« Renouer avec la croissance », « relancer la production » tel serait le remède miracle à la crise. C’est ignorer que les classes populaires payent une double facture sociale et environnementale, subissent à la fois l’appauvrissement et le bouleversement climatique, la destruction de l’environnement et la précarisation. Pour le NPA, il ne s’agit pas de « produire plus », mais de « produire autrement » pour satisfaire les besoins sociaux et respecter la rationalité écologique. Comment défendre les conditions de travail, la santé tant physique que mentale des salariéEs et répondre aux urgences écologiques qu’elles soient climatiques, énergétiques ou de sauvegarde de la biodiversité ? Comment lutter pied à pied contre les licenciements, la précarité, les suppressions d’emplois et en finir avec le gaspillage, la surproduction capitaliste ? Comment décider et produire ce qui est nécessaire ? La réponse à ces questions pourrait tenir en trois mots : planification écosocialiste démocratique. La conjugaison de la crise économique et des crises écologiques montre à quel point la satisfaction des besoins sociaux et le respect de l’équilibre écologique nécessitent de manière urgente une transformation révolutionnaire globale qui rompe avec le capitalisme et le productivisme, qui change radicalement les bases de la propriété et de la démocratie, de l’outil de production et du travail lui-même. Si la crise globale, historique, du système suscite des résistances, elle ne fait pas automatiquement naître une alternative anticapitaliste, écosocialiste à la hauteur de l’urgence pour autant. Planifier la production : une nécessité sociale et écologiqueFace aux licenciements, aux fermetures d’entreprises, à l’explosion du chômage, de nombreuses réponses se situent sur le terrain de la relance, de la croissance. Et parce que la crise du capitalisme s’accompagne d’un basculement du monde, les fausses solutions sur l’air de « produisons français » reviennent elles aussi sur le devant de la scène. Ces fausses évidences sont lourdes de dangers, l’une précipite la catastrophe climatique, l’autre dresse les peuples les uns contre les autres. Productivisme et nationalisme marchent main dans la main et gagnent du terrain. Les faire reculer c’est d’abord faire reculer le chômage et l’insécurité sociale qui menacent les classes populaires. Des créations massives d’emplois dans les services publics de santé, d’éducation, d’accueil de la petite enfance, de soins aux personnes âgées ou dépendantes…, une réduction massive du temps de travail – sans perte de salaire et compensée intégralement par des embauches – sont les moyens les plus efficaces pour combattre le chômage. L’insécurité sociale se combat sur ce terrain, par la défense et l’extension de la protection sociale et l’acquisition de nouveaux droits. Il faut imposer le droit à l’emploi et au revenu comme un droit absolu garanti à toutes et tous, la mise hors la loi des licenciements et de la précarité, l’accès aux soins et aux médicaments gratuits, le droit à la retraite et à des minima sociaux qui permettent de vivre et non de survivre. Toutes les politiques qui refusent de s’en prendre aux profits pour augmenter les salaires et la protection sociale ou qui refusent de s’en prendre au pouvoir patronal pour garantir les droits des salariéEs renvoient les victimes de la crise dans des impasses dangereuses. Ce « bouclier social » est une condition nécessaire mais pas suffisante pour combattre la crise. Les anticapitalistes doivent inlassablement défendre un plan d’urgence social et écologique.Pour satisfaire les besoins sociaux et l’équilibre écologique, il est nécessaire de donner la priorité et de mettre des moyens pour développer certains secteurs comme par exemple les transports en commun publics gratuits, l’isolation et la rénovation énergétique des bâtiments… Des secteurs entiers doivent être réorganisés, révolutionnés même. C’est le cas, entre autres, de l’énergie ou de l’agriculture… Nous défendons la constitution d’un service public de l’énergie et une planification sous le contrôle des usagerEs et des salariéEs qui allie rationalité énergétique et justice sociale. Il y a urgence à sortir du nucléaire – source inévitable de risque de catastrophe comme le démontre Fukushima - et à réduire les émissions de gaz à effet de serre responsables du dérèglement climatique. Cela ne peut se réaliser que dans une planification reposant sur le développement des énergies renouvelables et sur un vaste programme d’économie d’énergie, concernant le logement, les transports et l’ensemble des secteurs… Mais cette révolution énergétique doit se faire avec les salariéEs, et non à leur dépens, ce qui exige d’assurer le maintien des emplois et le reclassement collectif des salariéEs de la filière. Son but est aussi de garantir l’accès à l’énergie pour toutes et tous, avec la gratuité pour les consommations de base et une progressivité faisant payer très cher les usages abusifs. Rien de tout cela n’est possible avec les groupes capitalistes (Total, EDF, GDF-Suez, Areva…) qui, avec la complicité de l’État et des principales forces politiques, imposent le nucléaire à toute la société ; la pénibilité, les risques et la précarité aux salariéEs ; des factures exorbitantes aux usagers. Nous défendons l’appropriation publique et sociale de ces entreprises et leur intégration dans un service public décentralisé et démocratique. Cette révolution énergétique est le seul moyen d’organiser la sortie rapide du nucléaire, elle est aussi la seule réponse à la fois sociale, écologique et internationaliste à la fermeture programmée des raffineries en Europe. Toutes les autres prétendues solutions industrielles refusent d’anticiper l’épuisement des ressources pétrolières, sans parler de la nécessaire sortie des énergies fossiles, pour endiguer la crise climatique et se cachent derrière une illusoire indépendance énergétique de la France qui pousse l’aberration jusqu’à réclamer de « raffiner français ».
Se nourrir correctement – en quantité et en qualité – est un droit fondamental aujourd’hui refusé aux classes populaires du fait de la mainmise de l’industrie agro–alimentaire, tout comme sont refusés aux paysans leurs droits à un revenu, à l’accès à la terre, à vivre de leur métier. Le productivisme imposé par l’agro-industrie généralise les produits et les pratiques dangereuses pour les hommes et l’environnement : pesticides systémiques, OGM, engrais chimiques, irrigations. Nous défendons une agriculture agro-écologique, paysanne, à taille humaine, produisant selon les besoins réels des populations, permettant un approvisionnement de proximité, avec des produits de qualité à des prix accessibles pour toutes et tous. La grande distribution doit passer sous contrôle public pour en finir avec sa dictature économique qui étrangle les petits paysans et surexploite ses salariéEs.
L’impératif d’une réorganisation globale concerne tous les grands secteurs de la production. La question de l’industrie automobile comme « miroir de la crise sociale et écologique » a fait l’objet d’un article dans Tout est à nous ! La Revue en novembre 2011.Défendre l’emploi et l’environnementLe productivisme brandit fréquemment le drapeau de la défense de l’emploi. Avec un chômage durablement massif, c’est évidemment un argument de poids. Mais il faut remettre les choses à l’endroit : la finalité de la production n’est pas de créer des emplois mais de produire ce qui est utile et seulement ce qui est utile. La réponse au chômage n’est pas de produire plus mais de répartir le travail entre toutes et tous. Quand nous participons aux résistances face à de nouveaux grands projets inutiles – EPR, autoroute, aéroport… –, nous affrontons une propagande qui fait miroiter les créations d’emplois. Nous le faisons généralement en lui opposant la défense des emplois détruits – agricoles, comme c’est par exemple le cas pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – ou en soulignant la nature temporaire et précaire des emplois liés à la seule construction de tels projets. L’argumentation est grandement facilitée par le fait qu’il ne s’agit que d’emplois « virtuels » qui seraient éventuellement créés et non d’hommes et de femmes menacés de perdre leur emploi. La fermeture d’entreprises existantes pose des problèmes plus complexes et plus douloureux.
Du point de vue social, comme du point de vue écologique, certaines productions sont inutiles ou dangereuses : nucléaire, armement, engrais chimiques, pesticides… Nous sommes pour les arrêter. À la question des emplois, nous répondons par le maintien du salaire, du contrat de travail, le reclassement collectif des salariéEs, la reconversion. Mais cette réponse ne peut fonctionner que portée par les salariéEs concernéEs et avec le rapport de forces suffisant pour l’imposer. C’est ce que nous devons chercher à construire obstinément. L’extrême difficulté vient du fait que ce sont les patrons qui ont l’initiative, qui décident de fermer telle ou telle usine et de jeter à la porte celles et ceux qui y travaillaient. Ils ne prennent pas ces décisions parce que ce qui est produit est inutile ou dangereux, ils ferment parce que ce n’est plus assez rentable à leurs yeux. Pendant des années, ils ont pollué l’air, l’eau, les sols, empoisonné les travailleurEs, fait courir des risques à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine, mis sur le marché des produits dangereux… et soudain ils estiment que ça ne leur rapporte pas assez et décident de fermer. Dans certains cas, ils organisent purement et simplement la faillite, condamnant les salariéEs au chômage avec des indemnités de misère et abandonnant un site pollué.
Dans le mouvement ouvrier, nombreux sont ceux qui sont prêts à défendre l’indéfendable. Ce fut le cas, à Toulouse, de ceux qui réclamaient le redémarrage d’AZF après l’explosion qui avait causé plus de 30 morts et des milliers de blessés. Mais force est de reconnaître que, au moment où l’annonce de la fermeture tombe, l’intervention est très difficile. Pour les salariéEs, aux difficultés matérielles s’ajoute que ce n’est pas seulement leur emploi qui disparaît mais tout un pan de leur vie. Tous les renoncements précédents, souvent consentis au nom même de la défense de l’emploi, sur les questions de sécurité, d’environnement, de santé au travail, d’organisation du travail, sont alors payés au prix fort. Les anticapitalistes doivent en permanence faire vivre une démarche syndicale qui s’applique à contrer la propagande patronale dans tous les domaines, à refuser le patriotisme d’entreprise, à se solidariser avec les combats des riverains contre les nuisances, des consommateurs pour la qualité des produits et ce bien avant les menaces de fermeture. C’est le seul moyen de tisser des liens militants, des rapports de confiance et de solidarité entre les salariéEs et les habitantEs qui sont indispensables pour construire le rapport de forces nécessaire pour imposer des solutions ouvrières.
Même si elles sont encore trop rares, certaines luttes posent la question de produire autre chose, de produire autrement. Les salariéEs de Fralib, près de Marseille, se sont battus pour défendre leurs emplois. Au cours de leur lutte, dans l’occupation de l’usine, ils et elles ont posé, avec leur projet alternatif de reprise, les questions de rapports équitables avec les producteurs, de circuits courts, de production bio… ils et elles ont critiqué un conditionnement coûteux et inutile dont le marketing est la seule motivation. Celles et ceux de M-real dans l’Eure popularisent d’autres choix pour préserver les emplois et l’environnement. Ils proposent par exemple de remettre en marche l’usine de pâte à papier fermée il y a quelques années, de produire du carburant à partir de la biomasse et même d’alimenter ainsi la raffinerie voisine de Petroplus menacée de fermeture par ses patrons voyous. Ce sont des luttes déterminées, qui n’hésitent pas à opposer la légitimité de leur combat à la légalité qui protège la propriété et la toute-puissance des patrons. En occupant et en remettant en route l’outil de travail, elles ont permis aussi l’élaboration de solutions ouvrières alternatives à la fois sociales, solidaires et écologiques.L’enjeu est de taille : reconstruire un mouvement ouvrier, politique et syndical, présent dans les entreprises et capable d’y défendre une orientation anticapitaliste qui soit aussi écologiste. L’écologie, comme la politique, ne peut pas s’arrêter devant la porte des entreprises.« Produire autrement », une question au cœur de notre projet écosocialisteMarx écrit que le capitalisme « épuise les deux seules sources de toute richesse : la terre et le travailleur ». En effet, c’est bien la même logique capitaliste, le « produire toujours plus pour générer toujours plus de profits » qui use et détruit les travailleurs et les travailleuses, épuise les ressources naturelles et dérègle le climat. Les impératifs sociaux comme les impératifs écologiques exigent d’en finir avec le capitalisme et de rompre avec sa logique sur trois plans : la fin de la propriété privée des moyens de production, une planification démocratique qui permette à la société de définir ses choix et ses priorités en matière de production et la transformation radicale tant du travail que des structures de production.
L’expropriation des capitalistes est la condition pour établir une propriété collective sur les grands moyens de production. Mais ce changement des formes de propriété ne vaut que s’il est le moyen d’une gestion démocratique et d’un profond bouleversement de la production. Daniel Bensaïd parlait du « carré infernal du capital » formé par « le travail aliéné, la division du travail, la loi du marché et la propriété privée ». Il ne s’agit pas seulement de remettre en cause la propriété privée des moyens de production, mais de « produire autrement » dans tous les sens du terme. La structure même de l’appareil productif n’est pas neutre. Par exemple, nous ne nous opposons pas au nucléaire uniquement à cause des risques de catastrophe ou de l’impossible élimination de ses déchets, mais aussi parce que cette industrie implique le gaspillage énergétique, une société hyper centralisée, sécuritaire et policière, le pillage et l’expropriation des peuples du Niger par Areva pour l’exploitation de l’uranium… Des critiques similaires s’appliquent à l’ensemble de l’organisation capitaliste de la production conçue pour favoriser l’accumulation du capital et l’expansion infinie du marché. Cela pose aussi la question de la division internationale du travail ‑ quels échanges internationaux ? quelles relocalisations ? ‑ qui a fait l’objet d’autres articles et ne sera pas abordée ici.
La révolution de l’appareil productif suppose une révolution du travail. La réduction drastique du temps de travail est centrale dans notre projet de société. L’objectif de l’abolition du chômage et de la précarité, un plein emploi réel, prend radicalement le contre-pied de la situation actuelle où les salariéEs traitéEs comme la variable d’ajustement sont en permanence mis en concurrence. L’augmentation du temps libre est aussi une condition pour que les travailleurEs s’emparent de la discussion nécessaire à une gestion démocratique de l’économie comme de la société. Mais plus encore, nous revendiquons avec Marx « la prédominance de “l’être” sur “l’avoir” dans une société sans classes sociales ni aliénation capitaliste, c’est-à-dire la primauté du temps libre sur le désir de posséder d’innombrables objets : la réalisation personnelle par le biais de véritables activités, culturelles, sportives, ludiques, scientifiques, érotiques, artistiques et politiques ».
Mais il ne suffit pas de réduire la durée du travail, il faut aussi contester sa finalité, son contenu, son organisation et sa division, s’attaquer au travail contraint, aliéné, à ce que Marx appelle un travail « pour ainsi dire dénué de toute qualité ». Les salariéEs n’endurent pas seulement l’usure physique, mais aussi la souffrance générée par ce travail mal fait qui n’a pas de sens. Les mal nommées « procédures qualité », omniprésentes dans toutes les entreprises et les services sont emblématiques de ce « mal travail ». Elles ne sont que l’instrument des dominants pour expliquer aux dominéEs qu’ils ne savent pas travailler et sont juste bons à respecter les procédures. Procédures impossibles à suivre pour faire réellement le travail mais à l’aune desquelles ils sont jugés, évalués, dévalorisés.Pour en finir avec la dépossession des travailleurs de la maîtrise de leur travail, pour redonner toute leur place aux connaissances concrètes, pratiques et réelles du processus de travail, aux savoir-faire collectifs et individuels, il faut sortir du salariat comme rapport social de domination, construire une véritable autogestion des unités de production. La production, la distribution, la consommation doivent être organisées non seulement par les « producteurs » mais par l’ensemble de la société. Ce n’est pas aux facteurs ou factrices de décider du prix du timbre ou de sa gratuité, en revanche ils et elles doivent pouvoir maîtriser collectivement l’organisation de leur travail, de leurs tournées, lutter contre la division du travail, la pénibilité, la répétition… La planification démocratique doit permettre aux hommes et aux femmes de se réapproprier comme citoyenEs, habitantEs, usagerEs, les grands choix sociaux relatifs à la production, de décider de ce qu’il faut produire. Ce niveau de démocratie économique et politique doit s’articuler avec un autre niveau, celui qui nous permet en tant que travailleurEs, producteurEs de maîtriser la gestion et l’organisation de son unité de travail, de décider la manière de produire. C’est la combinaison de ces différents niveaux de démocratie qui permet la coopération et non la concurrence, une gestion effectivement rationnelle d’un point de vue écologique et social, épanouissante d’un point de vue humain, à l’échelle de l’atelier, l’entreprise, la branche… mais aussi de la commune, la région, du pays et même de la planète ! Produire autrement c’est aussi sortir du cercle infernal « travail aliéné, loisirs aliénés et consommation aliénée », c’est aussi vivre autrement !
Christine Poupin