Konstantin et Tiphaine ont reçu un jugement favorable au tribunal des Prud’hommes, tandis que Laetitia est toujours dans l’attente, dans le cadre de leur licenciement par Biocoop. Konstantin a répondu à nos questions sur le contexte de ce jugement et son issue favorable, qui est un encouragement pour le combat syndical face aux compromis avec le patronat.
Peux-tu rappeler les objectifs de la grève et comment ça s’est fini ?
On avait commencé cette grève durant le mois de juillet 2020, suite à l’annonce de la vente des deux magasins « Le Retour à la Terre » par sa direction (à l’époque membre du réseau Biocoop) et de l’instauration du travail du dimanche. On est donc parti en grève avec la majorité des collègues de ces deux magasins pour exprimer notre refus de bosser le dimanche, qui est une revendication historique du secteur du commerce mais également pour obtenir de meilleurs salaires ainsi que deux jours de repos consécutifs. Il y avait aussi une revendication un peu droitière sur laquelle je reviendrais concernant les ruptures conventionnelles où certains collègues souhaitaient que l’entreprise accepte de faire des ruptures aux collègues souhaitant partir pour pouvoir toucher le chômage (cela s’est vite retourné contre nous). La grève s’est étalée sur quatre mois jusqu’à fin octobre et l’entreprise a commencé à licencier des collègues à la mi-octobre tout en mettant en place un chantage aux plannings pour les collègues les plus jeunes et précaires. Résultat, on a perdu en nombre car ils ont réussi à faire peur à pas mal de collègues et il a été décidé d’occuper un des magasins pour que la direction lâche définitivement.
Au quatrième jour de l’occupation, les occupants ont été assigné au Tribunal judiciaire, l’occupation a été levée et le syndicat que nous avions implanté au cours de cette grève, Sud Commerce Ile-de-France (à ne pas confondre avec la « Fédération Sud Commerces et Services »), en plus d’avoir refusé de défendre les trois premiers collègues licenciés en octobre, a décidé d’instaurer un véritable chantage en AG en exposant que la direction souhaitait licencier trois nouveaux collègues en échange de la signature du protocole de fin de conflit : ces licenciements impliquaient une transaction d’un mois de salaire. Sud Commerces IDF a prétendu que si les trois collègues en question, dont je faisais partie, n’acceptaient pas la transaction (sans possibilité de contester aux prud’hommes donc), tous les collègues risquaient d’être poursuivi à hauteur de 30 000 euros de dommages et intérêts en raison de l’occupation.
Ce chantage avait pour but de diviser les collègues dont c’était la première grève pour retourner les non-réprimés contre les réprimés et pouvoir sortir un faux communiqué de victoire co-écrit avec la direction le plus rapidement possible.
Après énormément d’engueulades, on a convaincu les collègues qu’on allait collectivement refuser les transactions. Un protocole de fin de conflit a finalement été signé où il a été acté : 1) que les magasins n’ouvriraient pas le dimanche. 2) la création d’un nouveau statut d’« employé polyvalent senior » (ce qui est complètement à côté de l’augmentation de salaires qu’on demandait pour toutes et tous) ainsi que l’obtention de deux jours de repos consécutifs mais une fois par mois uniquement.
La direction n’a pas souhaité enterrer la hache de guerre et n’a pas réintégré les premiers collègues licenciés et m’a licencié avec deux autres collègues post-signature du protocole de fin de conflit. En bref, dès que les premiers licenciements ont frappé à l’automne, le syndicat supposé nous défendre, a profité de la panique des collègues pour prendre la direction de la grève à notre place et en a fait n’importe quoi.
Quel était le recours au prud’homme, quel est le jugement ?
Sur les six licenciés, trois ont été complètement démoralisés par les actions du syndicat et n’ont pas souhaité contester aux prud’hommes car le syndicat leur a dit que ça allait prendre des plombes et que soit-disant ils n’étaient pas avantagés par leurs motifs de licenciement. Avec Laetitia, qui a été licenciée pour « prise de parole sur piquet de grève retransmis dans la presse en ligne » et Tiphaine qui, comme moi, a été licenciée pour « occupation illégale » du magasin du 11e arrondissement, on a décidé de contester nos licenciements. Le but était d’obtenir la nullité des licenciements, d’essayer de grouper les dossiers pour avoir plus de poids face à la justice et de faire condamner « Le Retour à la Terre ».
Au final, le groupement des dossiers n’a pas été accepté à cause du système de franchise et comme nous étions salariés des deux magasins différents, on n’a pas été considéré comme « collègues » de la même entreprise. Donc chacun est passé toutE seulE. Les résultats sont que Laetitia passe en départage en 2023 car il y a eu égalité entre juges salariés et juges patronaux (pour une interv’ sur un piquet de grève). Quant à Tiphaine, elle a obtenu la nullité du licenciement et la condamnation de la boite à lui verser 10.000 euros de dommages et intérêts. Mon licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse donc la boite est condamnée à verser des indemnités, pour préjudice moral préjudice financier, etc. donc on arrive sur des sommes similaires à celles obtenues par Tiphaine.
Quelles sont les conséquences de ce jugement ? Quelles leçons en tirer pour le secteur et plus globalement pour nos luttes ?
C’est évidemment une victoire politique (et on se battra pour la troisième collègue et les autres s’ils décident de contester suite à la bonne nouvelle) et j’aimerais remercier Laurent Degousée de la Fédération Sud Commerces et Services d’être allé repêcher nos dossiers quand il a vu qu’on s’était complètement fait lâcher par l’autre « SUD Commerce » prétendument affilié à Solidaires. On a continué à organiser des rassemblements devant les prud’hommes avec l’ensemble des organisations politiques, syndicales et associatives qui nous ont soutenues tout au long de ce conflit. Là où cette patronne a essayé de faire comme si ce conflit n’avait jamais existé en quittant le réseau Biocoop, pour pouvoir vendre au plus offrant sans contraintes dans le futur et en militant ce choix en disant que ça permet de « redevenir plus petit » et de « rester proches des valeurs » de l’entreprise, on a rappelé que cette patronne a licencié de nombreux salariés dans l’histoire de cette boîte et que ce sont plus de 270 salariés qui ont tourné en une décennie d’existence de cette boite (pour une entreprise d’environ 50 salariés aujourd’hui). On espère qu’elle comprendra que justice a été rendue et qu’il est temps de lâcher le steak (végétal).
Concernant les leçons à tirer pour le secteur, premièrement, même si j’ai dépeint un portrait assez sombre (mais honnête) de la fin de cette grève (il existe de nombreux articles sur L’Anticapitaliste avec un angle plus positif couvrant des moments de lutte), je pense que cette grève a permis de montrer que dans un secteur où beaucoup sont résignés, il ne faut rien lâcher face à un patronat qui essaie de tout faire passer (travail le dimanche, extension des horaires, casse des conditions de travail, licenciements, etc.). Cette grève a montré que sans aucune expérience de lutte, c’est possible d’essayer de s’organiser et de faire quelque chose de gros. Surtout que dans le commerce bio il y a une double aliénation : la première évidemment qui est une conséquence de l’exploitation quotidienne et du fait que les patrons arrivent à attaquer sans riposte derrière depuis plusieurs décennies et la deuxième parce que dans le bio, de nombreux travailleurs ont l’illusion de faire quelque chose de bien et de « militant » en allant travailler alors qu’ils sont tout aussi smicards que n’importe quel salarié de la grande distribution. Beaucoup de collègues intègrent complètement la communication de la boite et oublient quelle est leur position dans le système de production. S’il y a eu un impact médiatique, c’est aussi qu’on ne s’est pas cloisonné à notre secteur mais qu’on a essayé d’être présent un maximum aux côtés des autres secteurs qui nous ont donné beaucoup de force en retour.
Je dirais aussi qu’il est important que les assemblées générales de grévistes soient toujours décisionnaires et ne pas se laisser manipuler.
Je pense qu’il est très important aussi qu’on arrête de revendiquer les ruptures conventionnelles dans le secteur du commerce, de faire des grèves pour organiser des départs collectifs de salariés avec des indemnités… Dans le cas de notre grève, la patronne a utilisé cette revendication qui était avancée par un secteur droitier de la grève pour nous faire passer pour des brêles devant les clients, pour nous décrédibiliser, mais également aux prud’hommes en expliquant que cette grève a eu lieu « pour obtenir des ruptures conventionnelles » sans parler d’aucune autre revendication pour nous faire passer pour des travailleurs souhaitant se faire licencier avec une grosse somme d’argent et dépolitiser les affaires alors que la revendication principale était contre le travail du dimanche.
Par ailleurs, sur la fin du conflit, après les trois derniers licenciements, pour tuer toute contestation future, la patronne a proposé aux deux représentants du personnel de signer une rupture conventionnelle avec une grosse somme d’argent pour pouvoir les « licencier » en quelque sorte sans avoir à passer devant l’Inspection du travail.
En bref, la rupture conventionnelle est une revendication qui arrangera toujours les directions patronales et il faut passer à un syndicalisme de combat dans ce secteur, pas un syndicalisme de marchands de tapis. Il faut également dénoncer et arrêter de couvrir ceux qui mènent les travailleurs dans le mur et qui ont des comportements de manipulateurs dans les syndicats.
Propos recueillis par Harry Smith