Publié le Mercredi 20 mai 2015 à 17h40.

Ouvrons les frontières ! Solidarité internationale !

Les images écœurantes de policiers extirpant des migrants de camions stationnés en attente d’embarquement au port de Calais, les faisant basculer derrière une glissière d’autoroute en les rouant de coups, ont abondamment circulé.

Sur les réseaux sociaux, un montage, mêlant ces images à des extraits du discours prononcé le 4 mai dernier par Cazeneuve, en dit long : « notre action porte ses fruits » déclarait le ministre, se référant, comme le font depuis des lustres tous nos gestionnaires à une politique menée avec « humanité, cohérence et réalisme », ajoutant benoîtement : « trop de migrants qui pourraient bénéficier de l’asile hésitent encore » (!). De telles scènes les y inclinent-ils vraiment ? Ou ont-ils simplement conscience de l’implacable réalité de la politique d’asile française ?

Les quotas, une vieille luneSelon les données du portail des plus officiels Toute l’Europe : « Des quatre pays d’Europe ayant reçu le plus grand nombre de demandes d’asile en 2014, la France est celui y accédant le moins avec 21,7 % de réponses positives. En comparaison, l’Allemagne a rendu 41,7 % de réponses positives en 2014, l’Italie 58,5 % de réponses positives et la Suède 76,8 % de réponses positives », et ceci alors même que l’Allemagne recevait plus de 200 000 demandes (et la France trois fois moins).C’est dans ce contexte que la Commission européenne affiche une fois de plus une volonté d’harmonisation des États membres. Dans ce but, Jean-Claude Juncker sort de son chapeau une vieille lune : le coup des quotas. Le plan d’action de la commission doit être présenté au sommet de Bruxelles du 30 juin. D’ores et déjà, on sait que, face à un David Cameron qui, fort de ses succès électoraux et assez logiquement soutenu par le hongrois fascisant Viktor Orbán, exige le renvoi pur et simple des migrantEs qui tentent de gagner l’UE en traversant la Méditerranée, l’Allemagne, la France et l’Italie pourront faire figure de « gentils »...

Mettre fin au contrôle migratoireCette approche par les quotas ou toute autre logique avoisinante appelle de nombreuses remarques. En premier lieu, elle passe par la fusion des politiques d’asile et d’immigration : une imposture ! La question de l’asile ne se pose en effet pas dans les mêmes termes que celle de la libre circulation et d’implantation : le droit d’asile, régi par le Convention de Genève, répond à des critères juridiques précis, dans le seul souci d’assurer la protection des populations. L’asile est accordé individuellement à une personne persécutée ou en danger, en fonction de sa situation. En ce sens, toute approche quantitative de ce droit, qui prétendrait connaître à l’avance le nombre de réfugiés à se distribuer, en est la négation même.Accessoirement, on observera que l’annonce d’une répartition de 20 000 migrantEs est ridicule au regard des urgences...Dans ces conditions, il est clair que ce plan d’action de la commission ne changera rien. Et c’est là que politique d’immigration et politique d’asile finissent de fait par se rejoindre : tant qu’elles seront conduites sous le signe du contrôle, des hommes, des femmes et des enfants, tenteront de passer outre... au péril de leur vie ! Au prix de centaines, de milliers de mortEs. À telle enseigne que les dispositifs de surveillance, dont l’effet direct est de contraindre les passeurs à employer des voies et moyens toujours plus dangereux, sont désormais accompagnés, à grand renfort de publicité, de dispositifs de secours en mer aux moyens renforcés.Un véritable aveu d’échec anticipé en matière de « maîtrise ».

Liberté de circulation et d’installationTout cela paraîtrait juste inconséquent si l’on ne voyait l’impasse où se fourvoient les États-nations en posant l’immigration comme problème (et surtout pas les émigrations forcées, qui les confronteraient à leurs propres responsabilités coloniales). Or cette pétition de principe, quelles qu’en soient les racines (volonté de contrôle de la population, intérêts économiques bien et mal compris, politique de la race, plus ou moins consciente, mais aux relents toujours nauséabonds...) s’auto-entretient : elle finit par créer le problème, alimentant les peurs ou les réticences de ceux et de celles que les politiques d’austérité contribuent à persuader qu’on ne peut décidément pas « accueillir toute la misère du monde »...La révolution doit être aussi copernicienne : en opposant le principe de la libre circulation et installation, en faisant bien sûr porter le coût de sa régulation aux plus riches des pays d’accueil (il ne saurait être question d’en développer une conception ultra-libérale), en soumettant cette régulation à une instance internationale réellement démocratique, on changerait la donne.La question est d’ailleurs loin de n’être qu’européenne : le drame des réfugiés sud-asiatiques en perdition, pour l’essentiel victimes d’islamophobie made in Myanmar (Birmanie) témoigne, parmi d’autres, de la mondialisation de la fabrique de mort.Et si pour faire naître un nouvel ordre mondial, les prolétaires de tous les pays s’unissaient ?

François Brun