Le 16 novembre 2017, les prud’hommes ont condamné la société de crèches privées People & Baby pour discrimination syndicale envers cinq militantes de la CNT. Retour sur une lutte engagée en 2006 avec Sophie, déléguée syndicale.
Pourquoi, en 2006, l’entreprise privée People & Baby a-t-elle repris la gestion de la halte-garderie Giono dans le 13e arrondissement ?
L’entreprise People & Baby venait de se créer et se développait en répondant à des appels d’offres de municipalités et en montant ses propres structures. C’est la Ville de Paris qui a fait un appel d’offres et privilégié le privé au détriment de l’associatif.
Quels ont été les impacts de la gestion par P&B ?
Un fort mécontentement des professionnelles et des parents jusqu’alors très satisfaits du projet pédagogique de l’association. Alors qu’on favorisait l’autonomie des enfants dans un espace de liberté sous le regard bienveillant des professionnelles, P&B nous répondait : barrières de sécurité, nettoyage de frigos, etc., sans prise en compte ni compréhension de notre projet pédagogique. Ils privilégiaient « l’efficacité » au détriment de la « qualité », à savoir le respect des jeunes enfants. Nous avions un taux d’encadrement plus élevé que la moyenne pour combler les éventuels arrêts maladies/congés et, là, on se retrouvait régulièrement trop peu nombreuses pour assumer notre projet. Nous étions habituées à des réunions « horizontales » d’équipe où la parole de chacune était prise en compte. Nous nous sommes retrouvées avec un système managérial, des convocations régulières sans se soucier du nombre de professionnelles qui restaient auprès des enfants. Avec P&B, il n’avait plus ni CHSCT ni convention collective et ils ont voulu remettre en cause nos horaires, notamment notre jour de congé hebdomadaire.
Quelles ont été vos réactions ?
Nous avons constitué une section Confédération nationale du travail (CNT) qui, avec ses pratiques autogestionnaires, nous a semblé correspondre le mieux à nos revendications et notre façon de travailler entre nous et auprès des enfants. Nous avons écrit et diffusé des tracts sur notre halte-garderie et sur d’autres structures, et exigé un panneau syndical. La direction a augmenté les convocations, les appels sur nos téléphones personnels. Alors, on s’est dit qu’il fallait passer à l’étape suivante : une journée de grève, le 1er mars 2010.
Alors vous avez été mises à pied ?
Dès le lendemain de cette grève suivie par toutes les travailleuses, à l’exception du personnel de direction, nous avons été mises à pied puis licenciées, sauf moi qui était représentante de la section syndicale. L’inspection du travail a refusé mon licenciement et trouvé qu’il y avait un lien entre nos licenciements et la journée de grève. Lors d’une visite au siège, l’inspecteur du travail est tombé sur des mails entre P&B et la Ville de Paris qui suggérait de se débarrasser de moi et des autres syndiquées. Pour justifier nos licenciements, ils ont invoqué le non-respect des normes d’hygiène et de sécurité, faisant même un photomontage présentant de la mort-aux-rats dans les jouets des enfants. Accusations rejetées par les prud’hommes.
Les actions (tracts, revendications) ont parlé aux collègues des autres structures, et une vingtaine ont pris contact. La Ville de Paris et P&B ont choisi de nous évincer car la petite enfance reste un sujet sensible pour leur image.
Quelles étapes durant ces années de lutte ?
Nous avons privilégié l’action directe – occupation de la halte-garderie avec les parents, puis du siège social – et participé à toutes les manifestations du mouvement « Pas de bébé à la consigne ». On a essayé de faire un lien entre le privé et le public en expliquant que ce qu’on subissait pourrait leur arriver prochainement. Nous avons continué un travail de sensibilisation auprès des collègues de P&B et répondu aux calomnies de la direction.
Les caisses de grèves nous ont permis de tenir des mois grâce à la solidarité de la CNT et en dehors, notamment des camarades du comité NPA 13e. En parallèle s’est engagée une lutte juridique de longue haleine aux prud’hommes et au tribunal administratif.
Mais même si on a gardé des contacts, leur politique anti-syndicale a bien fonctionné : il n’y a plus de section syndicale combative dans la boîte.
À quoi a été condamnée l’entreprise People & Baby le 16 novembre ?
À verser des indemnités aux camarades licenciées et à la CNT pour discrimination syndicale. L’occupation du siège social a été déclarée licite. Cela reste une grande victoire mais n’enlève pas la violence d’avoir été foutues dehors au milieu des cris des enfants en pleurs dont les parents devaient les confier du jour au lendemain à des inconnuEs. Certaines professionnelles n’avaient même pas pu récupérer leurs affaires.
Comment as-tu réagi à l’annonce de cette condamnation ?
Un grand soulagement et une pensée immédiate pour les camarades qui nous ont soutenues pendant ces sept ans. C’est grâce à leur présence qu’on a pu tenir sans rien lâcher.
Quelles suites ?
Une procédure contre la Ville de Paris qui, d’après l’inspection du travail, est également responsable de nos licenciements. Nous allons refaire un travail de sensibilisation auprès des travailleuses de P&B. Durant ces 7 ans, je n’ai cessée d’être contactée par des professionnelles qui n’en peuvent plus de leurs conditions de travail. Le 10 février 2018, on organisera une journée d’échanges et de débat autour des luttes dans la petite enfance. Il y aura ensuite la projection d’un film sur la lutte puis enfin une grosse fête bien méritée avec des concerts (Mr Bidon, René Binamé et Dubamix). On vous y attend !
Propos recueillis par Robert Pelletier