Jeudi 27/02, le Conseil d’État examinera la légalité de décisions par lesquelles le Ministère du travail a retiré à Gérald Le Corre ses mandats de représentant de la CGT au sein du Comité régional d’orientation des conditions de travail et de l’Observatoire du dialogue social. Petit retour sur cette affaire, qui témoigne d’une véritable chasse aux syndicalistes lutte de classe au ministère du travail.
La tentation de brider la parole des inspecteurs et inspectrices du travail vis-à-vis de la politique gouvernementale est ancienne. Martine Aubry, alors Ministre du travail, avait ainsi pris une circulaire « ferme ta gueule » pour faire taire les agent-e-s de l’inspection sur ses projets et plus généralement sur les conditions de travail et d’emploi des salariés. Ces tentatives néanmoins ne sont pas parvenues à empêcher l’expression critique sous couvert syndical, la participation de nombreux collègues à l’activité syndicale interprofessionnelle ou le soutien aux luttes de travailleurs du privé.
Restrictions du droit syndical
Tout s’accélère néanmoins avec la loi El Khomri, qui entre autres mauvais coup comprenait la mise en place d’un « code de déontologie » pour l’Inspection du travail. En fait de déontologie, un véritable règlement disciplinaire qui prévoit notamment que les agentEs ne peuvent, y compris en dehors du service, « tenir des propos de nature à nuire à la considération du système d’inspection du travail ». Ils et elles sont également interdits « de se prévaloir de la qualité d’agent du système d’inspection du travail dans l’expression publique de leurs opinions personnelles ». C’est sur le fondement de ces dispositions que l’administration a intenté une procédure disciplinaire et infligé une sanction fin 2017 à une militante de Sud Travail qui s’exprimait pourtant à titre syndical à l’occasion d’un rassemblement interprofessionnel contre la participation de Pénicaud à un congrès de DRH au Pré Catelan.
Mais ce prétendu code de déontologie instauré par le gouvernement PS comprend un article encore plus pernicieux, selon lequel « chaque agent veille à prévenir ou à faire cesser immédiatement toute situation d’interférence entre l’exercice de son activité professionnelle et des intérêts publics ou privés, y compris l’exercice d’un mandat politique, de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».
Alors qu’il y aurait bien des situations de conflit d’intérêt avérées à faire cesser, puisqu’une partie de l’encadrement supérieur – et jusqu’à Pénicaud elle-même – entretien des liens étroits avec les milieux d’affaire, la seule application que fait le Ministère de ces dispositions est dirigée contre les syndicalistes ! En effet, pour l’administration, dès lors qu’un usager (sous-entendu un patron !) peut avoir connaissance de l’appartenance ou de la proximité d’unE agentE avec une organisation syndicale, on serait en présence d’une situation où l’exercice impartial de ses fonctions paraît influencé. L’agentE devrait alors renoncer à ses activités syndicales ou changer de poste pour ne plus faire partie de l’Inspection du travail, voire carrément exercer ses activités professionnelles dans un autre département que ses activités syndicales. Un raisonnement liberticide, qui conduirait en fait à interdire à des fonctionnaires toute activité syndicale voire même la simple appartenance à une organisation interprofessionnelle.
Chasse aux sorcières
Sur cette base une véritable chasse aux syndicalistes lutte de classe a commencé au Ministère du travail, qui s’en est pris notamment à Gérald Le Corre, dans le viseur pour ses prises de position au nom de l’UD CGT 76 sur la responsabilité de l’État dans les « accidents » industriels comme celui de l’usine SAIPOL de Dieppe qui avait coûté la vie à deux travailleurs. Le Directeur Général du Travail a ainsi écrit à son directeur régional et au préfet pour indiquer que la représentation de la CGT par Gérald dans une instance tripartite (État/syndicat/patronat) était de nature à créer une confusion entre ses fonctions d’agent du système d’inspection du travail et ses fonctions syndicales. Ni une ni deux, le camarade a été exclu par l’administration !
Mais avec cette procédure expéditive et ses raisonnements à l’emporte-pièce, le Ministère s’est pris les pieds dans le tapis et les décisions d’éviction ont été suspendues par le juge des référés au motif d’un doute sérieux sur leur légalité. Après l’annulation par le juge des sanctions prises en 2017 contre des militantEs CGT pour leur soutien aux actions menées par des collectifs de travailleurs sans papiers, il s’agit de la deuxième défaite du ministère du travail sur le plan de la répression syndicale. Mais Pénicaud et Cie n’entendent pas en rester là, et ont contesté la décision du juge des référés devant le Conseil d’État, qui examinera l’affaire jeudi prochain.
La bataille sera de longue haleine, puisqu’à ce stade c’est seulement la suspension de la décision qui est en question – une autre procédure traitera ultérieurement de son annulation définitive. Nous devons la mener à la fois sur le plan juridique, puisque sont en causes plusieurs libertés fondamentales comme la possibilité pour les fonctionnaires de se syndiquer ou le droit pour les organisations syndicales de choisir leurs représentantEs, mais aussi sur le terrain militant. En effet, la chasse aux militantEs que mène le Ministère du travail s’inscrit dans un mouvement plus général de restriction des possibilités d’expression des agents publics au nom du « devoir de réserve », et dans un contexte global de répression et de criminalisation de l’activité syndicale contre lequel le mouvement ouvrier doit présenter un front uni sous peine d’en payer un prix très fort. C’est en ce sens qu’un rassemblement est appelé devant le Conseil d’État jeudi matin à 9 heures par l’intersyndicale du Ministère du travail ainsi que par la confédération CGT et l’Union Syndicale Solidaires.