Publié le Samedi 29 juin 2024 à 18h00.

Michel Rotman

Michel Rotman, le camarade Béthel à la Ligue, vient de décéder (le 27 mai 2024). Michel était né en 1943 dans une famille juive et communiste. Michel et son frère Patrick (né le 17 février 1949) ont baigné « dans une ambiance familiale nourrie par la résistance communiste, juive polonaise » (Krivine), au cœur de la Résistance, dans le maquis du Limousin dont le dirigeant Georges Guingouin, qui avait leur père pour médecin, fut un de celleux qui ne se ne plièrent pas au pacte Hitler-Staline.

De la rupture avec le stalinisme à la IVe Internationale

La rupture de la famille de Michel avec le stalinisme, à la suite de l’écrasement du soulèvement de Budapest, fut probablement à l’origine de son engagement auprès de l’opposition de gauche au sein de l’UEC (Union des étudiants communistes) et, à la suite de son exclusion, à sa participation à la création de la JCR, de la Ligue puis de la LCR, dont il fut élu au Bureau politique. Avec quelques-unes et quelques-uns d’entre nous, il fut de ceux qui proposèrent l’adhésion de la Ligue à la IVe Internationale. Peu extraverti mais chaleureux, c’est surtout dans les domaines de l’organisation que Michel excella, ayant un rôle important dans la mise en place de l’appareil, de l’infrastructure de l’organisation et de son système de de formation. Il mit aussi à profit pour notre courant les liens qu’il avait avec le milieu artistique par l’intermédiaire de sa femme Josée, comédienne. Michel était la fois efficace et discret tout en faisant preuve d’une grande affabilité. Après avoir été médecin, il se reconvertit par passion dans le cinéma en y associant son amour de l’histoire et des enjeux politiques et sociaux.

En 1978, il prit ses distances avec notre courant le quittant discrètement pour choisir la « voie réformiste » qu’il crut plus efficace, comme Henri Weber (s’y ajouta un désaccord sur le conflit israélo-­palestinien). L’histoire se révèle pourtant souvent impitoyable. La « gauche » sociale-libérale tant dans le domaine social que politique ou dans le domaine international alla de ­renoncements « réalistes » en abandons tragiques et finit par engendrer le Bonaparte Macron. Les terres mauvaises de la « realipolitik » finirent par voir la « gauche gestionnaire » labourer des champs sur lesquels fleurirent l’extrême droite, la xénophobie, l’idéologie sécuritaire et le tsunami social qui déferle en ces temps. Cette progression du racisme et ce retour du fascisme en Europe et France ont dû marquer les dernières années de la vie de Michel.

Le cinéma au cœur

Michel Rotman rompit avec le militantisme et s’investit dès lors de façon privilégiée dans l’activité de producteur de cinéma avec une prédilection pour le documentaire dans le cadre de Kuiv, sa société de production qu’il privilégia bien plus que l’activité politique. Autour d’auteurs très divers comme son frère Patrick, Michael Prazan, Virginie Linhart ou Catherine Bernstein. Il produisit aussi quelques films de fiction. Si certains des films produits comme ceux sur Golda Meir ou Ariel Sharon font pour le moins problème sur le plan historique et politique, nombre de ses productions furent des contributions incontestables à l’histoire des enjeux et tragédies du 20e siècle comme Les Révolutionnaires du Yiddishland (Gérard de Verbizier et Nat Lilenstein) ou Mémoires tsiganes, l’autre génocide (Henriette Asséo, Idit Bloch et Juliette Jourdan). On peut rappeler aussi les fictions historiques comme Le Grand Georges de Francois Mathouret et Patrick Rotman sur le résistant Georges Guingoin.

Nous l’avions croisé lors de l’hommage à Daniel Bensaïd en 2010 et à celui d’Alain Krivine en 2022. Il gardait sa bonhommie et sa bienveillance. Cette fois, quelques camarades comme Francois Sabado, Charles Michaloux, nous et quelques autres, étions là pour dire adieu au camarade Béthel, et au-delà de nos divergences, à Michel. J’ose croire qu’il n’aurait pas hésité à participer au combat unitaire contre la menace ­fasciste.

Philippe Cyroulnik