La tension est montée d’un cran après la visite éclair de Nancy Pelosi à Taipei et la « sur-réaction » de Pékin. La dynamique de militarisation de l’Asie-Pacifique s’accélère, mais les préoccupations géopolitiques ne doivent pas occulter les droits des TaïwanaisES.
Présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi est à Washington, dans l’ordre protocolaire, le troisième personnage de l’État, après le président Joe Biden et la vice-présidente Kamala Harris. Son escale à Taïwan, les 2 et 3 août, dans le cadre d’une tournée asiatique, avait donc un poids politique important et il fallait s’attendre à ce que Pékin réagisse. Et le président Xi Jinping a surréagi, ordonnant, entre autres, des exercices militaires d’une ampleur et d’une agressivité supérieures aux précédents.
La fin d’une ère ?
Cette dernière crise en date dans le détroit de Taïwan est restée soigneusement calibrée. L’invasion de l’île n’a jamais été à l’ordre du jour et Pékin a rapidement annoncé que les exercices militaires se termineraient au bout de cinq jours. La crise s’inscrit cependant dans le cadre d’une montée des conflits géopolitiques entre les États-Unis et la Chine, en particulier dans la région Asie-Pacifique, et signifie probablement que l’ère d’un équilibre régional maintenu sous tension grâce à « l’ambiguïté » arrive à son terme.
Taïwan est de fait un État indépendant, mais ne s’est jamais déclaré tel, Washington se gardant d’expliciter jusqu’où pourrait aller son soutien en cas de conflit ouvert. Depuis que les relations diplomatiques ont été rétablies, en 1979, avec la République populaire, les États-Unis ont « reconnu » que pour Pékin, Taïwan était une province chinoise, mais n’ont pas fait leur cette position. Le Parti communiste chinois (PCC) a constamment rappelé son interprétation de la politique « Une seule Chine » (qui fait que Taïwan est exclue des institutions internationales onusiennes) et sa revendication territoriale, menant régulièrement des exercices militaires de routine dans le détroit, mais sans engager pour autant un bras de fer.
Spirale infernale de militarisation
Il est vain de chercher à savoir qui a commencé à rompre cet équilibre dans l’ambiguïté. Xi Jinping y a lui-même contribué, quand il a clamé haut et fort que sous sa présidence, l’île serait reconquise, par la force s’il le fallait. Les TaïwanaisES sont aujourd’hui otages d’un conflit géopolitique qui les dépasse. La récente crise du détroit n’est pas la cause de la montée des tensions géopolitiques entre les Etats-Unis et la Chine, mais plutôt sa conséquence. Dans ce contexte global, l’enjeu taïwanais garde certes une importance spécifique du fait de sa situation au cœur d’une mer de Chine du Sud ultra-militarisée et de son poids économique, comme sa réussite technologique, sans commune mesure avec sa taille (23 millions d’habitantEs).
De provocation en provocation, de sanction en sanction, une spirale infernale de militarisation et une nouvelle course aux armements sont engagées. Le gouvernement japonais vise à achever son réarmement (y compris nucléaire) et participe activement à de vastes exercices aéronavals avec les États-Unis, qui renforcent leur coopération avec l’Australie. La Chine participe à de grandes manœuvres militaires avec la Russie en Sibérie.
Solidarité avec les TaïwanaisES
La question qui nous est posée n’est pas de « choisir notre camp » dans cette confrontation entre puissances, mais de renforcer le mouvement antiguerre en Asie, ainsi que de le reconstituer sur le plan international – et d’intégrer cette dimension aux mobilisations sur le climat, car le prix que l’humanité va payer pour un tel conflit qui attise la crise écologique globale va être très lourd.
Les enjeux géopolitiques ne doivent pas faire oublier la solidarité envers les TaïwanaisES. L’histoire de l’île est bien distincte de celle de la Chine continentale. Le Parti communiste chinois, à l’époque de Mao Zedong, a d’ailleurs longtemps reconnu son indépendance, avant que cette question ne devienne un enjeu clé dans son combat contre le Guomindang de Tchang Kai-chek. Quoi qu’il en soit, ce qui importe, c’est le sentiment actuel de la population de Taïwan qui ne se considère pas comme partie prenante de la Chine de Xi Jinping.