La situation actuelle est particulière. Alors que, en général, à la veille d’une crise, bourgeoisies et gouvernements relativisent les choses, cette fois-ci, ce n’est pas le cas : « Nous ne sommes pas à l’abri d’une récession », déclarait ainsi Roux de Bézieux, le patron des patrons, à la veille de l’université d’été du Medef.
Simple intox pour annoncer aux travailleurEs et retraitéEs qu’il va falloir encore se serrer la ceinture ou bien perspective réelle ? Certains « experts » économiques ont trouvé le responsable : Trump et sa guerre commerciale avec la Chine. En fait, le président US n’est pas un éléphant qui dévasterait un magasin de porcelaine florissant : l’économie mondiale tourne au ralenti et les organismes internationaux revoient de plus en plus leurs prévisions à la baisse. La situation US est incertaine mais la zone euro, et en premier lieu l’Allemagne, est au bord de la récession (c’est-à-dire du passage à une croissance négative) : la production industrielle a baissé de 1,6 % en juin 2019 par rapport à juin 2018. En Chine aussi la croissance ralentit malgré les mesures répétées de soutien à l’économie.
Ralentissement du commerce international
Le commerce international connait aussi un net ralentissement. La surproduction est patente dans la sidérurgie et l’automobile. Une baisse de l’ordre de 3 % de la production mondiale automobile est attendue pour 2019. La Chine, premier marché au monde, tomberait à moins de 25 millions de véhicules, soit une baisse de 6 % depuis son pic de 2017.
Les taux de profit des dernières années ne paraissent pas avoir retrouvé leur niveau de 2007. La hausse du taux d’exploitation est aujourd’hui le principal instrument de lutte du capital pour sauvegarder les profits. Les salaires stagnent (sauf ceux des catégories supérieures et de branches particulières) dans les économies développées (y compris dans celles qui affichent des taux de chômage faibles comme l’Allemagne et les États-Unis). Les États jouent également leur rôle de « béquilles » du capital : aux États-Unis (et dans d’autres pays), les baisses des impôts sur les entreprises ont soutenu les profits (après impôts).
Les profits réalisés par les entreprises ont largement servi à des opérations de fusion, des rachats d’actions et des distributions de dividendes ou bien demeurent sur des placements liquides, tandis que l’investissement privé reste limité. L’investissement public est contraint par les politiques d’austérité.
Hausse de l’endettement
Le capitalisme est plus que jamais financiarisé. Les actifs financiers continuent en effet de croitre une fois passé le choc de 2007-2009. Actuellement les marchés financiers sont ballottés au gré des annonces US. Les taux d’intérêt sont aujourd’hui clairement orientés à la baisse, voire négatifs. Une apparente irrationalité : ces taux ont plongé et les taux à moyen et long terme ont tendance à être plus élevés que les taux pour les titres à court terme, ce qui traduit l’incertitude dans laquelle sont placés les financiers pour le proche avenir : les titres à long terme émis par les grands États fonctionnent comme refuge.
Par ailleurs, l’endettement des États et surtout des sociétés non financières (les entreprises) est reparti à la hausse. En cas de net retournement économique, certaines de ces entreprises pourraient avoir des difficultés à rembourser, ce qui mettrait les banques en difficulté. On assiste depuis 2008 à une prolifération des « entreprises zombies » qui ne survivent qu’en s’endettant et en profitant des faibles taux d’intérêt.
Y a-t-il encore un pilote dans l’avion ?
Donc, non seulement se profile un fort ralentissement des économies mais existent les éléments d’une crise financière. Dans l’immédiat, aussi bien la BCE que la Réserve fédérale américaine sont en éveil, et ont renoué avec la baisse des taux et les rachats de titres. Quant à la Chine, elle a annoncé plusieurs mesures de soutien de l’économie. Au niveau budgétaire, la donne a changé aux USA avec Trump qui a baissé massivement les impôts des riches et des entreprises et augmenté les dépenses militaires d’où une hausse du déficit désormais acceptée par les Républicains.
Mais une autre question se pose : y a-t-il encore un pilote dans l’avion mondial pour impulser des actions coordonnées ? Trump fait flèche de tout bois pour défendre le statut et les intérêts du capitalisme US, tant économiques que politiques et militaires. Il multiplie les initiatives unilatérales. Parfois, il recule ou temporise, mais le climat d’incertitude est de plus en plus net. Il est donc douteux que, en cas de nouveaux soubresauts financiers, les USA aient la possibilité et la volonté de rassembler sous leur houlette les autres États capitalistes ; il se pourrait même qu’ils fassent obstacle aux tentatives de coopération… Ce pourrait être un facteur important d’approfondissement de la crise.
Pour résumer la situation : le ralentissement est en cours, la crise financière est probable à un horizon assez bref (mais qu’on ne peut déterminer). Un certain désarroi règne dans les « hautes sphères » toujours déterminées à faire payer la facture par « ceux d’en bas ». Mais, dans le même temps, cette crise constituera un révélateur de la réalité d’un système où ce sont toujours les mêmes qui subissent…
Henri Wilno