Coordonné par Éric Beynel. Les éditions de l’Atelier, 328 pages, 21,90 euros.
Bonne idée que celle d’Éric Beynel de publier une compilation de témoignages de personnalités syndicales, associatives, du spectacle et de la littérature ayant suivi le procès de France Télécom permettant de lire ou relire1 de multiples points de vue sur le déroulement d’un procès qualifié d’hors normes. Celui de huit dirigeants de France Télécom dont l’ordonnance de renvoi en correctionnelle retenait le cas de 39 victimes, dont 18 suicides et 13 tentatives de suicide de 2008 à 2010, dans le cadre d’une réorganisation visant, selon les accuséEs, à sauver l’entreprise dans la lutte sans merci contre la concurrence, au prix de la suppression de 22 000 postes.
« Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide »
Pour obtenir ce résultat la direction engage une politique assumée de harcèlement collectif : « Ce sera un peu plus dirigiste que par le passé » ; « Il faut qu’on sorte de la position "mère poule" » ; « Ces 22 000 départs, je les ferai d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », (le PDG Didier Lombard). Ainsi que les conséquences : « Lorsqu’on secoue fort un arbre, les fruits trop mûrs ou pourris tombent » ; « Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide qui, évidemment, choque tout le monde. » Des comportements intolérables qui ne font courir qu’un risque juridique bien mince : un an de prison ferme et 15 000 euros d’amendes.
Malheureusement, on peut douter que ce procès ouvre une situation nouvelle dans le combat contre les pires méthodes de management à l’heure où les réformes du Code du travail ont drastiquement réduit les moyens et prérogatives des institutions représentatives du personnel et au moment où l’inspection du travail subit une offensive inédite.
Une interrogation qui donne plus de sens à l’approche de Serge Quadruppani : « Pour rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité, il était bon que les syndicats parviennent à porter sur le plan judiciaire la résistance au harcèlement patronal. Mais on ne doit pas oublier que si cette résistance a pris cette forme, c’est parce que la technique d’individualisation-psychologisation a fonctionné à plein, et qu’il n’y a pas eu de lutte collective d’ampleur en réaction aux attaques managériales. Ce qu’on appelle maintenant "souffrance au travail" était nommé autrefois "aggravation de l’exploitation". C’était quand même plus clair, non ? Pour la masse des salariés, une belle et bonne grève à outrance aurait sûrement bien davantage "restitué une marge de manœuvre" pour reprendre les termes du psychologue-clinicien, que toutes les bonnes paroles des psychologues-techniciens. »
- 1. La plupart des contributions sont consultables sur le site de Solidaires.