Publié le Mercredi 19 juillet 2017 à 09h37.

Licenciements à General Electric Grenoble : « Un gâchis humain, intellectuel, technique et écologique »

Entretien. Antoine Brescia travaille depuis 39 ans chez GE (General Electric, ex-Alstom Hydro, ex-Neyrpic) à Grenoble. Sur les 800 salariéEs du site, 345 suppressions de postes sont annoncés, auxquelles il faut en ajouter 234 à Bilbao et en Suisse. Il travaille dans un service de 13 personnes qui réalisent les notices de montage des turbines, un service supprimé.

Peux-tu situer votre bataille actuelle dans l’histoire de l’entreprise ?

Depuis le début du 20e siècle, l’entreprise conçoit, fabrique et installe des machines capables de fournir de l’électricité domestique, ainsi qu’aux différentes industries régionales. Elle développe aussi des technologies liées aux conduites forcées, aux vannes, au pétrole et au nucléaire. Après la Seconde Guerre mondiale, Neyrpic est un leader mondial dans son domaine avec 2 800 salariéEs à la fin des années 1970. Il y a un savoir-faire extraordinaire reconnu mondialement. La CGT et le PCF sont très présents et mènent des luttes ouvrières remarquables.

Mais au milieu des années 1980, les actionnaires d’Alstom, devenu majoritaires, prennent le pas sur les patrons « techniciens ». Depuis, c’est la rentabilité qui importe. Une partie de la production est délocalisée vers le Brésil, la Chine, puis l’Inde. Début 1990, il ne reste plus que 600 salariéEs à Grenoble, et en 1996, la direction annonce une nouvelle délocalisation vers l’Inde et l’externalisation de la production, avec 120 licenciements. Il y a une grosse mobilisation intersyndicale réunissant CGT, CFDT et CFE-CGC, avec 90 % du personnel et séquestration des patrons. En août, c’est la victoire avec seulement une vingtaine de licenciements secs. Dans les années 2000, le site réembauche et repasse à 800 salariéEs, mais il ne reste que 60 ouvriers.

En 2014, c’est par la presse que les salariéEs apprennent que leur entreprise est vendue à GE dans la foulée d’une grosse affaire de corruption (les États-Unis réclament 772 millions d’euros à Alstom). Macron, alors ministre de l’Économie, a donné son feu vert. C’est la surprise car GE s’est désengagé de l’hydraulique, ainsi que l’inquiétude car Jérôme Pécresse est à la tête de General Electric Renewable Energy pour y mener une série de réorganisations qui se soldera par des centaines de licenciements en France et dans le monde.

Quelles sont les conséquences de ces choix stratégiques et techniques ?

Les réorganisations successives ont désorienté les salariéEs, les nouveaux logiciels imposés n’étaient pas adaptés aux spécificités de la boîte, le savoir-faire disparaissait… La non-qualité des pièces produites en Inde et en Chine a eu de graves conséquences. Les calculs de rentabilité sont fondés sur les coûts de fabrication indiens et chinois. Or les pièces doivent être refaites et parfois rapatriées dans notre usine. Les directions successives n’ont cessé de nous dire que l’on est trop cher. Mais il faut comparer ce qui est comparable. Nous sommes pour l’autonomie énergétique des pays « émergeant », mais il faut aussi leur donner la sécurité sociale, la retraite, la sécurité sur les postes de travail et les chantiers, les formations aux métiers, l’éducation, etc. comme ici. Je l’ai dit plusieurs fois à nos dirigeants : « Selon votre logique, si vous voulez que l’on soit rentable, il faut diviser nos salaires par dix ! »

En avril, le CHSCT a déclenché une enquête dans le secteur des approvisionnements où les burn-out et l’absentéisme ont augmenté. Les gens sont en souffrance, surtout le personnel féminin.

Et qu’en est-il du plan de restructuration annoncé début juillet ?

Ils ont annoncé 345 suppressions de postes avec la fermeture de la grosse production et du service méthodes de la mise en service qui partirait en Inde. Nous estimons que, si le plan de licenciement est mis en œuvre, l’entreprise aura une taille qui ne sera plus viable et que dans 2 à 3 ans elle aura disparu, à Grenoble mais aussi à Belfort, Bilbao, Birr…

Est-ce que tu vois une alternative en termes d’avenir pour cette entreprise ?

Oui, mais si volonté politique il y a. Pour moi, notre entreprise devrait faire partie du secteur public de l’énergie. En France, nos principaux clients sont EDF, la SNCF et la CNR (Compagnie nationale du Rhône). De plus, l’État, par la gestion de 30 % des actions de Bouygues, a encore son mot à dire. 

Dans le contexte actuel de réchauffement de la planète, nous pouvons mettre nos compétences à la disposition de l’avenir de l’humanité, bien entendu en abandonnant les projets pharaoniques qui ont abouti à des catastrophes comme en Chine et au Brésil. Le développement de petites et moyennes turbines ainsi que la maintenance du parc installé nous donnera un avenir s’inscrivant dans le respect de l’environnement. Mais pour cela, il faut remettre en cause la logique de rentabilité financière pour aller vers la recherche du service maximum rendu aux populations. Nous sommes vraiment un cas d’école !

Comment comptez-vous peser sur la situation ?

Les gens sont un peu sous le choc, même si on s’attendait bien à quelque chose ces derniers temps, mais pas de cette ampleur. La grève n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour. Mais les salariéEs soutiennent les éluEs et ils étaient environ 75 % présents à l’AG du 7 juillet. On fonctionne bien en intersyndicale CGT-CFDT et CFE-CGC. Les questions écologiques parlent aux jeunes ingénieurs. Les mentalités changent, il y a une vrai conscience que c’est un enjeu de société. Pour l’instant c’est l’été, alors on fait surtout de l’information. Nous avons alerté les éluEs locaux. Le 12 septembre, on participera à la journée d’action contre la loi travail, en apportant l’exemple de notre entreprise. Ces licenciements et la fermeture de la production, c’est un gâchis humain, intellectuel, technique et écologique… C’est honteux ! On a des boulots passionnants et on a la rage. On ne va pas se laisser faire, on ne lâche rien !

Propos recueillis par Elsa Collonges