Publié le Mardi 24 décembre 2024 à 13h00.

Vous avez dit « loi spéciale » ?

Le budget de l’État doit être adopté impérativement en décembre chaque année afin d’autoriser dès janvier le prélèvement de l’impôt et des taxes nécessaires aux dépenses de fonctionnement, comme la contribution aux financements des collectivités territoriales ou le paiement des salaires des fonctionnaires par exemple et aux dépenses d’investissement. Cette année avec le rejet du projet de budget et la censure du gouvernement Barnier, il n’a pu être voté.

Pendant quelques jours, on a entendu une petite musique qui expliquait que nous allions entrer dans le « shutdown ». Shutdown qui s’est produit plusieurs fois aux États-Unis sous diverses présidences : Clinton, Obama, Trump. Sans budget autorisé, la paralysie de l’administration américaine a mis à l’arrêt une très grande partie des dépenses de l’État avec des conséquences dramatiques pour les populations, en particulier les plus pauvres et les fonctionnaires.

Le shutdown, chantage contre l’opposition

Sous la première présidence de Trump, le shutdown s’est produit après que les parlementaires démocrates ont refusé le projet de budget, lequel exigeait 5,7 milliards de dollars pour construire un mur anti-migrants ! Plutôt que de reculer sur cette aberration faramineuse et raciste, Trump s’est entêté. Sans budget, il a ainsi déclenché une panne quasi-totale de l’administration. 800 000 salariéEs ont été touchéEs, la moitié, sous statut de contractuelLEs, ont été renvoyéEs chez elleux et licenciéEs, l’autre moitié a été réquisitionnée sans salaire immédiat. Une partie des crèches, des écoles, des hôpitaux ont été obligés de fermer.

La loi spéciale, loi de dérogation à la loi générale

En France, le shutdown est juridiquement évité. L’article 47 de la Constitution et l’article 45 de la LOPS (loi organique relative aux dépenses publiques) prévoient une procédure exceptionnelle grâce à une loi spéciale. Celle-ci n’a été utilisée qu’une seule fois sous Giscard d’Estaing, le budget pour 1980 ayant été retoqué par le Conseil constitutionnel. La loi spéciale autorise dans une situation provisoire et de manière temporaire la perception des impôts et des taxes pour assurer le financement des dépenses essentielles afin d’éviter une « panne générale » de l’administration et la fermeture de nombreux services. La loi votée cette année, sans surprise, autorise la levée de l’impôt pour les recettes, la possibilité de recourir à l’emprunt pour couvrir les besoins de financement, notamment pour maintenir le niveau de prestations sociales.

Une loi administrative, vraiment ?

C’est ce que tente de nous faire croire Macron ! Mais pourtant qu’y a-t-il de plus politique qu’un budget qui décline concrètement les orientations politiques ? La loi votée le 18 décembre par l’Assemblée nationale et le Sénat à l’unanimité a comme un relent d’union nationale. Comment le budget 2024, budget d’austérité, qui ne prend pas en compte l’inflation ce qui a encore paupérisé les plus pauvres d’entre nous, comment ce budget minable dont la continuité dans le projet de budget 2025 a été rejeté, a conduit à une motion de censure du gouvernement et à la démission de Barnier, comment n’a-t-il pas suscité d’amendement à gauche, pourquoi a-t il été voté ? En décembre 1979, Maurice Papon (eh oui!), alors ministre du Budget, affirme devant les députés que « la loi spéciale c’est un texte purement juridique qui ne traite d’aucune question de fond ». Mitterrand (PS) et Lajoinie (PC) respectivement présidents des groupes socialiste et communiste à l’Assemblée nationale, ont présenté de nombreux amendements : 20 pour les socialistes et 6 pour les communistes. Ils exigent notamment pour voter la loi « la création d’un impôt sur les grandes fortunes et sur le capital des entreprise, une TVA zéro pour les produits de première nécessité, une taxe exceptionnelle sur les produits pétroliers ». La loi est passée, 287 pour, 200 contre. Mais fidèles au mandat donné par les électeurEs de la classe ouvrière qui leur faisaient (encore) confiance, ils ont su faire du passage d’une loi voulue administrative par un pouvoir autoritaire un moment de politisation !

Victorine Laforge