Cote de popularité, intentions de vote, les résultats de différents sondages tombent régulièrement et cela s’accélère en période pré-électorale. Faut-il les croire ? Encore faut-il faire la différence entre sondages électoraux et enquêtes d’opinion et prendre en compte la marge d’erreur liée à l’exercice. Mais dans tous les cas, les sondages ne sauraient être une boussole pour définir une orientation politique.
n 1995, six mois avant le scrutin présidentiel, les sondages ne donnaient pas cher de la peau de Jacques Chirac. Il fut pourtant élu, et à la fin de son septennat, en 2002, rares étaient les commentateurs à avoir envisagé (dans la semaine précédant le 21 avril) le scénario d’un Le Pen qualifié pour le second tour.
Depuis maintenant plusieurs mois, pas une semaine ne passe sans qu’un ou plusieurs sondages soient publiés concernant le scrutin de 2012. Quel crédit apporter à ces enquêtes ? Comment s’y retrouver ?
Retour sur les scrutins de 1995 et 2002
En 1995, après une course en tête de plusieurs mois dans les sondages, Balladur cède du terrain et laisse la place à Chirac, qui devance également Jospin désigné sur le tard candidat d’un PS en crise. À la surprise générale Jospin arrive pourtant en tête au soir du 1er tour.
Les tableaux suivants présentent les valeurs extrêmes des résultats des derniers sondages publiés par les différents instituts.
En 2002, Jospin mène la course dans les sondages pendant un bon moment avant de se retrouver éliminé dés le 1er tour.
Une fois les résultats définitifs connus, la plupart des commentateurs se sont indignés des erreurs des instituts de sondages. Dans les deux cas, les sondages ne dataient que de quelques jours précédant le scrutin. Les instituts de sondage eux-mêmes ne se sont pas défendus.
Il leur était pourtant facile d’expliquer que l’extrapolation à l’ensemble du corps électoral des réponses fournies par un échantillon de 1 000 personnes comportant mathématiquement une marge d’erreur de plus ou moins trois points de pourcentage, on constate que le score final est inclus dans la fourchette pour presque tous les sondages (à l’exception notable des prévisions les plus basses concernant Le Pen).
Avec une telle lecture scientifiquement juste des derniers sondages, le scénario de Le Pen au second tour devenait parfaitement envisageable.
Et 2009
De la même manière, à une échelle plus modeste (celle du NPA), les instituts de sondages nous ont crédités pour les élections européennes d’un potentiel plus élevé que le résultat final. Nombre de commentateurs ont parlé de notre effondrement et cela a alimenté quelques polémiques internes. Le graphique ci-contre, en présentant les marges d’erreur, relativise cet « effondrement », surtout si l’on a en tête que plusieurs mois avant le scrutin, il ne s’agit pas de sondages électoraux, mais de sondages d’opinion. La règle des 3 % en ce qui concerne le résultat électoral n’a donc de sens qu’à un moment très rapproché du scrutin.
Questions de méthode...
Les bases mathématiques des études d’opinion reposent sur une loi statistique bien établie depuis 300 ans, « la loi des grands nombres ». Chacun peut la vérifier avec une pièce de monnaie et beaucoup de patience. Cette loi dit en gros que, s’il est impossible de prédire sur quelle face une pièce lancée en l’air va retomber, on peut cependant prédire qu’il y aura à long terme à peu près autant de « face » que de « pile ». Le pourcentage de « pile » s’approche donc de 50% avec une marge d’erreur qui diminue avec le nombre n de lancers et qui tombe à +/-3 points de pourcentage (47 % - 53 %) au bout de 1 000 essais (l’erreur suit une loi en 1/√n).
Dans le cas d’un sondage, ce n’est pas l’opinion qui est tirée au hasard, mais l’individu interrogé. C’est ce qui permet aux sondages de sortie des urnes de prévoir le résultat avant la fin du vote.
Les résultats d’un sondage peuvent donc être fiables (à la marge d’erreur près) à condition de prendre suffisamment de précautions pour que la situation étudiée se rapproche du cas idéal de la pièce de monnaie.
Les instituts de sondage précisent maintenant la taille de leur échantillon (souvent autour de 1 000 personnes) et la manière de le constituer (en général par la méthode des quotas, qui sélectionne un échantillon ayant les mêmes caractéristiques que la population totale suivant certains critères comme le sexe, l’âge, la profession du chef de famille, l’origine par région et catégorie d’agglomération). Ils fournissent également un tableau donnant la fourchette prenant en compte la marge d’erreur.
En cherchant à fournir à bon marché de la matière aux commentateurs, certains instituts qui prétendent à la rigueur scientifique n’hésitent pas à présenter des chiffres vides de sens.
Par exemple, pour donner les intentions de vote des électeurs de Besancenot, l’institut extrait d’un échantillon de 1 000 personnes l’ensemble des électeurs de Besancenot de 2007 (une quarantaine ?) et étudie la répartition de leurs intentions de vote en 2012. La taille de l’échantillon devient du coup tellement faible que les résultats sont entachés d’une marge d’erreur considérable (+/- 20 points de pourcentage !) que l’étude ne précise pas.
Certaines études « politiques » comportent des formulations plutôt floues, interrogeant les sondéEs sur « la cote d’avenir » ou « la cote de confiance » de telle personnalité politique, avec à la clé un commentaire du genre « Cécile Holut écrase Nicolas Dofflut ». Ce type de formulation ne renvoie à aucune opinion pré-existante chez les sondéEs, si bien que l’on créé l’opinion en même temps que l’on prétend la mesurer. Il s’agit d’une source d’incertitude (involontaire ?) supplémentaire.
Un autre problème vient de la répugnance de certains sondéEs à admettre de quel côté de la pièce ils vont tomber. Du coup, pour éviter les erreurs, comme la relative sous-estimation du score de Le Pen en 2002, les sondeurs tentent de corriger ce biais en pratiquant des « redressements » en fonction de résultats antérieurs. Ces corrections sont des choix empiriques parfois motivés par des considérations politiques mais sans base scientifique. Ils ont abouti par exemple à une sur-estimation des intentions de vote en faveur de Le Pen en 2007.
Aucun institut ne dévoile les redressements qu’il opère ni les raisons qui les motivent, ce qui ouvre la porte à toutes les manipulations. Il faut noter que les différents instituts montent actuellement au créneau pour protester contre le projet législatif de rendre obligatoire la publication des données brutes avant redressement.
Pour toutes ces raisons, il serait plus honnête que les résultats soient publiés en donnant au moins des intervalles (tel candidat est crédité de telle fourchette) et en faisant une distinction nette entre sondage d’opinion et sondage électoral !
Qui sont les instituts de sondage ?
Historiquement, ils sont apparus dans la première moitié du xxe siècle aux États-Unis, essentiellement utilisés à l’époque pour savoir si les produits fabriqués répondaient aux attentes des consommateurs. En France, le premier sondage électoral prévoit la mise en ballotage inattendue de De Gaulle lors de l’élection présidentielle de 1965. Ce premier succès a mis sur orbite les sondages politiques.
Les instituts de sondage sont en général détenus par de grands groupes financiers ou publicitaires ; ainsi l’Ifop, qui a été dirigé par Laurence Parisot, intervient dans des domaines aussi variés que « l’opinion et les stratégies d’entreprise, la grande consommation, les services, les médias et le numérique, la santé, le luxe » et opère dans une cinquantaine de pays à travers le monde. De la même manière, la Sofres intervient dans des champs multiples (comportements des consommateurs, stratégies et choix industriels...). Les sondages politiques ne représentent qu’une part limitée de leur activité. En sens inverse, des hommes d’affaires proches des dirigeants politiques investissent dans les instituts de sondage : ainsi Vincent Bolloré, ami notoire de Nicolas Sarkozy, détient-il le capital de l’institut CSA-TMO. Certains dirigeants d’institut de sondage ont des parcours politiques éclairants (OpinionWay a été créé par un ancien chargé de mission au cabinet de Gérard Longuet).
Ces grands groupes connaissent aussi des restructurations, fusions et plans sociaux… Le groupe WPP, dont le siège social est à Jersey et qui est coté à la Bourse de Londres, a racheté TNS Sofres en 2008. TNS Sofres et Research International ont depuis fusionné pour devenir numéro 1 dans les études. Ce qui n’a pas empêché la Sofres de supprimer 59 postes sur les 600 de son siège à Montrouge (Hauts-de-Seine).
La formule de Pierre Weill, président directeur général de Sofres France : « Le terme institut est devenu obsolète pour caractériser ce métier, il en rappelle les origines, avec un côté universitaire et sociologique, alors que la réalité actuelle est celle des entreprises et du business » est vraiment pertinente !
Une utilisation politique militante est-elle possible et souhaitable ?
Cette question peut paraître saugrenue quand on milite dans un parti dont le porte-parole se retire de la compétition alors qu’il était crédité d’un score flatteur dans les différentes enquêtes concernant la présidentielle de 2012 (entre 4 et 9 %). C’est peut-être là aussi ce qui nous distingue de beaucoup d’autres partis. Nous n’avons pas les yeux braqués sur les sondages, les cotes de popularité, les indices de confiance ou autres cotes d’avenir pour opérer des choix politiques. La plupart des partis font réaliser des études qui sont rarement publiées. Ainsi dans une ville de la région parisienne, le PCF, inquiet à la suite de la décision du PS de présenter sa propre liste aux dernières municipales avait commandé un sondage sur les intentions de vote dans cette configuration inédite dans cette commune. Beaucoup d’argent a été dépensé pour confirmer ce que notre présence régulière sur le terrain nous avait permis de percevoir : l’opération du PS ne prenait pas trop.
Il y a bien sûr une réserve à avoir sur la manière peu scientifique dont les résultats sont publiés. Il y a aussi un aspect très réducteur des questionnements qui laisse peu de place au débat et à la nuance.
Mais dans certains cas, les sondages peuvent confirmer des tendances que nous pouvons ressentir comme militantEs sur le terrain. Ainsi avions-nous vu venir la remontée du FN et de Marine Le Pen ces derniers temps tout en sous-estimant peut-être son ampleur. Nous aurions eu tort de hurler à la manipulation médiatique des instituts de sondage comme cela a été fait par certains à gauche. D’ailleurs le résultat des élections cantonales est venu confirmer cette tendance qui pour détestable qu’elle soit, ne nous surprend pas dans une contexte de crise et de recul de la conscience de classe. Que les instituts de sondage soient liés aux grands groupes est une certitude, cela ne veut pas dire qu’ils ne racontent que des bêtises.
Depuis des mois, des sondages sortent toutes les semaines sur l’élection présidentielle de 2012.
Beaucoup d’encre a coulé, beaucoup de discussions animées sur le (ou la) meilleurE candidatE du PS et dans une moindre mesure le (ou la) meilleurE candidatE à gauche du PS. DSK éliminé, de nouvelles enquêtes sont immédiatement publiées pour « mesurer l’effet sur l’opinion » et ce qui va « bouleverser » selon certains le paysage politique. À onze mois du scrutin, cela a t-il un sens ? À une échelle beaucoup plus modeste, la non-candidature d’Olivier Besancenot est étudiée au millimètre par certains pour savoir si Mélenchon va en profiter et alors même que le NPA n’a pas encore désigné de candidatE. Des commentateurs indiquent (sondage à l’appui) que sans Olivier Besancenot, c’est difficile pour le NPA (comme s’il y avait besoin de sondages pour faire ce constat !). Les instituts et médias se réjouissent, ils peuvent vendre et la politique à ce niveau devient de plus en plus une marchandise. Il est de la responsabilité des militantes et des militants de ne pas tomber dans ce panneau, d’être très circonspects sur la lecture et l’interprétation des sondages et en tout cas de ne pas en faire un outil pour opérer des choix politiques.
Didier Duffaud, Hugo Harari-Kermadec, Bernard Galin