Publié le Samedi 18 décembre 2010 à 11h24.

Cancùn, faux-semblants et fausses solutions

Malgré les déclarations optimistes des principaux négociateurs, le sommet de Cancùn sur les changements climatiques, le 16e du genre, a réédité l’échec de Copenhague en 2009, dans un contexte où les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont reparties à la hausse (+3 % environ pour 2010). En effet, la précédente conférence des Nations unies sur les changements climatiques s’était conclue sur l’impossibilité de donner une suite au protocole de Kyoto, en vigueur depuis 2005 et dont les engagements prennent fin en 2012. Rebelote, l’accord de Cancùn reproduit les mêmes déclarations d’intention, sans prendre de réels engagements. La tactique de ces mêmes puissances devait être novatrice : finis les accords globaux et les engagements chiffrés, place au pragmatisme, aux accords ciblés sur quelques thèmes (déforestations, financements pour les pays du Sud…), aux relations bilatérales… Mais la réalité a rattrapé les négociateurs, et c’est à nouveau la question des suites du protocole de Kyoto qui a occupé la majeure partie des débats.

En finir avec le protocole de Kyoto

Quel est l’enjeu ? Rappelons que selon le Giec, pour ne pas trop dépasser 2°C de hausse de la température du globe d’ici 2100, les pays développés doivent réduire leurs émissions de 80 à 95 % d’ici 2050 (par rapport à 1990), tandis que les pays en développement doivent prendre des mesures pour que leurs émissions diminuent de 15 à 30 % par rapport aux projections actuelles. Cela implique des mesures drastiques de transformation des modes de production et de transports, de l’agriculture et de l’énergie. D’où la nécessité d’une action coordonnée au niveau international, avec obligation pour les États et les industries de se plier à des objectifs précis et ambitieux de leurs émissions de GES, tout en reconnaissant la responsabilité commune mais différenciée des différents émetteurs de GES. C’était pour partie la philosophie générale du protocole de Kyoto1. Il s’agit aujourd’hui pour les pays les plus pollueurs d’en finir avec de tels objectifs, de vider Kyoto de tout contenu écologique et de n’en garder que les dimensions liées au marché du carbone. Ainsi, à Cancùn, le Japon a le premier annoncé qu’il refusait toute perspective d’engagements contraints pour l’après 2012, suivi bientôt par la Russie, le Canada et d’autres. L’Union européenne, qui jadis cherchait à passer pour le fer de lance de la lutte contre le réchauffement climatique, affiche une position médiane tendant à se prononcer pour un accord global, mais dans lequel tous les pays devraient prendre des engagements chiffrés ; autrement dit, il faut oublier l’idée de responsabilité « commune mais différenciée » et surtout ne pas considérer la moindre dette écologique du Nord en faveur du Sud, que ces derniers réclament eu égard à des dizaines d’années de pillage de leurs ressources.

Éclatement du G77

Dans le jeu de forces qui se joue lors de négociations, les alliances se font et se défont. Si à Copenhague, le G77 (coalition de pays en développement), emmené par la Chine, avait su faire contrepoids aux puissances impérialistes, le bloc est aujourd’hui éclaté, la Chine se faisant plus discrète bien que se déclarant prête à accepter des contraintes de réductions. De leur côté, les pays africains subissent de grosses pressions, notamment via les réseaux de la Françafrique, pour accepter les conditions dictées par les pays riches. Seule la Bolivie, soutenue par d’autres pays de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) maintient une ferme opposition et défend un nouvel accord post-2012. Evo Morales était d’ailleurs un des rares chefs d’État présents à Cancùn, où il s’appuyait sur les mobilisations indigènes et les conclusions du sommet de Cochabamba d’avril dernier. Ce sommet avait en effet débouché sur l’Accord des peuples, réclamant entre autres la réduction de 50 % des GES des pays développés2. Dès lors, la Bolivie s’est vu accusée de bloquer les négociations et de défendre une position idéologique, face au pragmatisme écologique des autres pays. C’est d’ailleurs le seul pays à avoir refusé de signer l’accord de Cancùn.

Utilisation de jockers technologiques

Une fois l’accord de Kyoto vidé de sa substance, les puissances industrielles veulent pouvoir négocier une série d’accords spécifiques, chacune ayant sa préférence. Ainsi, Kyoto avait écarté le nucléaire et la captation de CO2 des technologies propres permettant de bénéficier de crédits carbone. Mais ceux-ci sont en passe d’intégrer la liste des moyens de lutte contre le réchauffement. Autrement dit, si un pays, au hasard la France, construit une centrale nucléaire dans un pays du Sud, il bénéficiera de crédits lui permettant d’émettre des quantités correspondantes de carbone. Si pour le nucléaire, la France est concernée en premier chef, pour la captation de carbone, la Chine et l’Inde sont fortement intéressées. Or, si on peut discuter du bien-fondé d’une telle technologie, qui n’est pas sans danger3, il s’agit une nouvelle fois d’un joker technologique qui doit permettre de ne pas s’attaquer réellement à la production même de gaz à effet de serre. Autre grand sujet des négociations, les forêts risquent également de faire les frais des politiques de marchandisation du climat. L’Union européenne est en première ligne pour négocier le paquet dit « LULUCF » (Land use, land-use change and forestry, usage de la terre, transformation de l’usage de la terre et des forêts) qui vise à échanger une limitation des réductions de GES contre des aides au développement des capacités de la terre et des forêts à capter et séquestrer le carbone (puits de carbone), de même que le projet REDD+ (Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation : réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts) dont l’objectif est de financer la protection des forêts par les bénéfices de la finance carbone, ce à quoi s’opposent les pays de l’Alba et les peuples indigènes.

Naissance d’un impérialisme « vert »

Enfin, une grosse pierre d’achoppement tient aux modes de financement pour l’aide et l’adaptation des pays du Sud face au réchauffement climatique. D’une part, la nature de tels financements pose problème. Pour les grandes puissances, il ne doit s’agir que de financements privés, issus notamment de la finance carbone, et ceux-ci ne pourraient être attribués que sur la base de projets précis : aucune somme ne serait allouée a priori, ce qui réduit la capacité d’agir des pays concernés. D’autre part, même si Cancùn finit par entériner ce qui avait été prévu à Copenhague, les éventuelles sommes allouées seraient bien trop faibles pour faire face aux conséquences des dérèglements climatiques : 3 milliards de dollars par an jusqu’à 2012, puis 100 milliards en 2020 sont des sommes ridicules par rapport aux estimations de l’ONU qui chiffre les besoins à 450 milliards par an en 2020. Enfin, les structures de gestion de ces fonds sont également une pomme de discorde. La Banque mondiale qui souhaite les gérer est plus un problème qu’une solution ; en effet, elle ne finance que des gros projets, sous la forme de prêts conditionnés (soit une nouvelle forme d’ajustements structurels au nom du climat), sans tenir compte de l’ensemble des paramètres sociaux et environnementaux, et par ailleurs, il s’agit d’une institution profondément antidémocratique puisque les États y sont représentés au prorata de leurs budgets respectifs, ce qui minore fortement les pays pauvres, premiers concernés par l’adaptation aux changements climatiques. Cette nouvelle forme d’impérialisme « vert » demeure au final le fil directeur des négociations sur le climat. 1. Cependant, c’est ce même protocole, aux objectifs très faibles, qui a ouvert la voie aux mécanismes marchands et à la finance carbone.2. Voir le texte de la déclaration sur http://climatjustice.files.wordpress.com/2010/04/accorddespeuples_cochabamba-vfin.pdf 3. Pour plus de détails, voir le rapport de Greenpeace : www.greenpeace.org/canada/PageFiles/9404/faux-espoir.pdf

Marches pour le climat

Le 7 décembre a eu lieu la convergence des multiples actions du mouvement global pour la justice climatique. À la suite de l’appel de la Via Campesina à démultiplier les mobilisations sur toute la planète, la convergence des marches pour le climat en Amérique latine a donné à entendre la voix des peuples indigènes. Les manifestations et les actions de désobéissance se sont poursuivies toute la journée, organisées par différents réseaux, mais tous dénonçant la mainmise des grandes puissances sur les négociations internationales. Aux cris de « La Banque mondiale hors de la finance du climat », « Changeons le système, pas le climat ! », « Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, protégeons l’environnement, coûte que coûte ! », ou encore « Si Zapata vivait, il protégerait les forêts ! », on a pu constater la vitalité des mouvements pour la justice climatique. Une vingtaine de représentants de la société civile ont d’ailleurs dès le lendemain été exclus des négociations, bien qu’ils aient été accrédités, à cause de leur participation à la conférence de presse de Via Campesina. Preuve supplémentaire de la confiscation du pouvoir par les négociateurs officiels et de l’absence de prise en compte des revendications populaires.

Plan d’urgence pour la justice climatique

Si limiter la hausse du réchauffement climatique prendra du temps, on doit dès maintenant indiquer quelques pistes pour dessiner une rupture avec les modes polluants de production et de transports. Ainsi, le NPA défend les revendications suivantes :- Arrêt des nouveaux projets autoroutiers (plus de 1 000 km d’autoroutes inscrits dans le Schéma national des infrastructures de transport) et du développement du transport aérien (aéroport de Notre-Dame-des-Landes). - Développement de transports en commun de qualité, fréquents et gratuits et la priorité au transport de marchandises par voie ferrée et fluviale (articulation fret-ferroutage), ce qui implique l’arrêt de la réforme du fret et le développement du service public des transports ; interdiction du transport routier longue distance et mettre fin à la logique de « stocks roulants ».  - Mise en route d’une relocalisation de la production, de la transformation et de la distribution agroalimentaire : les systèmes de proximité sont cruciaux pour les paysans, pour les consommateurs, mais aussi pour limiter l’émission de gaz à effet de serre. - Réduction radicale du temps de travail pour travailler moins, travailler tous et toutes, produire moins et vivre plus ! - Remplacement complet des énergies épuisables, dont le nucléaire (arrêt de la construction des réacteurs EPR et du projet Iter), par les énergies renouvelables, indépendamment de leur coût. - Refinancement de la recherche publique et des programmes orientés sur l’efficacité énergétique ainsi que les renouvelables. - Création d’un service public du logement, en charge d’offrir à chacun un logement de qualité et organisant l’isolation de tous les logements et bâtiments. - Nationalisation des grandes entreprises du secteur énergétique.- Suppression de la production non nécessaire (armes, publicité…) avec reconversion des industries et des travailleurs des secteurs polluants dans d’autres secteurs, avec maintien des statuts, des salaires, des collectifs de travail, et un droit à la formation pour tous et toutes. - Transfert gratuit aux peuples du Sud des technologies propres nécessaires à leur développement et la construction d’un fonds mondial pour l’adaptation aux effets inévitables du réchauffement, alimenté par les sur-profits capitalistes et contrôlé par les mouvements sociaux du Sud. - Contre l’étalement urbain, promouvoir un aménagement du territoire qui rapproche les habitations des lieux de travail et remettre en cause la flexibilité du travail qui contraint les travailleurs à l’utilisation de leur voiture. - Redistribution radicale des richesses en prenant l’argent là où il est pour financer les mesures de transition.