« Les djihadistes aux portes de Bamako » : c’est le cri d’alarme d’un think tank proche des autorités US après l’attaque en juillet de la caserne de Kati située à 20 km de Bamako. L’assaut contre cette caserne, véritable centre du pouvoir de la junte militaire du Mali, est, en tout cas, un cinglant démenti des propos du gouvernement malien sur l’amélioration des conditions sécuritaires dans le pays.
Lors du coup d’État contre Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, la junte militaire déclarait qu’elle engagerait une politique de dialogue avec les groupes armés afin de rétablir paix et sécurité. Abandonnant rapidement cette solution, elle a emprunté le chemin opposé. Deux ans plus tard, on assiste à une véritable fuite en avant militaire épaulée par les mercenaires du groupe russe Wagner.
Une sur-militarisation
Déni et triomphalisme sont désormais les marqueurs de la communication des putschistes. Régulièrement, les points de presse gouvernementaux font état de nombreux succès contre les djihadistes. Les faits sont tout autres. Observateurs et experts sont d’accord sur un point : la situation sur le terrain ne cesse de se dégrader. La fin de la collaboration du Mali avec la force conjointe du G5, composée des pays sahéliens, a considérablement affaibli le rapport de forces militaire dans la zone des trois frontières de la région du Liptako-Gourma. À tel point que le général El Hadj Ag Gamou, une figure de la lutte antiterroriste, appelle les populations à fuir vers les grandes villes, faute d’une protection efficace des forces armées maliennes (FAMa).
Le pays s’enfonce dans une violence généralisée nourrie par les différentes milices, qu’elles soient communautaires ou religieuses, mais aussi par les FAMa et leurs supplétifs russes. Les opérations de l’armée dans les villages sont le plus souvent accompagnées de violations des droits humains. Dans le village de Nia Ouro, dans le centre du pays, les mercenaires de Wagner sont accusés d’agressions sexuelles et de viols, à Hombori des dizaines de civilEs ont été exécutés.
Un risque d’effondrement du pays
Des pans entiers du territoire tant au nord qu’au centre sont contrôlés par les groupes armés. La présence de l’État dans le nord est estimée par le dernier rapport des Nations unies à 10 % et, dans le centre du pays, régresse de 27 à 21 %.
Les ripostes des autorités maliennes sont délétères pour l’unité du pays. Les FAMa ciblent les populations peules, engendrant leur radicalisation habilement utilisée par les extrémistes religieux. Les opérations coup de poing de l’armée sont contre-productives car elles ne font que provoquer des actions de représailles des djihadistes.
L’absence de réponse efficace des autorités entraîne l’armement des populations. Des miliciens utilisent leur pouvoir pour rançonner les membres de leur propre ethnie qu’ils sont censés protéger.
Il y a des tentatives de dialogue de paix entre les communautés qui sont couronnées de succès dans les villes des régions de Mopti, Ségou et Douentza pourtant durement touchées par la violence intercommunautaire. Mais la pérennité de ces accords de paix ne pourra être assurée que par une politique de soutien de l’État. Une voie que la junte se refuse d’emprunter préférant la manière forte.
En matière humanitaire les conséquences se font sentir. Le représentant des Nations unies pour le Mali, El-Ghassim Wane, estime « [qu’]en 2022, 7,5 millions de personnes auront besoin d’assistance humanitaire danſ le payſ, contre 5,9 millions en 2021 ».
Quand Wagner joue à qui perd gagne
La junte, comme toutes les autres dictatures africaines, se sert de la souveraineté du pays pour asseoir son pouvoir. Une souveraineté qu’elle brade à la société de mercenaires russes. En effet, plus les putschistes perdent du terrain face aux groupes armés, plus Wagner gagne en influence. Ce qui lui permet d’avancer méthodiquement ses pions en exigeant toujours plus.
Le chef du commandement US pour l’Afrique estime à 10 millions d’euros par mois la somme déboursée par les autorités maliennes pour les « services » de Wagner. Face aux difficultés de paiement du gouvernement, l’entreprise de Evgueni Prigojine exige en compensation l’exploitation de trois nouvelles mines d’or pourtant déjà détenues par deux entreprises canadiennes et une australienne.
L’isolement du Mali est aussi un argument pour restreindre les libertés démocratiques. Les opposants se retrouvent en prison et parfois y meurent comme l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Omar Mariko, un des dirigeants de la gauche radicale, a dû entrer en clandestinité pour assurer sa sécurité.
Sortir la junte du pouvoir devient une tâche prioritaire pour que le dialogue entre communautés puisse favoriser le vivre ensemble et saper ainsi la base sociale des intégristes islamistes.