Depuis l’homologation du PSE nous sommes dans ce qui devrait être la dernière phase du processus de liquidation de l’usine. Même si la production continue encore, pour la forme, pour maintenir un minimum de discipline au travail (faut bien occuper « intelligemment » les salariéEs), la priorité de la direction, c’est bien de préparer les départs de tout le monde dans les six mois qui viennent.
Il faut savoir que les collègues partiront dès leur dossier finalisé, au fur et à mesure, et qu’il est prévu de licencier les derniers, les retardataires ou récalcitrants, le 1er octobre. Resteraient ensuite 20 à 30 personnes pour assurer les formalités de fermeture.
La production s’arrêtera officiellement le 1er août. De fait, nos vacances d’été auront un début (le 2 août) mais pas vraiment de fin, puisque nous ne sommes pas censés reprendre le chemin de l’usine fin août, à part bien sûr pour les formalités de départ (préretraite ou licenciement).
Pour les semaines qui viennent, d’avril à juillet, la direction nous prépare psychologiquement, en imposant des RTT pour avoir 12 jours de coupure en mai et en organisant la production sur 4 jours, donnant ainsi tous les vendredis sous forme de « congés maison ».
Une gestion de fin de vie
La direction gère donc très tranquillement cette « fin de vie ». Et tout se passe sans heurt, pour l’instant. L’ensemble du personnel étant bien entendu préoccupé par la façon de partir : certains parmi les plus anciens ont le choix, soit la préretraite soit le licenciement, se lançant dans des calculs pour voir ce qui est le plus intéressant ou plutôt le moins pénalisant.
Les autres doivent aussi réfléchir : chercher un travail, à proximité ou plus loin ? Chercher maintenant ou attendre que des opportunités viennent ? Suivre une formation ? Créer sa propre entreprise ? Et puis combien on va avoir en indemnités ? Il faut comprendre les calculs, les vérifier et parfois il y a des déçus qui s’attendaient à plus. Il faut dire que la direction a tellement vanté le PSE, affirmé que c’était une chance de rebondir dans la vie, de réaliser nos rêves…
Chacun de son côté, chacun pour soi ?
Nous voilà donc aspirés dans un processus d’individualisation maximale. Chacun ne voit logiquement et inévitablement que son intérêt particulier. Dès le début, dès l’annonce de la fermeture par Ford, dès même avant sûrement, au fil des mois, peut-être des années, Ford a préparé le terrain pour nous avoir à l’usure. En la jouant facile tant l’ambiance sociale dans le pays, donc pas seulement dans l’usine, était dominée par la résignation, l’absence totale de perspective de résistance collective.
Alors on paye tout ça. Malgré les faiblesses, on aura tenté de changer la donne, avec notre équipe militante déterminée et une minorité de collègues convaincue que la meilleure façon de retrouver un emploi, c’est tout simplement de garder celui que nous avons.
Ford n’en a pas fini avec nous
C’est triste mais il n’y a pas de quoi se démoraliser. Nous n’avons pas eu la force d’empêcher la catastrophe, certes, mais nous sommes toujours disposés à résister et à trouver la moindre faille pour mener nos batailles. Tout n’est pas complètement fini.
D’une part les négociations annuelles obligatoires (NAO) approchent, et ce sera l’occasion de parler argent, de revendiquer une prime exceptionnelle pour faire payer Ford à la hauteur ses profits.
Nous préparons également notre attaque en justice, au TGI, contre Ford, contre son « droit » à fermer l’usine et à supprimer les emplois. Nous voulons faire reconnaître qu’il n’y a pas de motif économique pour liquider le site, et aussi que Ford a abusé de son droit de refuser un repreneur.
Enfin, nous n’abandonnons pas tout espoir d’éviter la disparition de l’usine. Nous tentons de pousser l’État et les collectivités territoriales à reprendre Ford, d’une manière ou d’une autre, terrain, bâtiment et machines, pour y réimplanter une activité, sauvant ainsi quelques centaines d’emplois.
La défense des emplois, c’est politique
Car le problème de défense des emplois, directs et induits, est un problème politique, celui d’une intervention des pouvoirs publics contre les logiques destructrices du privé. Il s’agit d’avoir une stratégie industrielle, de prendre en main des outils de production pour lancer des activités socialement utiles, répondant aux urgences environnementales. Cela suppose une confrontation avec les multinationales, de dire stop à leur plein pouvoir, à leur impunité, cela oblige à changer les lois pour réquisitionner, reprendre l’argent public détourné au minimum.
Il y a du chemin à parcourir car lors des premières réunions du groupe de travail pour la réindustrialisation de l’usine, les collectivités territoriales comme le ministère restent encore bien timorés face à Ford qui décide encore de tout.
Mais c’est pas fini.
Philippe Poutou