Le travail de nuit est non seulement un fléau social, comme nous avons souvent eu l’occasion de le dénoncer dans nos colonnes, mais aussi sanitaire et environnemental.
En 2012, plus d’unE salariéE sur sept travaillait la nuit (15,4 %), habituellement ou occasionnellement, soit un total de 3,5 millions de personnes selon une étude statistique du ministère du Travail. Le chiffre était de 2,4 millions en 1991. Ce nombre ne cesse d’évoluer et la hausse des vingt dernières années a concerné en particulier les femmes. La gestion du coronavirus concernant les emplois a accru ce phénomène.
On recense en particulier le personnel de santé, les chauffeurEs-livreurEs, les personnels d’entretien et de nettoyage, les agents de sécurité, les pompiers, la police ou l’armée, les salariéEs du rail, de la culture et de l’hôtellerie-restauration, sans oublier les secteurs productifs industriels travaillant en continu, le plus souvent sans autre motif que la rentabilité. Mais de très nombreux métiers ou secteurs aux effectifs plus réduits sont concernés. S’il n’est pas évident de borner le travail de nuit en termes de début et de fin, il n’est pas non plus aisé d’en connaître l’évolution tant les données sont moindres que pour le travail de jour. Si le travail de nuit est en théorie réservé à des exceptions de continuité de services publics comme la santé, le secteur privé a réussi à faire plier de nombreuses « exceptions » en son sens et à l’étendre à la sphère marchande.
Entre problèmes de santé et dégradations des conditions de travail
De manière globale, il concerne de plus en plus de monde, en particulier sur des branches professionnelles récentes ou récemment transformées comme les branches ubérisées. La « flexibilisation » du travail, la casse du code et de l’inspection du travail et les sous-effectifs tendent à rendre d’autant plus précaires et usants les métiers en question. Enfin, ces données restent relativement partielles tant de nombreux postes sont « hors champ », non déclarés (baby-sitting, exploitation diverse des travailleurEs sans papiers, etc.) ou à cheval sur la bascule jour/nuit au sens de la statistique.
Il en reste que le travail de nuit est avant tout un problème sanitaire majeur car il impacte fortement le rythme circadien (l’horloge interne du corps humain, jour/nuit et éveil/sommeil). Les conséquences sont multiples : troubles du sommeil, baisse globale de vigilance, pathologies gastro-intestinales et cardiovasculaires ou survenue d’accidents. Mais aussi l’accroissement de la probabilité de développer certains cancers et le diabète de type 2 et réduit drastiquement l’espérance de vie.
Le travail de nuit, un palliatif du capitalisme à la crise écologique et sociale
Face à la hausse des températures, les limites maximales des paramètres biophysiques des corps sont en passe d’être atteintes lors des fortes chaleurs et le sont même par endroits. Rendant impossible le travail en extérieur notamment pour les métiers physiques comme dans la construction, le ramassage des déchets ou encore l’agriculture. Pour pallier cela, le patronat mise de plus en plus en France et dans le monde sur le décalage du travail de jour vers la nuit. Ce qui est une impasse et un paradoxe car, au-delà de l’envahissement du temps social généralement libre des personnes, cela vient fortement perturber le cycle circadien. Cette bascule du jour vers la nuit par le patronat, peu scrupuleux et cherchant avant tout à étendre la durée de travail au maximum, ne concerne cependant que les activités les plus pénibles face aux chaleurs extrêmes et est avant tout un moyen de pallier la baisse de productivité causée par les canicules et les limites techniques qu’elles imposent.
C’est la double peine pour les travailleurEs, utiliséEs comme variable d’ajustement pour alimenter la machine à profits au détriment de leur santé, de leur vie, plutôt que de sortir du système de production capitaliste. Système qui est pourtant responsable de la catastrophe écologique (ou écosociale comme la qualifie Daniel Tanuro).
Le travail de nuit provoque d’autres atteintes à l’environnement. On pense tout d’abord aux pollutions sonores et lumineuses la nuit, qui nuisent en profondeur aux organismes vivants, notamment la faune nocturne à l’heure où le vivant connaît sur Terre sa sixième plus grande extinction. Le problème de fond étant que le travail de nuit est avant tout une incitation à la croissance illimitée dans le temps et dans l’espace d’une production de masse qui s’éloigne de plus en plus de la réponse aux besoins fondamentaux. Le travail de nuit s’appuie sur le déploiement et l’utilisation accélérée ces dernières années du numérique 24 / 24 h. Avec la quantité de matériaux et d’électricité nécessaires à ce fonctionnement, qui ont tous une empreinte environnementale forte.
Retracer le chemin d’une lutte des classes du jour et de la nuit
Il y a donc urgence à réinterroger le travail de nuit par et pour les travailleurEs et le limiter aux stricts besoins fondamentaux, débarrassés de la pression marchande. La campagne Poutou du NPA, qui porte une approche sociale et écologique de rupture avec le capitalisme, peut être un appui important, mais qui reste à renforcer et à développer dans les luttes, dans les syndicats. Ces combats sont de pleine actualité et sont devant nous !