On le sait, le temps du vélo est venu. Moins polluant, moins gourmand en surfaces bétonnées, moins bruyant, bon pour la santé, d’un prix abordable, le vélo peut redevenir un moyen de locomotion utile dans notre quotidien, surtout s’il est combiné avec les transports en commun gratuits. Il offre une réponse efficace aux besoins de déplacement et à la crise climatique. Mais le temps du vélo est aussi venu pour les plateformes numériques de commerce en ligne qui ont bien compris l’intérêt de l’utiliser pour maximiser leurs profits.Le capitalisme de plateforme est une forme radicalisée du capitalisme néolibéral qui met en relation directe les clients avec les prestataires de service via des applications numériques : un donneur d’ordre et des exécutantEs, indépendantEs, en concurrence entre eux, soumis au statut de micro-entrepreneur. Pas de cotisations patronales à payer, pas d’outil de travail à fournir, horaires flexibles et décalés, pas de code du travail à respecter, pas de responsabilité en cas d’accident ou de maladie : le jackpot assuré !
Pourquoi le vélo ?
Ces emplois sont occupés la plupart du temps par des jeunes hommes, étudiants ou sans qualification professionnelle, des travailleurs étrangers, voire sans papiers, obligés de louer des comptes bancaires à des Français. Leur outil de travail, c’est le vélo.
Simple, maniable, rapide en ville, supportant des charges, le vélo est le moyen de transport tout trouvé pour les nouveaux esclavagistes de la livraison. Fourni, entretenu, assuré par celui ou celle qui pédale, il assure, dans les villes embouteillées, une rapidité que les autres véhicules ne peuvent fournir. Voilà comment le vélo que nous plébiscitons pour ses qualités écologiques, économiques et sanitaires a été récupéré par les patrons du commerce en ligne qui ont bien saisi l’intérêt de l’assujettir à leur business.
La crise du Covid et Uber
Le capitalisme de plateforme a rendu les travailleurEs à vélo aussi populaires que les soignantEs. Grâce à eux et elles, l’activité des restaurants fermés était maintenue, les livraisons des produits de première nécessité étaient assurées, des repas étaient livrés aux hospitaliers… Monoprix, Franprix, Leclerc, Carrefour s’en sont bien servi.
Les communicants ont réussi à faire passer l’activité des plateformes en ligne pour essentielle à l’économie mise au ralenti par le virus, en particulier aux TPE et PME. Même si, en réalité, les forçats du vélo pédalaient pour livrer des pizzas ou des burgers. Sans droit au chômage, aux congés maladie, sans soutien financier de l’État, les galériens des deux roues ont continué leurs livraisons, au péril de leur santé, s’ils ne se payaient pas les moyens de se protéger. Des luttes chez Deliveroo ont dénoncé ces conditions de bagne. À Bordeaux, des coursiers à vélo ont monté une SCOP pour sortir de l’ubérisation et se réapproprier leur activité.
Deliveroo ou le non-sens du travail
La crise du Covid-19 interroge sur le sens du travail, sur la redéfinition de sa valeur, sur la hiérarchie des emplois. La vraie question est : de quels emplois avons-nous besoin ? Le crise a montré toute l’utilité des métiers très féminisés, invisibles, mal payés, voire méprisés. Les « premierEs de corvée » sont apparus pour ce qu’ils et surtout elles sont : indispensables à la société. Le confinement a mis en avant des priorités dans les consommations, donc dans les productions. Se nourrir en fait partie. Alors, oui, les livreurEs à vélo ont leur utilité dans la livraison de nourriture. Voilà pourquoi ils et elles doivent avoir un vrai statut encadré par le code du travail, un vrai salaire donnant droit à la protection sociale, des horaires fixés, être sans concurrence entre eux, avec les mêmes droits et protections que les salariéEs. Et un outil de travail payé par l’employeur, des vélos en état et équipés. Alors, plus que jamais, faisons au vélo la place qu’il n’aurait jamais dû perdre, pour l’intérêt commun.