Publié le Mercredi 4 octobre 2017 à 20h13.

Lidl et Free : Nouveaux exploiteurs, vieilles recettes

 

Au lendemain de sa diffusion en « Prime time » sur France 2, mardi 25 septembre, l’émission « Cash investigation » a provoqué un émoi (justifié) et de nombreuses réactions. 

Il s’agissait de deux enquêtes sur les conditions de travail et les méthodes managériales dans deux entreprises « populaires » : Lidl et son « hard discount » revisité, et l’un des principaux fournisseurs d’accès internet en France, Free.

« Allô patron, alors là, on est mal »

Chez Lidl, la séquence la plus marquante est celle où un responsable de magasin s’en prend violemment à un salarié : « Si je viens et que le magasin est mal tenu, je te promets que toi et moi on se verra toutes les semaines. (...) Ça va être à feu et à sang (...). Je te mettrai six jours de mise à pied à longueur de temps, tu vas mourir ». Différentes dimensions des conditions de travail sont évoquées : triple scannage des produits qui permet d’accélérer le passage en caisse (une trentaine d’articles à la minute), pour des caissières debout (pour aller plus vite), polyvalentes (on se muscle le dos « grâce » au nettoyage et à la mise en rayons), harcèlement permanent. Dans les entrepôts la « commande vocale » qui guide les salariéEs, limite le vocabulaire utile à 47 mots, impose la manutention de 250 colis soit 8 tonnes par jour. Les conséquences sont incontournables : plus de 1 000 salariéEs en inaptitude sur 2 ans, en 5 ans plus de 2 000 salariéEs licenciéEs pour inaptitude. Et, en fin de séquence, l’évocation du suicide d’un salarié sur son lieu de travail résume les conditions d’exploitation chez Lidl.

Free : « une stratégie basée sur l’enchantement »

L’arrière-boutique de Free, entreprise macronienne typique, est bien loin de l’image jeune, dynamique et cool que véhiculent les campagnes de pub de Xavier Niel, classé « 5e patron préféré des Français » par le ­magazine Challenges

Mais Free, c’est surtout le harcèlement des salariéEs et des atteintes au droit de grève, comme chez Mobipel (Colombes) où, après un débrayage de 3 heures en 2014, la direction déclare : « Jusqu’à apaisement de la situation sociale il n’y aura plus le moindre recrutement sur le site de Mobipel. Nous ne pouvons plus continuer à investir sur un centre qui s’avère sensible et ou pèse la menace ». Avant de passer aux actes : 248 licenciements entre octobre 2014 et janvier 2017, soit un effectif diminué de moitié, avec 54 licenciements pour faute grave en 2015 et 45 en 2016. 

Au Maroc, où « les lois sociales sont plus souples » (Xavier Niel), une grève dans les deux centres d’appel regroupant 1 800 salariéEs a duré plusieurs semaines avant que le chantage à la fermeture auprès du gouvernement marocain ne mette fin à la lutte avec le licenciement autorisé d’une centaine de salariéEs.

Exploitation… moderne ?

Certes, rien de bien neuf entre les mensonges et les dénégations des responsables de Free, de Lidl ou de la ministre du Travail en fin d’émission. Mais la mise en évidence que, dans ces secteurs prétendument modernes, pour dégager des marges, tailler des croupières à la concurrence, rien ne vaut les bonnes vieilles recettes : faire trimer les salariéEs, licencier les « fainéantEs », réprimer celles et eux qui résistent. Et, comme l’a déclaré Xavier Niel : « les salariés dans les centres d’appels, ce sont les ouvriers du 21e siècle. C’est un métier horrible, le job qu’ils font, c’est le pire des jobs. » Au bénéfice du même Niel, 9e fortune de France, évaluée à 7 milliards d’euros.

Robert Pelletier