettre par exception de négocier une ou des dispositions moins favorables qu’elle. Les exceptions de départ vont s’étendre petit à petit, prendre de plus en plus de place, ce qui changera fondamentalement la donne. La machine à détruire le principe de faveur était en marche.

L’année 1982 est celle du renversement de la hiérarchie des normes juridiques. Dans l’ambiance de l’époque, ce fait a été masqué. La modification de fond passait par… la loi mettant en place les 39 heures. Elle permit la modification par accord d’entreprise du contingent d’heures supplémentaires réglementaire (en moins mais aussi… en plus) et instituait les premières possibilités d’accords de modulation.

Puis les dérogations s’étendirent avec les gouvernements suivants, de gauche et de droite : en 1986 (loi Delebarre), 1987 (loi Seguin), 1993 (loi sur l’emploi mettant en place une incitation à la négociation d’aménagements de l’organisation et de la durée du travail) et 1996 (loi De Robien).

Accélération sous la gauche plurielle

Cette évolution s’accéléra lors du retour de la gauche au gouvernement en 19972. La ministre du travail Aubry, tirant les conclusions de l’échec des négociations nationales sur la flexibilité du temps de travail en 19843, décida de passer par une autre voie pour installer cette flexibilité. Le principe de faveur fut largement mis en cause au travers des lois sur les 35 heures de 1998 et 2000 qui généralisaient la possibilité d’accords d’entreprise moins favorables aux salariés que la loi.

Dans l’articulation de ces deux lois, le gouvernement imposait la négociation entreprise par entreprise, là où les résistances sont les moins fortes à cause du poids du chômage et de l’éclatement syndical. Il s’appuyait sur les patrons pour multiplier les accords dérogatoires, en leur donnant des aides pour négocier boîte par boîte. Et pour réduire encore l’efficacité de la mobilisation contre cette flexibilité, il donnait la possibilité de négocier des accords avec des salariés mandatés4. C’était évidemment tout bénéfice pour les patrons qui, tout en râlant contre les 35 heures et en touchant les aides financières, signèrent des accords moins favorables que la loi, imposant la flexibilité.

Ce n’était plus seulement les responsables syndicaux, nationaux ou de branche, qui négociaient des accords dérogatoires du code du travail, mais les syndicats au niveau des entreprises. Cette évolution accentua le processus d’autonomisation des syndicats d’entreprise par rapport aux confédérations, que la création des sections syndicales d’entreprise en 1968 avait enclenché. Positive dans un contexte de luttes5, cette autonomie a d’autres effets, moins positifs, dans un cadre d’affaiblissement du mouvement ouvrier et a renforcé le développement de réactions corporatistes. 

La « position commune » de 2001

Dans la foulée de cette évolution, une négociation nationale interprofessionnelle s’est engagée en 2000 sur la négociation collective. Elle s’est conclue le 16 juillet 2001 par un texte dit « position commune », signé des trois organisations patronales (MEDEF, CGPME, UPA) et de quatre organisations syndicales de salariés (CFDT, CFTC, CGC, FO).

Ce texte introduisait plusieurs idées nouvelles, dont les deux principales étaient d’imposer une nouvelle condition pour qu’un accord soit valable, avoir été signé par des organisations syndicales majoritaires, et d’élargir le champ de la négociation, en proposant « d’articuler les domaines respectifs de compétences et de responsabilité de l’Etat et des interlocuteurs sociaux en définissant : le domaine du législateur (…) le domaine partagé du législatif et du réglementaire, d’une part, et des interlocuteurs sociaux d’autre part, les modalités d’application des principes généraux fixés par la loi seraient négociés, au niveau approprié, par les interlocuteurs sociaux (…) le domaine des interlocuteurs sociaux, pour l’amélioration des dispositions d’ordre public social relatif et la création de droits nouveaux. »

L’association des deux est cohérente : dès lors que la définition d’une partie de la réglementation est de la responsabilité des « interlocuteurs sociaux », la moindre des choses est qu’ils soient représentatifs (remarquons tout de même que cette condition ne concerne que les syndicats de salariés, pas les organisations d’employeurs).

La prétendue « démocratie sociale »

C’était un changement complet de cadre. Les accords de branche ou d’entreprise ne se réduisaient plus à améliorer la situation prévue par la règlementation, ils avaient désormais le pouvoir de la définir. Le but est de substituer la convention collective à la loi. Ce serait la « démocratie sociale ». Mais cette prétendue démocratie n’a pas grand-chose à voir avec la volonté de la majorité. Ce qu’ils appellent « démocratie sociale » permet aux organisations patronales, censées représenter les deux millions d’employeurs et artisans (sans aucun moyen de vérifier leur représentativité), de pouvoir décider quelles « améliorations » elles acceptent pour les vingt millions de salariés.

Afin de donner une image positive de cette pseudo démocratie visant à détricoter les acquis des salariés, a été inventée la notion d’accords « gagnant-gagnant » ou « donnant-donnant ». Dans la préparation de la conférence sociale de juillet 2012, François Hollande appelait patronat et syndicats à « la culture de l’accord, celle qui implique des contreparties, du donnant-donnant ». Ce qu’il y a derrière cette novlangue est simple : les représentants des patrons ne sont prêts à donner quelque chose de positif pour les salariés que si les représentants des salariés donnent quelque chose de positif pour les patrons. Dès lors que la loi systématise la remise en cause du principe de faveur, que le patronat cherche à tout prix à abaisser ce qu’il nomme le « coût du travail », l’élaboration de la règle par la négociation permet la remise en cause d’acquis ouvriers avec l’aval des directions syndicales.

Le rapport De Virville6 de janvier 2004

Selon ce rapport, la négociation et le compromis « constituent la seule voie praticable pour assurer l’effectivité et la stabilité du droit du travail ». Il propose donc de « parvenir à une production du droit plus proche des usagers », que les partenaires sociaux soient « à l’avenir directement associés, dans un cadre tracé par le législateur, à l’élaboration de la règle de droit », car « la négociation collective garantit (…) l’adaptation des normes aux besoins de ceux qui sont chargés de les appliquer ou qui se les verront appliquer (…) elle constitue un gage de stabilité du droit » et « lorsqu’elle est menée dans des conditions de légitimité satisfaisantes (…) favorise l’adhésion».

Il fait des propositions pratiques visant à avancer plus loin dans la remise en cause de la hiérarchie des normes et notamment du principe de faveur. Il faudrait « organiser, à travers un pacte clair, la collaboration entre le législateur et les partenaires sociaux ». Le législateur garderait en charge la fixation des « principes fondamentaux, les dispositions à caractère impératif qu’il n’entend pas voir remettre en cause ultérieurement par la négociation ». Mais il « convient que les partenaires sociaux puissent s’engager dans la négociation avec la certitude que, s’ils respectent les règles ainsi fixées, le résultat de la négociation ne sera pas remis en cause ». Dans sa contribution sur le rapport, le Medef allait plus loin en proposant de « consacrer le droit à l’expérimentation des partenaires sociaux dans le domaine des relations collectives de travail ».

Le rapport de Virville proposait également la mesure de l’audience des organisations syndicales.

Avec la loi Fillon, le principe de faveur devient l’exception

La loi du 4 mai 2004 « relative au dialogue social » a mis en place une partie de ces propositions. Tout en conservant le principe de faveur, la hiérarchie entre loi et accord, accord et contrat de travail, elle facilite les dérogations en prévoyant que tout se négocie sauf ce que la loi a considéré non négociable. Elle bouleverse donc la hiérarchie des normes, le principe de faveur ne s’appliquant plus que par défaut.

Elle autorise  la dérogation entre niveaux de négociation dans un sens défavorable aux salariés ; étend les possibilités de dérogation à la loi par accord d’entreprise (en matière de temps de travail, la loi devient supplétive) ; instaure le « principe majoritaire » ; et autorise les élus du personnel à négocier en l’absence de délégué syndical.

Lorsque le principe de faveur s’applique, il constitue un verrou faisant obstacle au dumping social entre les entreprises de la branche, puisqu’aucune entreprise ne peut négocier à son niveau des conditions plus favorables aux employeurs. C’est une digue contre laquelle viennent buter les tentatives de remise en cause des acquis dans les entreprises. Avec la loi de 2004, est remise en cause la mécanique qui assurait depuis les années 1950 la diffusion des acquis sociaux des entreprises socialement les plus avancées vers les autres.

Confirmée en 2008, la loi de 2004 permet au patron qui arrive à faire travailler les salariés de son entreprise pour un salaire global inférieur d’être plus compétitif : c’est l’ouverture de la compétition par la remise en cause des acquis des salariés. Il restait une limite d’importance : le respect du salaire minimum et des classifications7 mais dans la concurrence entre employeurs, il n’y a pas que le salaire à prendre en compte. Les dérogations sont possibles dans tout ce qui concerne la durée du travail et l’emploi précaire (CDD et travail temporaire).

La possibilité de négocier donnée, en l’absence de délégué syndical dans l’entreprise, au comité d’entreprise ou aux délégués du personnel montre la volonté gouvernementale et patronale de systématiser à tous les niveaux la négociation à froid. La négociation est conçue comme un échange, un dialogue entre représentants de même niveau, qui cherchent à trouver des solutions pour « l’entreprise », et non comme un mode de règlement de conflits inéluctables entre salariés et employeurs dans le cadre du système capitaliste, qui imposent aux exploités de se battre, de s’organiser collectivement, d’agir ensemble pour imposer des modifications des conditions d’exploitation dans un sens qui leur soit favorable. 

Le travail de sape continue

La bataille a été relancée par le rapport Chertier du 31 mars 2006 « pour une modernisation du dialogue social ». Dès l’introduction, on voit que la modernisation, c’est l’appellation contrôlée, novlangue de la démolition de l’élaboration de la norme sociale : « Au-delà des résistances inévitables au changement, au-delà des divergences démocratiques des solutions, il apparaît bien que notre pays doive moderniser sans plus tarder les méthodes d’élaboration des normes sociales qui lui permettront de répondre aux enjeux des temps nouveaux  (…) la conscience même de la nécessité de cette réforme quand bien même il y a divergence sur le sens de l’évolution de ces normes ; la volonté que l’Etat corrige son travers ancien consistant à sous-estimer l’apport que constitue la société civile à la détermination de son agenda et à sa prise de décision… »

Un nouvel argument est avancé : la « temporalité ». Il s’agit de déconnecter les opérations de démolition sociale des échéances électorales, on ne sait jamais… La temporalité de l’activité politique suit les échéances électorales, celle des organisations syndicales et patronales s’inscrit dans la longue durée.

Le rapport constate que l’engagement verbal de l’Etat de renvoyer à la négociation interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail n’est pas tenu. Qu’à cela ne tienne, une nouvelle loi de modernisation du dialogue social est adoptée le 31 janvier 2007, prévoyant que tout projet de réforme sociale envisagé par le gouvernement fasse l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives. Elle ne change cependant rien au fait que lorsque le gouvernement veut passer en force, il le fait en contournant ce texte.

Un nouveau coup : la loi de 2008

La loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, complétée par celle du 15 octobre 2010 pour les TPE (très petites entreprises), modifie quant à elle complètement les conditions de représentativité des organisations syndicales (voir article page 31) et de conclusion des accords ou conventions. Dès lors qu’on permet aux négociateurs d’élaborer tout ou partie de la norme applicable à tous les salariés, la question de la détermination de leur légitimité à le faire devient essentielle.

Avec cette loi de 2008, pour qu’un accord s’applique, il faut qu’il soit signé par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli, au premier tour des dernières élections professionnelles, au moins 30 % de l’ensemble des suffrages exprimés, et qu’il n’y ait pas d’opposition de celles ayant recueilli la majorité de ces suffrages exprimés. Au niveau de l’entreprise, il est également possible, en l’absence de délégué syndical, de négocier avec les élus (CE ou DP). Au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel il y a des mesures transitoires, l’application est prévue en août 2013, une fois que la représentativité à ce niveau sera connue.

Cette loi officialise le fait que des organisations n’ayant pas recueilli la majorité des voix aux élections professionnelles puissent signer avec les patrons des accords dérogeant au code du travail dans un sens défavorable aux salariés, dès lors qu’il n’y a pas opposition. A contrario, elle oblige les organisations syndicales qui veulent s’opposer à l’application de tels accords à avoir recueilli 50 % aux élections.

Compte tenu de la structure du paysage syndical français, l’application conjuguée des lois de 2004 et 2008 laisse les mains libres aux patrons pour trouver, avec des organisations syndicales de compromis, les accords dont ils ont besoin afin d’attaquer comme ils le souhaitent les acquis des salariés. 

Ne laissons pas les patrons (dé)faire le droit du travail !

L’offensive continue, car nombre d’acteurs, notamment le Medef et la CFDT, proposent même de modifier la Constitution afin de reconnaître aux organisations patronales et syndicales un rôle de législateur en matière de droit du travail. Ils sont dans la même logique que Jacques Delors dont la formule « en finir avec le mythe de la loi à tout faire » est régulièrement reprise. Ce serait une accélération considérable du processus de déréglementation du code du travail, qui sécuriserait tous les reculs actuels.

Lors de la conférence sociale des 9 et 10 juillet, François Hollande est revenu sur cette question, en assurant que le principe de la « phase de dialogue et de concertation » doit être élevé au rang de principe constitutionnel, sans remettre en cause « la primauté de la loi et donc du législateur ». Mais si la loi se contente de valider la négociation, cela ne change rien sur le niveau qui décide du contenu des textes !

A quoi servent les débats politiques, les luttes sociales, les élections si ceux qui sont censés représenter les employeurs ont un pouvoir de décision sur la majorité de la population, celle qui travaille et vit de son travail ? Comment peut-on revenir sur ces accords, dès lors que les employeurs ont un pouvoir de veto sur les décisions ?

Le débat sur cette question est un enjeu majeur, car la quasi totalité des organisations syndicales, l’écrasante majorité des dirigeants syndicaux à tous les niveaux, jusque dans les entreprises, sont aujourd’hui impliquées dans ces négociations à froid. Nous devons partout expliquer que ce qu’ils appellent la « démocratie sociale » n’est ni démocratique, ni sociale !

Pour que les salariés décident de leur sort

Un autre effet direct ou indirect de cette évolution est l’accentuation de l’institutionnalisation, de la « technicisation » et professionnalisation des organisations syndicales, donc l’accroissement de la distance entre les négociateurs et ceux qu’ils sont censés représenter.

Les patrons et les gouvernants cherchent à avoir des interlocuteurs « responsables », à lier les mains des signataires pour avoir la paix sociale et éviter le recours à l’arme judiciaire : ceux qui ont signé ne sont pas ceux qui luttent contre l’accord ou qui l’attaquent en justice. Toutes les 

confédérations se sont impliquées dans les accords 35 heures et toutes ont signé des centaines d’accords mettant en place une flexibilité du travail qu’elles dénonçaient parfois auparavant – mais le silence s’est abattu dès les signatures.

Peu à peu, les négociateurs deviennent des professionnels de la négociation ; des militants devenus permanents passent plus de temps dans les séances de travail, de négociations qu’avec ceux qu’ils sont censés représenter, les salariés. Il y a ainsi dans toutes les confédérations des spécialistes, des techniciens de la négociation, comme si le succès venait de la capacité de convaincre et non du rapport de forces social. Certaines confédérations embauchent des juristes professionnels, sans aucune expérience syndicale. Des séances de négociations se déroulent avec, du côté patronal, des juristes salariés qui n’ont jamais été employeurs et, du coté des organisations syndicales, des permanents qui n’ont pas travaillé depuis fort longtemps. Il se crée entre ces personnes une sorte de connivence, qui n’a rien à voir avec les intérêts des salariés car la logique de la négociation est bien loin de leurs préoccupations. Plus les thèmes et les modalités de négociations sont complexes, plus cette tendance générale s’accentue.

Le rôle néfaste de la social-démocratie

Comme on l’a vu, ce sont les gouvernements « de gauche » qui ont fait sauter les verrous, la droite s’étant ensuite engouffrée dans l’ouverture.

Le PS défend l’idée d’une société où, comme en Allemagne, les lois prévoient le strict minimum, le reste étant négocié entre « partenaires sociaux ». Les conditions de régulation sociale passeraient ainsi par une négociation/intégration des directions syndicales, sur les conditions de libéralisation de la société. 

Pour accroître la liberté de gestion des entreprises et permettre les adaptations nécessaires à la concurrence capitaliste, la social-démocratie préfère asseoir le compromis social sur les négociations entre tous les partenaires. Pour les « socialistes » actuels, il ne s’agit pas de se donner les moyens de prendre aux patrons pour améliorer la situation des salariés, mais de trouver les moyens d’adapter les structures politiques et juridiques au nouvel ordre économique mondial, marqué par la compétitivité et la nécessité d’une forte productivité, ce qui suppose la réduction du « coût de la main d’œuvre ».

La politique de la social-démocratie est facilitée par l’attitude des directions syndicales, qui attendent des retours en termes de droits syndicaux, comme si cela avait des effets sur les conditions de vie et de travail des salariés. Les directions syndicales échangent leur accord ou leur silence contre des moyens afin de maintenir leurs structures. Les grandes confédérations sont aujourd’hui toutes gagnées à cette problématique, FO depuis des décennies, la CFDT de manière caricaturale, mais aussi la CGT malgré les débats en son sein.

Loin des intérêts des salariés

Dans une grève, si on négocie avec un bon rapport de force vis-à-vis du patron, on va bien au-delà de la loi. 

Dans la vie quotidienne, dans la période que nous connaissons, la négociation place le patron en position de force, accentue les faiblesses du mouvement ouvrier. La discussion est le plus souvent de voir quelles évolutions sont possibles en fonction de la situation de l’entreprise, de la concurrence internationale, et non à partir des besoins de ceux qui travaillent. Et les évolutions sont trop souvent négatives.

Remettons tout cela à l’endroit. Partons des besoins des salariés, de la définition des avancées sociales indispensables à obtenir, en prenant en compte une évidence : pour imposer ces avancées aux patrons, l’affrontement est inéluctable. Discutons de la question essentielle, comment favoriser les mobilisations créant les vrais rapports de forces qui seuls permettent d’obtenir plus que la loi.