Cet été, ce sont plus de 2 500 livreurEs qui ont eu la désagréable surprise d’être déconnectés du jour au lendemain par la plateforme Uber Eats au terme d’un message lapidaire. Pour ces forçats de la livraison, en majorité d’origine africaine, qui peuvent travailler jusqu’à douze heures par jour quelle que soit la météo pour subvenir aux besoins de leurs familles restées au pays, le plus souvent en sous-louant un compte jusqu’à 600 euros par mois, c’est la douche froide.
Après l’exploitation à la sauce Frichti en 20201 où le conflit, suite à des déconnexions similaires à la sortie du confinement, s’est soldé, pour une partie d’entre eux, par des démarches de régularisation et, pour d’autres, par une indemnisation suite à leur saisine des Prud’hommes, celle à la sauce Uber est tout aussi amère : Uber Eats feint aujourd’hui de découvrir la situation là où l’intitulé du mail, voire la photo donnée lors de l’ouverture de leur compte ne correspond pas à l’identité remise lors de sa création.
En réponse, une manifestation parisienne combative de plus de 500 livreurs a eu lieu le 12 septembre de République jusqu’au siège d’Uber Eats, qui a refusé de recevoir une délégation. Avec l’aide du CLAP, de la CNT-SO et de la Fédération SUD Commerce, la lutte s’organise dans la durée, Uber ayant depuis finalement indiqué vouloir les recevoir.
Pour un élargissement de la circulaire « Valls »
Mieux, les ministères de l’Économie, de l’Intérieur et du Travail, ainsi que la préfecture de police sont interpellés pour que la circulaire de 2012, dite « Valls », qui régit la régularisation des sans-papiers, soit élargie à ces livreurEs sans que cela emporte pour autant reconnaissance de leur statut (auto-entrepreneur ou salarié) : il suffit pour cela d’actualiser la circulaire en question, en incluant les factures émises par les différentes plateformes dans la liste des pièces qui justifient du travail en France ainsi que de dispenser ces travailleurEs de produire un Cerfa patronal lors de leur première demande de titre de séjour et de travail.
C’est possible. Et c’est, comme pour toute lutte visant à faire avancer le droit, une question de rapport de forces là où, il y a quelques années, les intérimaires, qui sont certes des salariéEs, avaient pu rentrer dans les critères de régularisation ainsi définis alors que leur activité, à l’instar de celle des livreurEs, est marquée par la discontinuité et le fait d’être rattaché à plusieurs employeurs.
Ni Uber en particulier ni les plateformes en général tout comme le gouvernement ne vont pouvoir esquiver bien longtemps une réalité de masse : à force de tirer le tarif de la course vers le bas, le métier de livreurE dit indépendant est désormais massivement exercé par des travailleurEs sans-papiers, considérés comme des héros lors du Covid. Ajoutons que face à une extrême droite en progression marquante et à un racisme décomplexé, une victoire de ces milliers de travailleurEs serait un encouragement pour toutes et tous.
- 1. Voir l’Anticapitaliste n° 527, 18 juin 2020.