Publié le Vendredi 8 novembre 2019 à 13h27.

Argentine : la défaite de la droite n’est pas un chèque en blanc pour le péronisme

Même sans les chiffres définitifs, et les partisans d’Alberto Fernández et Cristina Fernández-Kirshner pensent qu’ils seront encore plus favorables à leurs candidatEs, les résultats du lundi 28 octobre sont déjà une réussite considérable du péronisme. 48,1 % des électeurs ont voté pour la formule du « Front de tous », la coalition péroniste, contre 40,4 % pour « Ensemble pour le changement », la coalition de droite, ce qui permet à Fernández-­Fernández de sortir la droite du pouvoir dès le premier tour. 

Une situation économique catastrophique

Étant donné la situation catastrophique dans laquelle il laisse l’Argentine, la question que tout le monde se pose est de savoir comment Mauricio Macri a réussi l’exploit non seulement d’obtenir 40 % des voix, mais de devenir le premier président non-péroniste à finir son mandat depuis 70 ans. Une explication possible est l’éternelle antinomie entre péronistes et anti-péronistes, entérinée par les années du kirchnerisme au pouvoir. Avec une gestion désastreuse, le seul axe de campagne répété en boucle par Macri et son ami Bolsonaro était la peur que l’Argentine devienne une autre Venezuela si le kirchnérisme ­revenait au pouvoir.

La situation de l’Argentine dans laquelle gouvernera Alberto Fernández est épouvantable. Le taux d’inflation est à 57 %, les réserves sont exsangues, le taux de pauvreté dépasse 35 %, les salaires ont perdu 20 % de leur valeur à cause des dévaluations successives, et la dette extérieure pactée avec le FMI est impayable. 

Fernández est conscient de la gravité de la situation. Le 12 août, le jour suivant sa victoire inattendue dans les PASO (primaires ouvertes simultanées et obligatoires), la bourgeoisie et les classes moyennes ont commencé une ruée vers le dollar qui a déclenché une dévaluation de fait. Face à la grogne généralisée, Fernández a demandé aux travailleurs de la « patience ». Ils devaient arrêter les grèves et les mobilisations pour ne pas « mettre en danger» les élections d’octobre et la transition. Malgré ses appels, le 28 août, les organisations sociales et les syndicats indépendants ont manifesté dans le centre-ville de Buenos Aires et ont fait un meeting à la Place de Mai en réclamant l’augmentation des salaires et le non-paiement de la dette. Depuis, même si la bureaucratie syndicale a réussi à empêcher la mobilisation de larges secteurs de la classe ouvrière, un secteur d’irréductibles a continué à faire grève et à manifester dans le centre-ville de Buenos Aires ou dans des provinces comme Chubut. La presse bourgeoise les dénonce comme des secteurs « durs » liés à Juan Grabois, le référent de la CTEP (Confédération des travailleurs de l’économie populaire), qui a connexion directe avec le Pape François, et aux trotskistes du FIT-U. 

« Construire une Argentine égalitaire et solidaire » ?

Malgré les promesses d’Alberto Fernández de « construire une Argentine égalitaire et solidaire », la réalité les rend peu crédibles. Pour tenir les deux bouts, il pense qu’il pourra refaire ce que Duhalde et Kirchner ont fait pour sortir de la crise de 2001 : faire asseoir les patrons et les dirigeants de la CGT à une table et signer un accord dont les travailleurs seront les principaux perdants. Mais les bureaucrates syndicaux ne sont plus ce qu’ils étaient. Les grèves sauvages et les mobilisations de ces derniers temps ont montré qu’il y a, même en petit nombre, un secteur de syndicalistes combatifs qui ne se plient pas aux ordres de la bureaucratie syndicale. 

La vie d’Alberto Fernández ne sera pas non plus facile au Parlement, où, à la différence du Sénat, il est presque jeu égal avec Ensemble pour le changement. Les analystes politiques anticipent qu’il serait possible qu’un secteur du péronisme refuse de voter les lois anti-ouvrières dont il aura besoin. Dans ce cas, ils décomptent qu’il pourrait faire des accords avec les « macristes ».

La candidature du FIT-U, Nicolás del Caño et Romina del Plá, a subi de plein fouet l’extrême polarisation entre la droite et le péronisme. Ils obtiennent 2,16 % de voix contre 2,86 % qu’ils avaient obtenus aux PASO (primaires ouvertes, simultanées et obligatoires) quelques semaines avant. La polarisation s’est répercutée aussi dans les circonscriptions où se tenaient des élections partielles au niveau législatif, sénatorial ou provincial. Malgré les près de 800 000 voix remportées au niveau national, le FIT-U ne gagne aucun siège de député et ne conserve que les deux sièges conquis en 2017 et occupés, actuellement, par Nicolás Del Caño et Romina Del Plá. 

Néanmoins, cette élection a offert la possibilité au FIT-U de faire de la propagande massive pour les combats qui ne manqueront pas de venir, lorsque l’agenda argentin commencera à coïncider avec les rythmes intenses de la lutte de classe en Amérique latine.

Virginia de la Siega