Publié le Mardi 4 septembre 2018 à 14h17.

Irlande, Argentine : Deux victoires contre le patriarcat et l’Eglise

Le 26 mai en Irlande, 66,4 % des votant·e·s ont défié la campagne obscurantiste de l’Eglise catholique et des groupes « pro-vie », en décidant que la vie du fœtus ne prime pas sur celle de la mère. Les Irlandaises pourront désormais décider si et quand elles veulent avoir un enfant.

Le 14 juin en Argentine, la Chambre des députés s’est prononcée par 129 voix contre 125 en faveur de la légalisation de l’avortement. En août, si le projet de loi est approuvé par le Sénat, l’Argentine deviendra avec Cuba et l’Uruguay le troisième pays d’Amérique latine et de la Caraïbe où les femmes bénéficieront d’un accès libre et gratuit à l’IVG. Selon l’OMS, l’avortement clandestin est la principale cause de mortalité féminine sur le continent. Si la loi est adoptée, le nombre de femmes pouvant avorter librement en Amérique latine passera de 3 % à 10 %.

Ces deux victoires ont un élément en commun : l’une et l’autre sont le produit d’un très profond mouvement de femmes auto-organisées.

En Irlande, la campagne s’est nourrie de l’expérience de celle d’il y a deux ans, lorsque les voix des Irlandais de l’étranger avait été décisives pour l’approbation du mariage homosexuel. Sur cette base, des milliers d’hommes et de femmes se sont organisés afin de convaincre les exilés de venir voter en Irlande. Des associations telles que l’Abortion Rights Campaign (Campagne pour le droit à l’avortement) et Rosa, Reproductive Rights Against Oppression, Sexism and Austerity (les Droits reproductifs contre l’oppression, le sexisme et l’austérité) ont été d’importants cadres d’auto-organisation. Il faut enfin également noter la participation des femmes de plus de 60 ans qui sont descendues dans la rue en défense du « oui », en témoignant de leurs expériences d’avortements clandestins et d’accouchements contraints.

En Argentine, le processus a eu des caractéristiques différentes. Si le projet élaboré il y a dix ans par le mouvement féministe a finalement été présenté au Parlement, c’est parce que cela a été imposé par un tsunami de foulards verts. #Niunamenos, l’organisation qui milite contre les violences envers les femmes, en a pris la tête en affirmant « Pas une seule en moins pour un avortement clandestin ». Après avoir organisé la gigantesque manifestation du 8 mars, les organisations féministes ont suivi l’exemple des Mères de la place de Mai en convoquant chaque semaine des « Mardis verts » devant le Congrès – une initiative qui se poursuivra jusqu’à l’adoption définitive de la loi.

Mais l’élément distinctif le plus notable a été l’irruption dans la mobilisation des jeunes adolescentes qui commencent leurs études secondaires. Soutenues par leurs camarades garçons, elles ont occupé les écoles et manifesté en masse au cri de « S’il n’y a pas de loi, tout va péter ». Avec leurs sœurs plus âgées et leurs mères, elles ont campé par dizaines de milliers devant la place des Deux congrès dans la nuit du 13 au 14 juin, la plus froide de cet hiver austral, pour y suivre le débat parlementaire autour de braseros improvisés. Selon la BBC, un million de femmes se sont relayées au sein du rassemblement au cours des 23 heures de débat. Le 14 juin au matin, des centaines de milliers de voix ont lancé un cri de triomphe à l’annonce du résultat.

L’impact de cette victoire a été ressenti sur tout le continent, où les femmes l’ont fêtée comme si elle était la leur. « Aujourd’hui l’Argentine, demain le Pérou », disait l’affiche de l’association « Stoppons le harcèlement de rue » qui appelait à une mobilisation « pour le droit à décider sur nos corps et nos vies ». « Si l’Argentine peut, le Brésil peut aussi », lisait-on sur l’affiche de l’Articulation des femmes brésiliennes, reprenant le foulard vert de la campagne menée en Argentine. Au Venezuela, les collectifs féministes se sont rassemblés devant le Palais législatif afin de remettre à l’Assemblée nationale constituante une proposition de légalisation de l’avortement et de reconnaissance des droits sexuels et reproductifs. Au Chili, où l’ancienne présidente Bachelet avait abrogé l’interdiction totale de l’IVG imposée par Pinochet, un projet de loi est en cours de préparation pour avancer vers la dépénalisation. La féministe chilienne Gloria Maira a déclaré : « Ce qui s’est passé en Argentine nous aide à renforcer la conscience sociale que seule la mobilisation nous aidera à conquérir nos droits. »

Virginia de la Siega