Publié le Dimanche 5 juin 2011 à 15h35.

Où va le syndicalisme français ?

Dans son nouvel ouvrage, intitulé le syndicalisme, la politique et la grève, Stéphane Sirot, auteur par ailleurs de la Grève en France1, étudie l’évolution du fait syndical depuis la Révolution française jusqu’à nos jours en centrant son propos pour l’essentiel sur la France, et sur la CGT pour la période plus récente. Il distingue trois grandes périodes : la première est celle où le syndicalisme est interdit, qui court de la Révolution française à la fin du xixe siècle (21 mars 1884, date à laquelle les organisations ouvrières sont légalisées). La seconde s’étend de 1884 à la Seconde Guerre mondiale : durant ces décennies, le taux de syndicalisation en France, bien qu’inférieur à celui d’autres pays européens, est en nette progression. La troisième enfin, de la Seconde Guerre mondiale aux années 1980, se caractérise à la fois par l’institutionnalisation du contre-pouvoir syndical et le différentiel du taux de syndicalisation avec les autres pays européens qui s’accroît.

Pour lui, il existe en Europe trois schémas différents à l’origine de l’essor du syndicalisme : au Royaume-Uni, les Trade Unions sont le point de départ de la constitution du Parti travailliste (1906), alors qu’en Allemagne c’est la social-démocratie qui est à l’origine de la constitution du mouvement syndical, pendant qu’en France en 1906 le congrès d’Amiens de la CGT affirme un modèle syndicaliste révolutionnaire d’action directe. Ces trois modèles auront des conséquences durables, que l’on peut résumer à grands traits : le modèle allemand signifie centralisation, cogestion et négociation, le modèle britannique implique décentralisation et négociation collective, tandis que le syndicalisme d’action directe signifie conflit social et propagande pour la grève générale. De la même manière, l’auteur relève les grandes périodes du droit de grève en France (avant 1864, entre 1864 et la Seconde Guerre mondiale comme la reconnaissance d’un fait social, après 1945 comme institutionnalisation et régulation conflictuelle des rapports sociaux) qui recouvrent celles du syndicalisme. Cette dimension spécifique de l’histoire des luttes sociales est illustrée par un chapitre consacré à cette histoire chez les électriciens-gaziers et particulièrement au recours, différencié suivant les périodes, à la coupure de courant.

Syndicalisme de lutte contre syndicalisme de gestion ?

Avec les années 1980 s’ouvre une quatrième période que l’auteur qualifie d’âge de la cogestion et de triomphe du syndicalisme d’accompagnement. Selon lui, le processus entamé par le recentrage de la CFDT au milieu des années 1970 se poursuit aujourd’hui à la CGT, plus particulièrement depuis l’arrivée de Bernard Thibault au poste de secrétaire général, dont il rappelle quelques déclarations et glissements de vocabulaire (« si la contestation est indispensable, elle n’est qu’un moment de l’action »). Il s’agit d’une véritable rupture avec le syndicalisme d’action directe et de transformation sociale acté en 1906 lors du congrès d’Amiens. La conclusion est plutôt pessimiste car selon l’auteur « le mouvement syndical de plus en plus étroitement intégré à la société est orienté vers l’abandon de l’accomplissement d’un projet politique autonome… ».

Ce livre est un outil indispensable pour comprendre pourquoi le taux de syndicalisation est si faible, pourquoi il est si difficile pour les jeunes et les femmes de s’investir dans le militantisme syndical, pourquoi malgré l’échec des journées d’action à répétition sans plan d’action depuis maintenant des décennies, c’est toujours cette tactique qui est invariablement proposée par les directions des grandes confédérations syndicales. Toutefois, les choix opérés par l’auteur le conduisent à négliger des éléments importants de résistance à l’intégration des syndicats. Ainsi, il n’analyse pas l’action de l’opposition interne à la CFDT, qui va déboucher pour une partie sur la construction de syndicats SUD et la structuration de l’union syndicale Solidaires. Dans le même ordre d’idée, il n’aborde pas la fin de la FEN et la création de la FSU. Et il accorde également trop peu d’importance aux vifs débats à l’intérieur même de la CGT, malgré l’absence d’une opposition structurée à l’orientation confédérale, tant sur la position à adopter face au Traité constitutionnel européen que sur la question de la grève reconductible lors du conflit des retraites. Tout cela démontre qu’il existe dans le mouvement ouvrier des forces importantes qui résistent à la fois aux attaques du capital et au processus de recentrage des directions des grandes confédérations syndicales. Pour le NPA, c’est une des raisons d’espérer dans une situation pourtant difficile pour le mouvement ouvrier ! 

Bernard Galin

1. Stéphane Sirot, La Grève en France, une histoire sociale (xixe-xxe siècle), Odile Jacob, 2002

Par Bernard Galin