Publié le Lundi 5 septembre 2016 à 10h20.

L’affaire Jacqueline Sauvage : quelle justice pour les femmes victimes de violences sexistes ?

Après 47 ans de violences conjugales et d'agressions sexuelles ininterrompues, Jacqueline Sauvage est condamnée en première instance en 2012 à dix ans de réclusion criminelle pour le meurtre non prémédité de son mari après un énième passage à tabac et des menaces proférées à l'encontre d’elle et de ses enfants. 

Quelques mois plus tard, en appel, J. Sauvage a été également condamnée à dix ans de prison ferme, encore une fois sur des chefs d'inculpation absurdes et injustes, visant à criminaliser les victimes de violences et à nier la notion d'emprise et de domination ainsi que la menace qui pesait sur sa vie.

Il lui était également reproché de ne pas avoir porté plainte au cours de ces multiples années de torture, alors que nous savons que sur les plus de 200 000 femmes tous les ans qui subissent des violences de la part de leur ancien ou actuel partenaire intime, seules 10% d'entre elles portent plainte en raison de failles juridiques du système, qui ne protège pas les femmes victimes de violence, qui fait preuve d’une totale incrédulité face aux femmes qui viennent témoigner, qui condamne rarement les auteurs de violence et qui, souvent, les relâche après une garde à vue, quels que soient les risques de représailles sur la femme ayant déposé plainte. 

De plus, les femmes battues ne peuvent souvent pas s’enfuir, elles sont victimes de menaces, vivent dans un état de soumission et de terreur permanent et sont souvent subordonnées financièrement comme c’était le cas pour J. Sauvage qui travaillait dans l’entreprise de son mari et qui n’avait donc pas de salaire propre. 

Chaque année, plusieurs femmes tuent leur conjoint violent pour se protéger et se défendre contre ces violences répétées auxquelles elles ne peuvent échapper. Compte tenu des 134 victimes de féminicide dans le cadre du couple que nous pouvons dénombrer sur l’année passée, ce sentiment de danger de mort imminent est avéré et doit donc être prise en compte juridiquement.

Lors de ses procès, J. Sauvage a plaidé la légitime défense, notion de droit dégageant de toute responsabilité pénale et recouvrant des actes « proportionnés, nécessaires et concomitants à une agression ». La légitime défense n’a été retenue à aucun des deux procès car la riposte de J. Sauvage n’était pas « immédiate » et, selon les jurés, pas « proportionnée ».

Afin de lutter contre des décisions juridiques qui banalisent les violences sexistes, il devient nécessaire et urgent de redéfinir la notion de légitime défense, une femme victime de violences sexistes étant en réalité toujours une victime en état de légitime défense. Un projet de loi est en cours de préparation, afin d’intégrer à l’arsenal juridique la notion de légitime défense « différée » ou de « présomption de légitime défense » qui prendrait en considération les rapports antérieurs existants entre l’auteur et la victime, et de ce fait la mise en danger permanente de la vie des femmes battues. C’est une manière de délivrer un « droit de survie » aux femmes victimes de violences, en s’inspirant de la notion de « syndrome de la femme battue », reconnu au Canada et visant à dégager de toute responsabilité pénale les femmes ayant agressé leur partenaire dans une situation d'incapacité fondamentale à sortir d'une situation de violence exercée par leur partenaire. 

La bataille pour le droit des femmes à se défendre face à des violences conjugales quotidiennes est cependant loin d'être gagnée, certains politiciens et juristes niant la réalité de ces femmes, par crainte que cela mette l’accent sur les failles évidentes du système policier, judiciaire et politique ainsi que sur l'incapacité de ce dernier à prendre en charge et à protéger les victimes.

L’affaire J. Sauvage a cependant prouvé que les institutions actuelles, ancrées dans le système patriarcal, ne considèrent pas comme une priorité le secours et l’assistance nécessaires aux femmes battues. En effet, J. Sauvage s’est retrouvée quatre fois aux urgences, a tenté de se suicider, des plaintes de ses voisins ont été déposées, sans que cela n’alerte d’aucune façon les autorités.

Aujourd’hui, malgré la grâce partielle accordée par le président de la République à J. Sauvage et les multiples mobilisations féministes d'ampleur qui ont eu lieu, sa liberté anticipée a été rejetée. 

Il est donc urgent de se battre, non seulement pour la relaxe de J. Sauvage, mais également pour la reconnaissance de la légitime défense différée et du féminicide, pour un salaire à vie pour toutes et tous, nécessaire à l’autonomie financière des femmes afin que plus aucune femme ne soit obligée de subir sa vie conjugale en raison de son absence de salaire, ainsi que pour un meilleur système de prise en charge des victimes de violences conjugales qui refuserait les préjugés sexistes, la culpabilisation des victimes, les faibles peines et les relaxes de leurs bourreaux. Il est également impératif d'éduquer et de faire de la prévention contre les violences sexistes et le système patriarcal qui les cautionne, afin que plus aucune Jacqueline Sauvage n’ait à subir ce supplice. 

Sophie [Rennes]