Publié le Dimanche 9 mars 2014 à 16h00.

Notre corps nous appartient !

Dossier réalisé par la commission intervention féministe du NPA

L’annonce nous est tombée dessus comme un couperet le 20 décembre dernier : le gouvernement espagnol envisage de faire voter une loi pour interdire l’avortement. Obtenu par les luttes des femmes en Espagne, l’avortement y est aujourd’hui autorisé jusqu’à 14 semaines (22 semaines dans certains cas médicaux). Cette législation plus ouverte que le droit français pourrait ainsi être rayée d’un trait de plume !
Dans le contexte de montée des droites réactionnaires en Europe, ce droit chèrement acquis pour nos corps et pour nos vies est donc une fois de plus à défendre et à revendiquer. La preuve, on a ainsi entendu Marion Maréchal Le Pen, surfant sur la vague espagnole, nous ressortir le vieux couplet des « IVG de confort » et du « devoir reproductif des femmes ».
Cette attaque du gouvernement espagnol s’inscrit dans l’offensive européenne des opposants aux droits des femmes. Le Parlement européen a rejeté le 20 janvier 2013 le rapport présenté par la députée Mme Estrela qui proposait que l’avortement soit autorisé dans toute l’Union européenne. Ce projet visait également à faire de la contraception, de l’éducation sexuelle et de la prévention des violences sexuelles des droits européens. Pour les parlementaires européens, c’est non !
Alors qu’en Irlande et en Pologne, l’avortement est toujours interdit, qu’il n’est pas remboursé en Lettonie, ce recul inquiétant pour les femmes espagnoles nous rappelle que, sur ce terrain, on trouvera toujours les réacs de tout poil pour vouloir imposer un contrôle sur nos corps.
Femmes d’Europe, défendons nos droits ! À nous de décider ! Nos corps nous appartiennent !

Hélène

En France aussi, défendons le droit à l’avortement !

Le droit à l’IVG, droit fondamental pour les femmes à disposer librement de leurs corps, est remis en question par les réactionnaires de plusieurs pays. Et ici ?

En France, l’Assemblée nationale a voté le 21 janvier dernier la suppression de la notion de « situation de détresse » pour une femme voulant demander une IVG. En annulant la demande de « justification » pour avoir recours à l’avortement, celle-ci est remplacée par les termes : « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ». Cela conforte le droit à l’IVG pour les femmes. La proposition de loi par l’UMP visant au déremboursement de l’IVG a également été massivement rejetée.
Mais les réacs de tout poil s’emparent du combat anti-IVG en France. En effet, le débat a été houleux et a rappelé que le droit à l’avortement, même 40 après la loi Veil, est encore un droit précaire et controversé. L’UMP (dont la majorité des députés sont membres de l’Entente parlementaire pour la famille) considère en effet que la suppression de la notion de « détresse » conduira à une « banalisation de l’avortement ». L’extrême droite a invoqué la « morale » par des élucubrations de Jean-Marie Le Pen et Bruno Gollnisch, dignes du code civil de 1810 : « Il faut convaincre les femmes de notre peuple de l’absolue nécessité d’assumer leur fonction de reproduction »...

De moins en moins de moyens...
Malgré l’avancée de ce vote, l’accès à l’avortement reste difficile en France faute de moyens financiers, de structures et de médecins le pratiquant. Clause de conscience, délai de « réflexion »... Et surtout, la poursuite par le gouvernement actuel du plan d’austérité HPST entraîne un accès de plus en plus réduit à l’avortement. Ainsi, entre 2004 et 2012, c’est près de 130 centres IVG qui ont été fermés en France !
Si la légalité du droit à l’avortement est aujourd’hui difficilement discutable pour les anti-IVG, ils s’attaquent à sa légitimité, en tentant de le restreindre toujours plus. Parler d’« acte banal » en parlant d’avortement sous-entend une ignorance totale sur celui-ci.
« La Marche pour la vie », groupe anti-IVG, a manifesté à Paris pour inciter le gouvernement français à prendre exemple sur l’État espagnol. Ce groupe, qui s’était allié en 2013 à la Manif pour tous, a rassemblé dans ses rangs plusieurs milliers de personnes derrière des slogans conservateurs et anti-IVG. Cette manifestation a été soutenue par l’Église catholique, dont le pape a rappelé « l’horreur » que suscite en lui l’avortement, et incité les gouvernements à « défendre les familles »...
Face à ces attaques et en solidarité avec les femmes espagnoles, une manifestation a été organisée le 1er février à Paris et dans plusieurs villes de province pour dénoncer les attaques contre le droit à l’IVG dans l’État espagnol et dans le monde, ainsi que le refus du droit des femmes à disposer de leur corps. Elles étaient appelées par des organisations féministes, syndicales et politiques. Une manifestation a eu lieu le même jour à Madrid, à l’appel des Espagnoles pour défendre leur droit à l’avortement.
« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question » (Simone de Beauvoir).

Jessica

Vous avez dit avortement libre, gratuit et accessible ?

Présenté ces derniers jours devant l’Assemblée nationale, le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes prévoit d’assouplir le droit à l’avortement en supprimant la référence à la « situation de détresse » de la femme demandant une IVG au profit de l’expression « qui ne veut poursuivre une grossesse »...

C’est une évolution qui va dans le bon sens et libère dorénavant pleinement les femmes d’avoir à se justifier d’une demande d’IVG, même si, dans les faits, la situation de détresse est depuis longtemps entendue de manière large par les praticienNEs. Il s’agit donc avant tout d’une avancée symbolique, mais qui n’a pas empêché les réactionnaires de tout poil de crier au scandale, certains réclamant même son déremboursement.
Rappelons-le, le droit à l’avortement reste encore un « droit à part », difficilement accessible. Et les difficultés concrètes que rencontre toute femme souhaitant avorter en obligent de nombreuses chaque année à aller à l’étranger.

Ne rien lâcher !
En effet, malgré l’allongement en 2001 du délai de 10 à 12 semaines, les difficultés restent nombreuses. Tout d’abord, la clause de conscience est maintenue explicitement pour l’IVG. Le code de la santé publique prévoit en effet qu’« un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse ». Dans les faits, la pratique de l’IVG repose encore bien souvent sur des médecins militantEs. Par ailleurs, il est toujours nécessaire d’observer un délai de 7 jours « de réflexion » entre les deux premières consultations avant l’acte médical (pouvant être ramené à 2 jours en cas d’urgence).
À ces limites toujours inscrites dans la loi Veil, s’ajoutent les effets dévastateurs des restructurations hospitalières qui se poursuivent. En 2011, le service statistique du ministère de la Santé (la DRESS) dénombrait 130 fermetures de centres IVG.
Il est encore et toujours nécessaire de revendiquer un véritable droit à l’IVG, libre, gratuit et accessible partout et pour toutes. Cela implique de mener résolument le combat idéologique contre la résurgence des idées les plus réactionnaires, mais également de ne pas lâcher sur ce qu’il reste à gagner : contre les fermetures des centres IVG et la casse du service public de santé, pour la suppression de la clause de conscience et du délai de « réflexion ». Car le droit des femmes à disposer de leur corps ne se discute pas !

Gwendoline

Renforcer l’accès à l’IVG

L’organisation par pôle et la tarification à l’activité confirment bien que la loi Bachelot est un frein à l’accès à l’IVG.

Le gouvernement a bien annoncé le remboursement à 100 % de l’IVG, mais les consultations et analyses complémentaires ne sont pas incluses. Ces nouvelles mesures ne sont donc pas suffisantes dans le contexte politique actuel.
Ainsi, les médecins de ville refusent l’IVG médicamenteuse parce que le forfait (3 ou 4 consultations) ne les satisfait pas financièrement. Les hôpitaux ne réalisent pratiquement pas d’IVG médicamenteuse parce qu’« il n’ y aurait pas de demande »...
Des hôpitaux et des médecins refusent
C’est la raison pour laquelle le Mouvement français du Planning familiale (MFPF) réalise des IVG dans ses locaux : démontrer que c’est une demande et un choix des femmes, et une action politique dans la tradition féministe de lutte pour le droit à choisir. L’hôpital d’Orléans, par exemple, refuse même de pratiquer l’IVG par aspiration. Les médecins du MFPF réalisent donc des avortements par aspiration dans les locaux du planning...
Une femme qui ne désire pas une grossesse est dans l’angoisse : l’IVG médicamenteuse lui évite donc les rendez-vous préalables et l’anesthésie, ainsi que de rester dans les salles d’un hôpital où elle est souvent malmenée par certains membres du personnel. Avec l’IVG médicamenteuse, « l’expulsion » se fait à la maison ; et c’est seulement en cas de complications que la femme doit se rendre à l’hôpital le plus proche. C’est un moyen à renforcer car on sait que beaucoup de femmes se procurent les comprimés abortifs par internet, et prennent le traitement sans consultation médicale, ce qui constitue un risque pour elles.
Flor

Après le 1er février, quelles perspectives pour le mouvement féministe ?

En France, les manifestations du 1er février autour du droit à l’IVG en Espagne comme ailleurs (avec toute la dimension française rappelée dans les articles de ce dossier) ont connu un succès inespéré, avec 40 000 personnes qui ont défilé à l’échelle nationale.

Enthousiasmantes, ces manifestations le sont à plus d’un titre. D’abord par leur ampleur, alors que les manifestations féministes traditionnelles du 25 novembre (contre les violences faites aux femmes) et du 8 mars (pour la journée des droits des femmes) ne rassemblaient ces dernières années que quelques milliers de personnes. Ensuite par leur contenu, la date ayant été choisie en solidarité avec les femmes espagnoles. Et pourtant, le pari d’élargir les mots d’ordre à la lutte pour l’IVG en France a fonctionné, alors même qu’aucune manifestation de masse spécifiquement sur ce sujet n’avait eu lieu depuis des années. Enfin, par leur nature : il y avait un dynamisme certain, porté par des manifestantes souvent jeunes et déterminées, à l’opposé de la dernière manifestation du 23 novembre contre les violences.

Clivages et consensus...
Devant cette vague très positive, il est tentant d’estimer que les clivages du mouvement féministe pourraient être aisément dépassés : c’est pourquoi l’organisation à Paris de deux manifestations différentes pour le 8 mars peut paraître incompréhensible. En réalité, cette situation n’a rien d’étonnant, et elle est en fait moins critique qu’il peut y paraître à première vue.
Il faut rappeler que les tensions au sein du mouvement féministe ont toujours existé, découlant de l’affrontement des courants et des organisations sur des questions qui ont toujours reposé sur des analyses profondément différentes. En l’occurrence, si ces dernières années les désaccords se sont cristallisés sur le voile ou la prostitution, le degré de violence n’est pas particulièrement supérieur à celui qui a pu exister entre les féministes essentialistes et constructivistes, ou entre les féministes radicales et les féministes lutte de classes.
Dès lors, le succès des mobilisations sur l’IVG n’est pas surprenant par rapport à ces divisions : il est toujours plus aisé de se réunir sur un axe de travail consensuel (comme cela peut aussi être le cas par exemple autour des Journées intersyndicales femmes organisées par la CGT, la FSU et Solidaires).

L’unité large autour du 1er février
Il ne faut pas idéaliser ce qui s’est passé autour du 1er février, mais il faut en tirer des leçons. Il y a bien eu des tentatives d’écarter certaines féministes et certaines femmes, en particulier les femmes portant le voile et les prostituées, alors qu’un mouvement aux positions aussi polémiques que les Femen a pu prendre une place importante. Si au final l’exclusion de femmes et de féministes n’a pas été possible et que la manifestation a pu être aussi massive, c’est grâce à la pression de la base. En effet, les réunions unitaires dépassaient le cercle restreint habituel et ont permis de remobiliser notamment les organisations du mouvement ouvrier, partis et syndicats, globalement désengagés des luttes féministes ces dernières années. À l’instar de ce qui avait été organisé par l’inter-LGBT en amont des manifestations pour l’égalité des droits, c’est bien en rouvrant les portes des réunions, en élargissant les cadres, que les organisatrices ont pu convaincre.
Enfin, il ne faut pas oublier que contrairement aux réunions féministes des années précédentes, celles-ci n’étaient pas organisées par le seul Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), dont les positions font débat, mais par un groupe de 4 organisations : outre le CNDF, le collectif Tenon, vainqueur d’une lutte exemplaire pour un centre IVG, le Planning familial et l’ANCIC (l’Asso­ciation nationale des centres d’interruption de grossesse et de contraception). Ces trois dernières organisations avaient la légitimité qui commençait à faire défaut au CNDF du fait de ses choix bureaucratiques et clivants. La présence d’organisations qui travaillent à la base, sur le terrain, a été centrale dans l’attractivité du cadre unitaire. Ceci doit nous rappeler que le mouvement autonome des femmes se construit jour après jour, et non un ou deux jours par an. Et l’investissement des organisations associatives, politiques et syndicales, pour le 1er février, a été très positif. Il faut s’assurer que cet investissement ne soit pas un feu de paille.

Pour un réel renouveau du mouvement
Les divergences existent dans le mouvement féministe. Elles recoupent des désaccords profonds, par exemple sur la notion de libre arbitre. Il n’est pas possible de chercher à mettre la poussière sous le tapis en délégitimant ces débats, en prétendant qu’ils ne touchent personne... L’islamophobie touche des milliers de gens, et la question des rapports sexuels rémunérés sous une forme ou une autre dépasse le cadre de la prostitution de rue. Il n’est pas non plus possible de répondre par le mépris et la condescendance aux personnes qui mènent ces débats et ces luttes, en les enjoignant à se focaliser sur ce qui marche : l’IVG et rien que l’IVG.
La lutte pour l’IVG a encore de beaux jours devant elle. L’idée d’une manifestation européenne à Bruxelles fait son chemin, tout comme celle d’un meeting en France avec des invitéEs européens sur la question de l’IVG en Europe. Alors que cette lutte n’est pas nouvelle, les attaques dans l’État espagnol ont entraîné une vraie dynamique en France, et il faut s’en saisir.
Mais pour un renouveau réel du mouvement féministe, il faut parvenir à dépasser une logique défaillante : ce n’est pas l’orientation correcte d’un mouvement perçu comme homogène qui donnera lieu à une mobilisation de masse. C’est l’investissement de toutes et tous dans le mouvement, chacunE à son échelle, qui lui permettrait d’avancer, politiquement et numériquement.

Chloé