Entretien. Après avoir été facteur pendant de nombreuses années, J. est maintenant guichetier en zone rurale dans l’Isère. Il est militant à SUD PTT et nous parle des réorganisations de bureaux, des conditions de travail, et des luttes qu’ils/elles ont menées.
Sur quel bureau es-tu ? Comment ton travail est-il organisé ?
Je travaille sur le « terrain » de Pontcharra qui comprend une douzaine de bureaux avec une vingtaine de salariéEs. Toutes les semaines, je change de bureau car je suis arrivé il n’y a pas très longtemps. Le guichet, c’est moins dur physiquement que facteur, mais les horaires ne sont pas faciles non plus. Au courrier, tu es tout le temps infantilisé, il y a une logique d’affrontement. Et ça s’est durci ces dernières années. Il y a une répression très violente : un facteur s’est fait licencier à Villard-Bonnot. Au guichet, c’est moins dur de ce point de vue : à partir du moment où ça tourne, il n’y a pas trop de soucis pour l’instant.
Avez-vous subi des réorganisations/ restructurations ?
Il y a un an, la direction a regroupé Pontcharra, Le Touvet et quelques petits bureaux annexes. Cela permet de gagner sur les moyens de remplacement et l’approvisionnement. Un poste de comptabilité et deux autres emplois ont été supprimés. La stratégie de la direction, c’est de fermer les petits bureaux ou de réduire leurs horaires d’ouverture, comme ça le bureau meurt petit à petit... Dans certains endroits, les bureaux sont remplacés par des agences postales communales. Si l’agent est en congé, il n’est pas remplacé. Les services proposés sont réduits, notamment les opérations bancaires.
On est un département pilote pour le projet facteurs/guichetiers. À Tencin, le facteur fait sa tournée le matin et tient le bureau l’après-midi. C’est sur la base du volontariat... mais comme les conditions de travail sont de plus en plus dures c’est une façon pour des facteurs d’intégrer le guichet. C’est une manière de réduire le service, de faire que ça fonctionne de moins en moins bien.
À partir de janvier, on sera organisé sur des secteurs avec un directeur, un responsable commercial et un ou deux encadrants. Les compétences des uns et des autres vont évoluer. Le responsable commercial va être là pour faire du chiffre… La pression va alors descendre sur les guichetiers.
Comment évolue justement le métier de guichetier ?
Il est de plus en plus orienté vers les compétences bancaires. Il faut proposer aux gens une carte bancaire, une assurance… être plus « commercial ». La pression qu’avaient les conseillers financiers va passer sur les guichetiers. La qualité de service se dégrade, ça génère un mécontentement qui s’exprime au niveau des guichetiers plus qu’au niveau des facteurs. On doit s’expliquer sur la baisse de cette qualité de service auprès des usagers. On est le tampon, en première ligne...
Il y a des liens avec les usagers pour lutter contre cette dégradation ?
Dans la vallée, il y a eu des bagarres importantes, notamment grâce au collectif de défense du service public et à la mobilisation des maires. Au Cheylas, le bureau a été maintenu mais il n’est ouvert que deux jours par semaine et ferme deux mois l’été.
L’an passé, on a mobilisé contre la fermeture des bureaux l’été : tous les petits bureaux ont été en grève une journée. On a eu un bon écho médiatique et ça a ralenti un peu le processus. L’attachement des gens, des agents à leur bureau, au service public, est très fort. Mais c’est compliqué pour mobiliser les guichetiers car on est isolé dans les bureaux.
Penses-tu possible de construire des mobilisations dans la période actuelle ?
Il y a du mécontentement mais on a du mal à unifier. Sur les compétences bancaires, il est possible qu’il y ait une grosse mobilisation. Avant, facteurs et guichetiers se mobilisaient ensemble. Maintenant les grèves communes sont devenues rares. La poste réorganise bureau par bureau. Il y a une bagarre sur un bureau à Grenoble. Nous, SUD, on est en avant, notre rôle est de faire converger les luttes.
Que faites-vous en tant que syndicat pour construire la mobilisation ?
Quand il y a une réorganisation, on essaye de réunir les agents de tous les bureaux concernés « entre midi et deux ». Les gens viennent pour avoir un autre son de cloche que celui de la direction.
Nous devons recréer du collectif à SUD, parce qu’on s’est heurté à une répression qu’on n’avait jamais connue : trois militants de SUD se sont ainsi fait dézinguer. Dur de recruter dans ces conditions.
Il faut recréer du collectif au lieu de défendre les gens individuellement. Même si on gagne aux prud’hommes, les gens perdent leur boulot, et ces batailles juridiques utilisent beaucoup de force et d’énergie, au détriment du collectif. Ce n’est pas propre à SUD : c’est un problème qui se pose à l’activité syndicale dans son ensemble.
Propos recueillis par des correspondantEs