Publié le Mardi 24 octobre 2023 à 17h00.

Le Soissonnais contre une multinationale

La résistance à l’implantation de l’usine Rockwool à Soissons ou comment le capitalisme veut saisir l’opportunité de la lutte contre le réchauffement climatique en… polluant gravement.

Sur le plateau du Soissonnais, est prévue l’implantation d’une usine pour fabriquer un isolant, la laine de roche. Jusqu’ici tout semble cohérent : on a besoin d’isolant pour les toitures et les murs.

Cela va créer quelques emplois ! L’emploi industriel a beaucoup chuté dans le Soissonnais après la fermeture des usines métallurgiques. À l’époque, la lutte des salariéEs de Wolber (Michelin) à Soissons rencontrait l’indifférence complice d’un Lionel Jospin défendant « l’État qui ne peut pas tout ».

Un procédé d’isolation dépassé et très polluant

La laine de roche est fabriquée par la fusion à 1 500 °C de basalte, qui n’est pas une roche locale. Cette activité va produire une consommation d’eau (le tiers de toute la consommation de tout le Soissonnais) et d’énergie phénoménale, et déverser des rejets toxiques très importants comme en témoignent la présence dans le projet de trois cheminées, la plus haute est prévue à 50 et 75 m.

Les chiffres des rejets annuels prévus sont impressionnants : 151 tonnes pour l’oxyde d’azote (NOx), 73,5 tonnes pour le dioxyde de soufre (SO2), 255 tonnes pour l’ammoniaque (NH3), 84 tonnes pour les composés organiques volatils (COV), 173,6 tonnes pour les poussières, les fameuses particules fines, etc. Et l’on ne compte pas l’intense trafic de poids lourds amenant la roche.

D’autres produits biosourcés sont plus efficaces et moins polluants : bois, laine de chanvre ou de lin, ouate de cellulose, textile recyclé... Ils tirent souvent leurs ressources du local et du recyclage, et nécessitant donc moins de grosses infrastructures juteuses.

Un village contre une multinationale

Le mouvement de résistance part de la commune péri-urbaine de Courmelles. Après une enquête publique très majoritairement hostile mais une acceptation du préfet, le maire, un agriculteur, Arnaud Svrcek, refuse de délivrer le permis de construire. Il a en face de lui une multinationale danoise1.

Les maigres manifs du début grossissent. Un appel de 131 médecins, 33 pharmaciens, 23 sages-femmes, 84 infirmières s’inquiète de la santé des Soissonnais. De grosses manifestations de plus de 1 500 personnes ont lieu. La dernière date du 7 octobre 2023. Les maisons de la ville et des villages environnants affichent des « Rockwool, on a dit NON » et la mairie de Soissons, après avoir menacé de procès pour « affichage publicitaire sans autorisation » renonce à combattre le phénomène.

Le mouvement est « transpartisan », avec un investissement fort des Verts et une présence des syndicats CGT et Solidaires, mais il est soutenu de loin par le député RN et plus récemment par le parti macroniste axonien lui-même. Yannick Jadot a fait le déplacement dernièrement.

En face, le maire de Soissons Alain Crémont (LR), président de la communauté d’agglo, poursuit sans sourciller la politique « créatrice d’emplois » de son prédécesseur Jean-Marie Carré, social-démocrate dérivant vers le macronisme. Il aurait pourtant la possibilité légale de reprendre le terrain sans pénalités, après le temps perdu par la multinationale dans des procès au tribunal administratif n’ayant abouti qu’à quelques retards, avec une nouvelle étude d’impact. C’est sur ce terrain strictement légal que se situe le Collectif Stop Rockwool. Pas de ZAD à l’horizon.

  • 1. Arnaud Svrcek, Le Village contre la multinationale, Le Seuil, 2022.