Ce 52e congrès confédéral de la CGT se plaçait dans un contexte particulièrement délicat. Le 51e congrès de Marseille venait dans la foulée de l’ « affaire Lepaon », et se déroulait dans un contexte de mobilisation sociale importante (loi travail) dans laquelle la CGT jouait un rôle moteur. Le tout avait permis à la direction confédérale et à Philippe Martinez de conforter leurs positions. Rien de tel à Dijon pour le 52e congrès.
Il s'agissait du premier congrès après la rétrogradation de la CGT au second rang dans la mesure de la représentativité au travers des élections professionnelles. Même si ce résultat ne bouleverse pas le rapport des forces sur le terrain, notamment en matière de capacité de mobilisation, il rend visible une érosion aux causes multiples. Modifications de l'appareil industriel, économique, entraînant un affaiblissement et la désagrégation des repères collectifs, qui touchent plus particulièrement la CGT, pour laquelle ses secteurs d'implantation traditionnels sont les plus touchés. Phénomènes aggravés par la réduction a minima du secteur public, avec souvent l’ « accompagnement » d'une CGT suiviste par rapport au PCF. Un affaiblissement confirmé par la baisse du nombre d'adhérentEs à 653 000 membres (- 43 000 entre 2012 à 2017). Un congrès qui se déroulait dans le nouveau contexte pour les institutions représentatives du personnel, considérablement affaiblies par les lois El Khomri et Code du travail Macron, venant après les régressions mises en oeuvre par Sarkozy, Rebsamen, etc. Des bouleversements qui accaparent une grande part de l'activité des militantEs syndicaux depuis des mois. Les conséquences, outre la perte des moyens avec un nombre total d’éluEs salariéEs « protégéEs » qui aura chuté de 700 000 à 500 000 d’ici à la fin de l’année, seront l'aggravation du repli sur l'entreprise, au détriment de l’interprofessionnel, et la concentration entre moins de militantEs des moyens d'activité encourageant l'accroissement de la délégation de pouvoir et de la « fonctionnarisation », de la bureaucratisation notamment dans les grandes entreprises. Et la considérable perte de moyens en matière de santé et sécurité au travail avec la quasi disparition des CHSCT. Enfin, le congrès s’est déroulé dans le contexte de la mise en porte-à-faux du syndicalisme par le mouvement des Gilets jaunes. D'énormes difficultés à rejoindre, à renforcer ce combat qui renvoient à la mise en cause à la fois des stratégies du syndicalisme, de ses modes d'action et aux réalités de son implantation.
UN CONGRÈS (EN)CADRÉ
Un congrès confédéral de la CGT, c'est 1000 déléguéEs, 500 invitéEs syndicalistes, sociologues, responsables politiques, animateursEs de stands de cabinets d'experts en matière économique, de sécurité du travail, de mutuelles, des maisons d'éditions « amies », des spectacles mais aussi des stands d'entreprises comme EDF-GDF. L'occasion de montrer que si, comme l'a dit Laurent Berger, « le syndicalisme est mortel », la CGT n'est pas à l'agonie.Mais c'est aussi un document d'orientation de près de 100 de pages avec 551 points de discussion. Un document lu, discuté, peut-être, par quelques centaines (milliers ?) de militantEs. 2300 amendements portés par plus de 200 syndicats. Autant dire que les débats d'un congrès sont très loin de traverser l'ensemble du corps militant. D'autant plus que, pour ce congrès, aucune discussion préparatoire n'a été organisée, à l'exception de la tournée de Martinez dans de multiples structures. Un face-à-face base/ secrétaire général ressemblant fort à la tournée de Macron à l'occasion du grand débat-grand bla bla.
Pour la direction, l'objectif est de faire valider sur la place publique ses orientations, ses objectifs organisationnels. Pour limiter les risques, le tri des déléguéEs est soigneusement organisé grâce aux filtres que constituent les fédérations et les unions départementales. Ceci permet d'approcher les quotas fixés pour les jeunes, les IngénieurEs, cadres et technicienEs (ICT), les femmes, et avec un ticket d'entrée facilité pour les « primo-déléguéEs » dans une proportion de 80 % à Dijon. Et de laisser une place limitée aux éventuelLEs opposantEs. En fait, en raison notamment du refus de structurer les débats en amont avec la possibilité de regrouper contre-propositions et amendements, les discussions partent un peu dans tous les sens, avec des votes sur des points souvent très partiels, au gré de la volonté de certainEs de maintenir des amendements… et du bon vouloir de la tribune de les mettre au vote.
DES CRISTALLISATIONS SECONDAIRES
Face au constat, partagé, d'affaiblissement de la CGT, les directions confédérales successives continuent de proposer les mêmes réponses, refusant pour l'essentiel de reconnaître des erreurs dans les orientations et les modalités d'action. Et, en panne de projet politique depuis les prises de distances et l'affaiblissement du PCF, elles tentent d'y substituer le « Nouveau statut du travail salarié » et la « Sécurité sociale professionnelle », imaginés depuis 2006 pour répondre aux vagues de licenciements et à la précarisation des emplois, des luttes qui enregistrent plus d'échecs que de succès. Avec en complément la remise en cause des structures. Faute d'une réelle organisation des réflexions, les points qui font débat, cristallisent des tensions et des votes ne sont pas nécessairement au centre des véritables enjeux. Par exemple, en ce qui concerne la stratégie des luttes, ni la contestation des journées « saute-mouton », ni le bilan de la mobilisation des cheminotEs, ni les difficultés rencontrées dans les relations avec le mouvement des Gilets jaunes ne font l'objet d'échanges structurés. Au bout du compte, le débat ne se cristallise vraiment que sur un seul point, le syndicalisme rassemblé. Un hochet partiellement écarté lors du 51e congrès et remis à l'ordre du jour à Dijon. Tout débat sur l'unité dans l'action est en fait plombé par l'hostilité que suscite la CFDT. Mais rien n'émerge sur la stratégie à mettre en oeuvre pour élargir les mobilisations, les coordonner, gagner. Même le remplacement du « syndicalisme rassemblé » par « l’unité d’action sur la base des revendications », accepté à Marseille en 2016, est repoussé par la direction. Une autre cristallisation des débats a lieu sur la question du syndicalisme international. Un débat largement plombé lui aussi par les positionnements de la CFDT dont le secrétaire général Laurent Berger était annoncé comme futur président de la CES. Un débat à faible enjeu dans la mesure où tant la FSM que la CSI accueillent en leur sein des syndicats peu fréquentables et ne sont pas vraiment des outils de coordination des luttes au niveau international. Certes la coordination, l'impulsion de mobilisations à l'échelle internationale dans le cadre de la mondialisation capitaliste sont indispensables, ne serait-ce que contre la répression. En fait, c'est l'acharnement de la direction à refuser l'amendement proposant l'ajout de la FSM, à la suite de CES et de la CSI comme organisation avec lesquelles la CGT doit « rechercher constamment l'échange et l’unité », qui a mobilisé le congrès en soutien aux syndicats pro-FSM. Le troisième point de fixation s'est cristallisé dans le débat sur les structures. Pourtant Martinez avait, là aussi, tenté de déminer le débat en rendant hommage à l'action des unions locales. Sur ces questions, le débat est récurrent depuis plus de 10 ans. Réduction drastique du nombre de fédérations, mise sous tutelle des UD et des UL par des comités régionaux non élus, contournement des UL par les syndicats de zone, de site, autant de modifications qui reviennent dans les débats à chaque congrès et sont repoussées notamment par le refus d'une majorité de grosses fédérations de céder prérogatives et moyens. Pourtant l'enfermement du syndicalisme sur un seul lieu de travail, engagé par la reconnaissance du syndicat dans l'entreprise en 1968, arrive à un point d’extrême nocivité avec les récentes réformes El Khomri-Macron qui placent la plupart des négociations au niveau de l'entreprise. Dans ce débat, lui aussi nécessaire, la direction confédérale à dû renoncer à soumettre au vote la proposition de mise en place accélérée des comités régionaux censés chapeauter les UL et les UD jugées politiquement incertaines, craignant de subir un nouvel échec.
DES CONTESTATIONS IMPORTANTES
Ainsi, faute de droit d'organisation des débats, les oppositions à la ligne confédérale se concrétisent autour de votes qui ne sont pas vraiment au coeur des enjeux. Les votes traditionnels (rapport d'activité, orientation) se maintiennent de congrès en congrès autour de 60% pour, 30% contre et 10% d’abstention, cette dernière n'étant pas prise en compte dans les résultats officiels. Sachant qu’il faut considérer, en regardant ces chiffres, le mode d’ « élection » des déléguéEs et les modalités de la prise en compte des votes (seuls les contre et les abstentions doivent être dument justifiés, tout le reste étant « pour » !), contrôlés par les responsables de délégations (qui ne sont pas, elles et eux, des primo-déléguéEs). De la même façon, pour l'élection à la Commission exécutive confédérale, la direction a réussi à repousser les candidatures non officielles. Les contestations, dans l'impossibilité de mises en commun, sont issues essentiellement d'UD (Bouches-du-Rhône, Nord, Val-de-Marne) et de fédérations (chimie, agro, construction) auxquelles peuvent se joindre sur certains thèmes d'autres structures, affichent une radicalité dont l'efficacité n'est pas toujours évidente. L'adhésion à la FSM de certaines structures, le faible impact de la manifestation du 27 avril ne suffisent pas à tracer une autre orientation permettant au mouvement syndical de renverser la tendance dominante d'échec des mobilisations.
LES VRAIES BATAILLES SONT DEVANT NOUS
Si, globalement, les interventions combatives, radicales, voire critiques, ont été plébiscitées à l’applaudimètre, et si la déclaration finale donne une tonalité « gauche » au congrès, c'est le statu quo qui prévaut. Même si de réelles évolutions sur les questions féministes, LGBT ou l’antiracisme, voire l’écologie, sont perceptibles. Dans de nombreuses entreprises, les militantEs CGT apparaissent clairement comme celles et ceux qui se battent contre le patron, pour défendre les salariéEs. L'insistance avec laquelle les médias se désolent (ou se félicitent) de l'impossibilité pour Martinez de réduire ses oppositions et de pouvoir assumer pleinement le dialogue social montrent que ce syndicalisme-là est encore un outil de lutte. Dans les mois qui viennent, la possibilité de succès des mobilisations sur les retraites, l'assurance chômage, contre le démantèlement des services publics et aussi contre la répression, seront des échéances plus importantes qu'un congrès confédéral. Pas sûr que le 5e congrès CGT en ait été la meilleure préparation.
Robert Pelletier