Scénario de Philippe Colin, dessin de Sébastien Goethals. Éditions Futuropolis, 152 pages, 23 euros.
Mai 1945. Dans les ruines de Berlin, deux « Wolfskinder »1, orphelins juifs, assistent apeurés à la victoire soviétique. Recueillis par une famille fuyant à Leipzig, Konrad et Andreas Werner vont devenir citoyens est-allemands. C’est la marche de l’histoire. En juin 1953, éclate une première révolte populaire. Andreas est cloué au lit et Konrad cherche désespérément des médicaments dans une pharmacie éventrée par les chars russes. Il est arrêté par un colonel de ce qui allait devenir très rapidement la Stasi. En juin 1956, les deux frères ont rejoint les rangs de la Stasi pour échapper au camp de rééducation. Ils seront les fils de l’Est. Après quelques faits d’armes, ils seront séparés en avril 1962. Konrad est envoyé en RFA et Andreas va infiltrer la fédération est-allemande d’athlétisme.
Un récit historique palpitant
De 1945 à 1974, le récit nous plonge surtout dans la réalité de l’Allemagne de l’Est. Suite au désastre connu pendant la Seconde Guerre mondiale (père et mère exterminés dans les camps de Buchenwald pour le père et Ravensbrück pour la mère) et à leur errance d’enfants-loups dans les ruines, les deux frères ont bien juré de jamais se séparer. De leur recrutement par la Stasi en 1953 jusqu’en 1962, ils se forment puis opèrent ensemble sous les ordres du colonel Gronau. Au fil du temps, ils portent un regard différent sur la « patrie » et sur leur vie. Le premier clash surviendra en décembre 1961 à Rostock où les deux frères sont envoyés pour repérer et arrêter un ancien dirigeant SS du camp de Ravensbrück. Les ordres sont de le ramener vivant mais lorsque le nazi cherche à fuir, Andréas l’abat. Il est mis à l’isolement en prison spéciale et à sa sortie déclare : « Prendre trois mois d’isolement pour avoir descendu un ancien SS c’est difficile à avaler. Surtout pour un juif ». Les deux frères vont être séparés. Konrad, plus obéissant, est envoyé en RFA, tandis qu’Andreas devra empêcher les sportifs est-allemands de haut niveau de passer à l’Ouest.
Juin 1974. 10e coupe du monde de football où un match historique à retentissement mondial va opposer la RFA à la RDA. Pour faire gagner la RDA, Erich Honecker décide d’impliquer les meilleurs agents de la Stasi. Il faut prouver la supériorité du régime socialiste sur le monde capitaliste. Konrad Werner est infiltré depuis des mois dans le staff de l’équipe de la RFA. Andreas Werner est intégré comme kinésithérapeute dans la délégation de RDA. Voilà douze ans que les deux frères ne se sont pas vus. Le choc des deux blocs peut commencer et celui des frères aussi dont les convictions ont évolué différemment. Le résultat du match est connu (1-0 pour la RDA) mais les dessous des deux équipes beaucoup moins. On ne racontera pas la suite, mais vont se dérouler plusieurs matchs à la fois où l’amour fraternel n’aura pas forcément le beau rôle.
Un graphisme qui renforce la tension du récit
Le style de dessin de Goethals est d’ordre réaliste avec une volonté de capter au mieux le naturel des expressions des personnages. Son style peut même relever du mimétisme quand il brosse l’image de Honecker2 ou des véritables acteurs du match comme l’attaquant Jürgen Sparwasser de la RDA ou le rebelle Paul Breitner de la RFA. La justesse du trait des expressions renforce la tension palpable de la première à la dernière page. Goethals maitrise son sujet de bout en bout. L’utilisation d’un ton à une seule dominante par planche dans la mise en couleurs renforce encore l’ambiance guerre froide.
En bref, une belle page d’histoire dominée par une passionnante tension dramatique et conclue par un dossier historique très documenté de Fabien Archambault, en particulier sur les coups tordus de l’impérialisme et du stalinisme qui ont conduit à la création de la RDA.
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