Publié le Lundi 8 février 2016 à 11h04.

Victoire à OMS Nettoyage : « ça nous a permis de grandir mentalement »

Entretien. Pendant 129 jours, dans le 20e arrondissement de Paris, 41 salariés ont tenu tête à la société de nettoyage OMS, le sous-traitant de Paris Habitat, le plus grand bailleur d’HLM de la ville de Paris. Peu avant la grande fête de la victoire, nous avons rencontré cinq personnes qui étaient au cœur de cette lutte exemplaire de détermination et de solidarité : les deux délégués, Assane Diop et Bassirou Tandjigora, le responsable de leur syndicat, la CNT-Solidarité ouvrière, Étienne Deschamps et deux animatrices du comité de soutien, Annie et Alexandra.

 

Pourquoi cette grève ?

Assane Diop : Avec OMS, les conditions de travail n’avaient pas arrêté de se dégrader. Nous étions payés très en retard avec de grosses irrégularités dans nos fiches de paie. Enfin, c’est surtout le manque de respect qui a mis tout le monde en colère.

 

Comment la grève a-t-elle commencé ?

A.D : Nous avons déclenché la grève le 21 septembre. Bassirou et moi-même savions par expérience que beaucoup de délégués et de responsables syndicaux dans le secteur du nettoyage étaient corrompus par les patrons et nous nous étions mis à Sud nettoyage. Malheureusement, ce syndicat aussi travaillait avec le patron, et après plus de deux mois de doute et de colère où on ne comprenait pas pourquoi la responsable de Sud ne nous soutenait pas, elle a fini par nous lâcher en plein milieu des négociations le 3 décembre en partant avec la caisse de grève de plus de 5000 euros. C’est là où nous avons décidé de changer de syndicat. Heureusement que pendant toute cette période, nous avons reçu la solidarité d’énormément de gens, notamment du comité de soutien qui était animé par des locataires des immeubles dans lesquels nous travaillons.

 

Annie et Alexandra, pourquoi avez-vous décidé de lancer ce comité de soutien ?

Annie : Nous sommes toutes les deux voisines. Un jour on a vu les grévistes au piquet de grève au coin de notre rue et on est allé leur parler. Dans un premier temps, comme beaucoup d’autres personnes du quartier, on est allé les voir et on leur a apporté de l’eau chaude, des couvertures. Puis un jour, Dabo nous a dit « Rendez-nous visibles ». A partir de là, avec d’autres comme Lucie et Yamina, on a commencé à s’organiser. On a agité tout ce qu’on pouvait : les élus, les médias, les partis politiques, tout le réseau qu’on avait. On faisait du porte à porte pour discuter avec les gens et on a fait signer une pétition par plus de 700 personnes.

Entretemps, Sud a toujours brillé par son absence. Quand tu es un syndicat qui se respecte, non seulement tu vas voir tes grévistes, mais tu fais des assemblées générales avec eux. Mais la responsable de Sud n’a eu cesse de les humilier. C’était hallucinant ses propos, même les grévistes venaient nous répéter les propos de cette fille. Elle était pire que le patron, je t’assure.

Un jour où ça nous a fortement agacées, c’était le jour d’une émission de radio pour relayer l’information sur la grève sur Radio Libertaire. Elle s’est répandue pendant deux heures, elle n’a pas laissé la parole aux grévistes ou très peu. Il y avait Dabo qui a parlé deux minutes. Elle n’a fait que de parler d’elle. Alors à un moment, elle disait tellement de contrevérités qu’on s’est dit qu’elle ne connaissait pas le dossier. Donc Alexandra a appelé en disant qu’elle était du comité de soutien. Alors en direct elle dit : « Comité de soutien ? Ca existe, ça ? » « Ca ne suffit pas de soutenir, il faut agir »

 

Et vous n’avez pas eu de droit de réponse ?

Alexandra : Si mais deux mois après. Cette femme était très misérabiliste. Il fallait voir comment elle décrivait le quartier, comme si on habitait dans le Bronx. Elle a dit qu’elle n’avait jamais soutenu cette grève, qu’elle n’y avait jamais cru, qu’on ne fait pas grève là-bas dans la campagne, à côté du périphérique, dans les logements sociaux, c’était terrible

Annie : On s’est dit, mon Dieu, ça va être compliqué avec cette femme. Les grévistes nous racontaient que régulièrement, ils essayaient d’aller la voir mais qu’ils passaient leur temps à se faire engueuler.

Alex : Et puis elle était sans cesse en train de casser le comité de soutien. Elle leur disait de ne pas nous écouter.  Elle accusait le comité de soutien de manipuler. Pourtant depuis le début on a toujours mis en garde les grévistes de ne pas se faire manipuler. Entre nous et les grévistes ça a toujours très bien fonctionné car on a toujours donné toutes les informations qu’on avait, on n’a rien caché.

 

C’était beaucoup vous deux à l’initiative ?

Annie : Oui, mais beaucoup Lucie aussi, surtout au quotidien. Elle est à la retraite et non seulement elle allait sur le piquet très souvent mais elle est très connue dans le quartier. Cela fait trente ans qu’elle est à l’Amicale des locataires. Elle a un réseau, elle a une reconnaissance au niveau des institutions, de la ville, etc.

 

En dehors des participantEs au comité de soutien, quelle a été l’attitude du reste de la population ?

Annie : Dans l’ensemble les locataires ont été solidaires de la grève. Beaucoup de personnes ont apporté des choses à manger et à boire et on sentait une résonance favorable dans les immeubles quand on allait faire signer la pétition, quand on en parlait autour de nous.

 

Est-ce qu’il y a eu des réactions hostiles ?

Alex : Il y en a eu quelques unes, oui. Des gens qui ont refusé de signer la pétition mais globalement les gens étaient solidaires.

 

Et après le premier rassemblement, quelles ont été vos actions ?

Alex : Il y a eu des contacts avec la presse et on a vite pris contact avec Sébastien de l’UL CGT 11e qui est venu sur le premier rassemblement et aussi avec la CGT des salariés de Paris Habitat. C’était tout un travail de maillage. Puis on n’arrêtait pas de contacter Paris Habitat, tout le temps, des fax, des coups de fils, des lettres,... Ils n’ont jamais voulu nous recevoir. Mais ils nous ont répondu en disant « Mesdames, vous faites des accusation graves. », alors qu’on apportait des faits avérés, des témoignages d’huissiers. Ils nous ont dit que puisque c’était des accusations graves, on n’avait que saisir les juridictions. C’était un grand mépris. Ils avaient réussi à mettre dans la tête des gens que c’était deux délégués qui poussaient les salariés à faire grève, qu’il fallait faire dégager ces deux-là et que OMS n’était pas une si mauvaise boîte que ça. Au début les élus nous disaient que le discours ambiant c’était ça.

Alex : Mais en fait les délégués ont réussi à fédérer tout le monde autour d’eux. Dès que les gens venaient sur le piquet et discutaient avec eux, ils étaient acquis à leur cause. Mais pas que les délégués. C’était un groupe très fort.

Annie : Il y avait des gens qui nous accusaient de manipuler. C’était soi-disant à cause de nous qu’ils continuaient la grève. On a eu droit à tout.

Alex : En fait, avant l’arrivée d’Etienne et la CNT-SO, il y a eu un vide énorme, une absence de syndicat, une absence d’accompagnement. Quelque part c’est le comité de soutien qui s’est pris sur lui pour remplir ce vide et permettre de tenir. Ils étaient seuls. On voulait absolument les aider, à tel point que quand de nouveaux soutiens sont arrivés, ils trouvaient qu’on maternait trop les grévistes. Mais nous, on ne pouvait pas les abandonner comme ça et du coup dans tous les moments durs on était là.

Alex : Lorsqu’ils ont été convoqués au tribunal par le patron et que l’avocat du patron les accusait d’être de dangereux criminels, violents, nous on a apporté des attestations de 40 locataires, avec carte d’identité pour dire que c’était au contraire des gens très pacifiques, ce qui a beaucoup aidé dans la mise en place de la médiation.

 

Après le 16 octobre, y a-t-il eu d’autres rassemblements forts ?

Alex : Oui, il y a eu un rassemblement festif qui avait été prévu le 14 novembre que les grévistes ont décidé d’annuler car la veille il y a eu les attentats. Alors ils ont placé des bougies tout autour du piquet. Puis il y a eu une femme du quartier, une amie à moi, qui a invité tous les grévistes et soutiens à venir manger chez elle et ça a été un moment très fort où tout le monde a pu s’exprimer et que le groupe s’est encore plus soudé.

Enfin, il y a eu d’autres rassemblements comme le repas de soutien à la Maison des Fougères où il y a eu plusieurs centaines de personnes qui sont passées.

AntiK : Vous avez eu le temps de bien connaître les grévistes.

Alex : Evidemment, au fil du temps on a fini par connaître tout le monde. C’est vrai qu’au début on avait plus le contact avec les délégués mais après on a établi des liens très forts en particulier avec les femmes.

Annie : En décembre il y avait le problème du relais entre Sud et la CNT–SO. Etienne était avec nous mais il ne voulait pas se prononcer tant qu’il y avait Sud.  Mais une fois que les grévistes avaient pris la décision de changer de syndicat les choses se sont accélérées. Puis avec Claude Lévy le responsable de la CGT Hôtels de Prestige et économiques. C’est bien la convergence des luttes mais des fois on avait de la peine pour eux quand on les voyait seulement dans les actions devant les hôtels. A un moment on s’est dit avec Claude, c’est bien d’aller devant les hôtels mais il faut aussi aller devant Paris Habitat. Mais c’est ça qui était bien. On a toujours réussi à bien se communiquer, entre Etienne, Claude, avec tout le monde. Il n’y a jamais eu de heurts. C’était la confiance totale. Il n’y a jamais eu de conflit. On était soudé.

Alex : Et puis c’était complémentaire. De notre côté, en tant que locataires on avait une vue sur les charges et on a fait tout un boulot là-dessus. Du coup on était légitime pour interpeller Paris Habitat. On a fait tout un travail sur les appels d’offre, qu’on a donné aux élus, avec un comparatif des charges aussi. Il y a eu un travail en direction des élus pour qu’ils arrivent à faire bloquer les loyers des grévistes et on a fait aussi un peu écrivaine publique sur des cas individuels.

Annie : On ne pouvait pas lâcher. C’était tellement injuste. Tu sais ce qui nous a gonflées ? Même quand les médias sont venus, ce qu’il y avait derrière c’était l’idée que c’était des pauvres Africains. Nous, ce qui était important, c’était le pouvoir d’agir, de se transformer. Quand tu es citoyen engagé tu es acteur de ton territoire et il faut aller jusqu’au bout.

Et on a tout vécu avec eux, les joies comme les coups de déprime. Par exemple, ils vont à cette fameuse rencontre avec le patron en décembre où il dit c’est bon, accord sur tout. Et Alex s’en est voulue après car tout de suite le soir elle a communiqué « Victoire ! », on était tellement heureux pour eux. Puis une semaine après, volte face du patron. On s’est dit, c’est les Fêtes qui arrivent, alors là on a doublé d’énergie. On s’est dit, mon dieu, les fêtes il n’y aura plus personne.

Alex : Plus fort on a été attaqué plus ça nous a renforcées pour aller plus haut. Et là on s’est dit il faut faire tout pour eux., la fête de noël avec les cadeaux et la sortie au cirque avec tous les enfants des grévistes.

Annie : Avec Alexandra, on ne voulait pas faire les dames patronesse. On s’est dit ils font tous noël. Alors le 24 on a emballé tous les cadeaux qui avaient été donnés par les uns et les autres pour la fête du 26 et on a laissé les grévistes s’en servir. Pour la fête du 26, on s’est débrouillé pour en trouver d’autres…

Annie : Puis il y a eu l’idée du réveillon le 31 devant la Mairie du 19ème, qui était une idée de Claude… En fait quand il nous manquait un truc, on a toujours trouvé une solution, un plan B, un plan C.

Puis de nouveau on s’est tourné vers les élus. Avec Jacques Baudrier (du PCF) il y a eu le contact avec le directeur de cabinet de Anne Hidalgo. Jacques s’est mouillé et les choses se sont accélérées. Car personne ne voulait céder. Ce que les grévistes voulaient c’était de sortir la tête haute avec une reconnaissance du droit. Bien sûr il n’y a pas eu le 13ème mois par exemple mais les grévistes n’en pouvaient plus, ils voulaient trouver un accord et signer.

 

Après la rupture avec Sud, c’est avec la CNT-Solidarité ouvrière que vous avez travaillé...

Bassirou Tandjigora : Le travail avec Étienne a tout changé. Il y avait aussi la présence de la CGT Hôtels de prestige et économique. Ils nous ont aidés financièrement, techniquement et généralement nous ont donné un gros coup de pouce, tout comme vous tous, tous nos soutiens.

A.D. : Et avec la CGT (HPE), il y a eu les actions très bruyantes que nous avons menées devant les hôtels.

Cela a eu un très grand impact car OMS a commencé à perdre des contrats.

 

Pendant les quatre mois de grève, comment est-ce que vous, les grévistes, vous avez pris les décisions ?

A.D. Pour toutes nos actions, nous avons pris les décisions ensemble avec les grévistes, avec le syndicat et avec le comité de soutien. On se voyait et on se communiquait tout le temps, par mail, par téléphone et bien sûr sur place sur le piquet.

 

Votre piquet de grève, vous l’avez tenu tous les jours pendant la grève.

A.D. Oui, jusqu’au 13 novembre nous y étions 24 heures sur 24. On y dormait même la nuit avec une tente. Le matin tôt et même à deux heures ou trois heures de la nuit on était là pour accueillir les gens que OMS avait embauchés pour faire le travail à notre place pour essayer de casser la grève.

 

Cette grève a été longue et très difficile...

A.D. Oui, il y a eu beaucoup d’étapes, beaucoup de pièges. Et puis notre plus grosse difficulté était qu’on est tombé sur un syndicat qui représentait un problème aussi important que OMS. Et puis évidemment on a eu de gros problèmes financiers mais ce sont des choses qui arrivent dans la vie d’un homme malheureusement. Mais heureusement il y avait beaucoup de gens autour de nous qui nous ont soutenus y compris financièrement, ce qui nous a permis d’acheter à manger pour nos enfants. C’étaient des gestes qui étaient vraiment très importants. Et tout ce soutien aujourd’hui nous fait vraiment chaud au cœur. Ce qui est certain c’est que pour tous les grévistes, si demain on trouve des situations pareilles, ça nous donne vraiment envie d’aider.

 

Est-ce que vous avez déjà fait une grève comme celle-ci ou était-ce la première fois ?

A.D. Pour moi, c’est la première fois de ma vie que j’ai fait grève.

BT. Pour moi, j’ai fait grève une seule fois mais ça n’a duré qu’une journée et ça a été réglé.

A.D. Mais avec OMS on n’était pas devant des gens normaux. On a été face à un mur en béton.

 

Avez-vous des contacts avec des salariés qui travaillent avec OMS sur d'autres sites ?

A.D. : Oui, il y en a qui commencent à nous solliciter parce qu’ils ont vu qu’il y a de vrais délégués et un vrai syndicat qui existent. C’est un travail qu’on a commencé, et on le finira en mobilisant un maximum de salariés pour mettre fin aux pratiques de cette entreprise.

 

Comment la CNT-Solidarité ouvrière est-elle venue à représenter les grévistes de OMS. Car vous êtes arrivés après le début de la grève.

Etienne Deschamps : Nous sommes effectivement arrivés au milieu de la grève. On avait un collègue qui était gréviste, qui n’avait pas jugé utile de nous contacter. On a vu l’information sur la grève dans la presse et je suis passé sur le piquet de grève. Les grévistes m’ont dit qu’ils auraient voulu discuter avec moi et j’ai tout de suite dit qu’on verrait ça après la grève. On ne change pas de voiture  pendant une course. En fait, si. Le syndicat Solidaires SUD Nettoyage, ayant joué un rôle un peu ambigu, les salariés ont voulu – ils parleront eux-mêmes – changé en plein conflit d’organisation syndicale.

 

La CNT-SO nettoyage a beaucoup d’expérience dans ce secteur. Qu’est-ce qui t’a marqué dans cette grève ?

Étienne : Au centre de ce conflit avec OMS, il y a la question du délit de marchandage. Un donneur d’ordre, ici Paris Habitat, utilise un sous-traitant pour échapper à une obligation légale ou conventionnelle. Les salariés de OMS doivent bénéficier des mêmes avantages et des mêmes règles de salaires (comme le 13e mois) que les salariés de Paris Habitat. Sur cette question, nous avons saisi les Prudhommes. Nous sommes sur des montants de plus de 300 000 euros. Celui qui va payer va être impacté. Par ailleurs, comment peut-on accepter qu’en septembre 2015, des salariés de OMS aient pu travailler sept jours sur sept sur leur site. C’est de la responsabilité directe de Paris Habitat qui doit le savoir. Pour ces salariés, il y aura un additif dans nos procédures prudhommales, mais je pense qu’il y aura même des procédures pénales...

 

Et ce type d’action par rapport aux Prudhommes concernant le marchandage, il y en a eu par le passé ?

E. : Il y en a déjà eu, principalement dans l’hôtellerie. Il y en a déjà eu notamment sous l’impulsion de la CGT (HPE) et on a déjà eu des décisions favorables du conseil de Prudhommes. Il y a un certain nombre de dossiers qui vont arriver devant la Cour d’appel. C’est une bataille qui dans l’hôtellerie a toutes les chances d’aboutir. En reprenant ce raisonnement-là pour Paris habitat, cela nous paraît cohérent. Maintenant on verra ce que disent les juges.

 

Est-ce que vous avez constaté une évolution de ce secteur, justement par rapport au développement de la sous-traitance ?

E. : Oui. Alors, il y a deux phénomènes. Il y a déjà le phénomène du développement de la sous-traitance et puis on a un phénomène de développement de la sous-traitance des sous-traitants. On a des cas de boîtes de taille moyenne qui incitent leurs cadres à créer leurs propres boites de nettoyage. Et ils leur fournissent la quasi-intégralité sous forme d’auto-entrepreneur et alors ils sont tellement comprimés et pressurisés qu’ils ne peuvent même pas appliquer les minima conventionnels et ils paient leurs salariés encore moins cher que ceux du premier sous-traitant.

 

J’ai vu le chiffre de 500 000 salariés dans le secteur du nettoyage.

E. : En fait ce serait plutôt entre 600 000 et 700 000 salariés du nettoyage, selon les sources.

 

Est-ce qu’il y a encore des entreprises qui salarient directement du personnel sans passer par des sous-traitants ?

E. : Oui, il y en a encore par exemple dans certains hôtels mais il y en a de moins en moins. C’est une évolution qui date du début des années soixante avec un boom dans les années soixante-dix.

 

On parle parfois de petites entreprises de nettoyage mais il y en a aussi des gros, n’est-ce pas ? Comme TFN que nous avons vu lors de la grève l’année dernière dans les Finances publiques, qui fait partie d’un énorme groupe Atalian ?

E. : Oui, TFN, qui s’occupe du nettoyage, est avec ses 50 000 salariés, le plus grand secteur d’un groupe d’environ 70 000 salariés et qui s’occupe aussi de l’accueil, de la sécurité, etc.

 

Quel est l’impact de ce développement de la sous-traitance ?

E. : C’est la dégradation des conditions du travail.

 

Et la précarité ?

E. : Oui, mais la précarité existait avant. Là on arrive à avoir des contrats par exemple dans des établissements scolaires où les salariés ne sont pas payés pendant la période des vacances scolaires. Ils ne mangent pas pendant ces périodes-là. Il y a des villes qui sous-traitent le nettoyage de leurs écoles et les salariés ne sont pas payés pendant les vacances. Je ne sais pas si quelqu’un s’est posé la question de savoir si on neutralise les frais parce qu’on ne trouve pas un boulot pour quatre jours ou quinze jours.

Mais il y a aussi une précarisation par le biais des temps partiels – par exemple 70% à 80% des salariés sont à temps partiels dans le secteur du nettoyage, y compris avec des petits temps partiels. Par exemple à Paris Habitat nous avons des salariés qui travaillent 10 heures par mois.

Il y a une telle précarité que dès qu’un salarié bouge ou conteste, on les mute. C’est un secteur très anti-syndical, sauf quand les syndicats sont proches ou ont acquis une proximité avec l’employeur telle qu’ils n’ont plus rien à craindre.

 

Y a-t-il une particularité par rapport au type de personnel qui sont salariés par des sociétés de nettoyage ?

E. : C’est majoritairement, à environ 95%, des étrangers ou d’origine étrangère et 65% de femmes.

 

Dans ce monde du nettoyage que tu connais bien, comment est-ce que tu situes cette société OMS ?

E. : OMS fait partie d’un groupe qui n’aime pas les syndicalistes ou qui n’aime que les syndicalistes qui lui sont inféodés. En tant que défenseurs syndicaux des salariés de ce secteur, nous avons eu tous, des expériences assez surprenantes avec cette société. Par exemple quand c’est le délégué central CGT qui se présente aux Prudhommes pour représenter l’employeur, il y a quand même un petit malaise qui se crée. Quand la CGT défend des salariés de l’hôtellerie aux Prudhommes et voit dans les conclusions, dans les pièces communiquées par l’employeur des témoignages de délégués du personnel ou de délégués syndicaux on a un vrai petit malaise. Mais ce malaise-là, il est généralisé dans le secteur du nettoyage où on a pu constater avec ce que nous ont dit les collègues par rapport à Sud nettoyage, que le syndicalisme est très pourri. Je ne dirais pas qu’on est tout blanc. On ne peut pas contrôler des cohortes de délégués. Il doit y en avoir qui se laissent acheter. Mais une chose qui est sûre, c’est que dès que nous avons des doutes on démandate. On ne peut pas laisser se créer une suspicion de proximité avec les employeurs.

 

Est-ce qu’il y avait d’autres particularités dans cette grève?

E. : D’habitude dans le nettoyage, on a des grèves dans des sites où il y a de grosses concentrations de salariés. Mais la particularité de cette grève, c’est qu’elle a mobilisé des salariés qui, a priori, sont isolés sur leur chantier. Bien sûr, ils ne sont pas totalement isolés parce qu’on sait bien que les résidences de Paris Habitat c’est des centaines de mètres linéaires, des rues complètes dans le 19ème, dans le 13ème ou dans le 20ème. Donc les salariés se voient là mais ils ne se connaissent pas forcément d’une rue à l’autre même à trois pâtés de maison. La force de cette grève donc c’est d’avoir mobilisé des salariés de différents lots, répartis sur différents arrondissements de Paris, au moins trois arrondissements mobilisés et ça c’est pour moi assez nouveau et assez exceptionnel.

 

Il y avait sans doute des gens qui se connaissaient, qui avaient travaillé ensemble.

E. : Bien sûr, justement la mobilité fait qu’ils se rencontrent. Mais c’est le rôle des délégués qui a été déterminant. J’entends ici ou là certains qui critiquent les délégués. Moi, je dois dire que je suis béat d’admiration. Des délégués, j’en ai vus. Mais si toutes les organisations syndicales avaient des délégués comme ça.  Il y aura toujours des choses à améliorer mais quand tous les délégués du nettoyage (et d’ailleurs) auront ce niveau de prise de conscience et de responsabilité, les patrons auront des soucis à se faire et c’est quand même la vocation du syndicalisme.

 

D’après vous, pourquoi le patron n’a-t-il pas signé un accord plus tôt ?

B.T. : On sait que tous les patrons sont des voyous et qu’ils ne pensent qu’à leur porte-monnaie, mais dans notre cas, le patron faisait confiance à des gens qui étaient incompétents et manipulateurs.

Alex : Je pense aussi que c’était des gens qui en avaient fait une affaire personnelle, avec derrière l’idée de « Comment ces Africains osent nous tenir tête ? » Il y avait un tel mépris…

Puis de manière générale, ça a pris du temps, y compris dans les milieux militants, même s’il y a eu des militants dès le début, globalement ça a pris un temps fou à arriver. Ca a été dur. On ne comprenait pas pourquoi ça ne prenait pas.

 

Quel bilan tirez-vous de la grève ?

A.D. : Positif. Une première augmentation pour les bas salaires, des vêtements de travail, une prime de 200 euros, aucune sanction disciplinaire, 60 % des jours de grève payés, et la suppression de la clause de mobilité.

Etienne : Cette clause ne paraît pas grande chose mais ça représente le moyen pour les employeurs, sans aucun motif, d’envoyer un salarié qui travaille avec ses collègues et notamment pour les grévistes, sur un site où il sera complètement inconnu et donc un jour il est viré. Donc en supprimant la clause de mobilité, on permet une protection collective des salariés grévistes.

Même si nous n’avons pas gagné sur toutes nos revendications, pour nous le plus important, c’est que ça nous a permis de grandir mentalement, de connaître du monde autour de nous, et d’avoir compris qu’il y des gens bien qui nous respectent dans ce pays, et cela nous a beaucoup marqués. Cela nous donne envie aussi à l’avenir de venir en aide à d’autres.

B.T. : De faire comme les gens du comité de soutien qui ont joué un rôle déterminant dans cette histoire.

A.D. : Depuis le premier jour quand on a commencé le piquet de grève, ces femmes du comité... Je n’ai pas de mots pour l’exprimer, mais pour moi, mon collègue et tous les grévistes, c’est quelque chose qui restera gravé à vie dans notre tête. Elles ont tellement fait qu’on n’arrive pas à se souvenir de tout.

B.T. : C’est quelque chose d’énorme. Les gens nous disent bravo, vous êtes allés jusqu’au bout, vous avez gagné. Mais sans ce soutien, on n'aurait pas pu aller jusqu’au bout et gagner. Et puis, tout a changé avec l’arrivée d’Étienne et de Claude Lévy de la CGT-HPE qu’on remercie infiniment. Ils peuvent compter sur nous pour aller manifester pour les autres. Enfin, il ne faut pas oublier tous les autres soutiens comme la CGT Finances publiques, l’UL CGT de Paris 11e, Sud Commerce, les élus, les militants des partis politiques, du Front de Gauche, du NPA… On ne peut pas citer tout le monde mais chacun se reconnaîtra. La victoire appartient à toutes les personnes qui ont participé à cette grève depuis quatre mois.

Propos recueillis par Ross Harrold

Pour une vision complète de l’histoire de la grève, voir tous les articles de l’Anticapitaliste et l’excellent travail fait par Sébastien de l’UL CGT 11e (articles, vidéos, etc.) : www.ulcgt11.fr