Si vous avez accès à un ordinateur et que vous entrez les mots « républicain », « divisé » ou « mort » dans votre moteur de recherche préféré, vous trouverez probablement des dizaines d’articles récents proclamant la mort du Parti républicain. Ces articles vont de la conservatrice Kathleen Parker à un libéral comme Stanley Greenberg.
Ces réflexions sur le sort du Parti républicain ont pris un relief particulier dans les semaines qui ont suivi la prise d’assaut du Capitole, le 6 janvier dernier. Les démocrates et une poignée de républicains à la Chambre des représentants ont retiré à la représentante d’extrême droite Marjorie Taylor Greene (Républicaine de Georgie) sa nomination [par les républicains] au sein de deux commissions [de l’éducation et du budget]. Et, dès le 8 février, l’ancien président Donald Trump devra faire face à son second procès de destitution au Sénat américain [Cette seconde tentative de destitution de Trump a échoué le 13 février 2021].
Dans les deux cas – de celui Marjorie Taylor Greene et de Donald Trump – le premier républicain du Congrès, le leader de la minorité au Sénat, Mitch McConnell (Républicain-Kentucky), s’est rangé du côté des critiques du GOP [Parti républicain : Grand Old Party]. McConnell a publié des déclarations dénonçant les vues de Marjorie Taylor Greene comme « cinglées » et comme étant un « cancer » dans le Parti républicain. A ce jour, Mitch McConnell a déclaré (même si c’est avec un manque de sincérité) qu’il est prêt à condamner Donald Trump pour son incitation à l’émeute du 6 janvier.
En tant que tels les événements du 6 janvier ont été choquants et contraires aux normes. Mais dans la trajectoire historique des États-Unis, ils n’étaient pas sans précédent. Depuis la fondation du pays, avec sa conquête des terres indigènes et son régime d’esclavage, la violence y a été en permanence un courant souterrain. Les États-Unis ont connu une guerre civile [1861-1865] qui a tué 2% de la population. Les suprémacistes blancs ont alimenté le renversement violent de multiples gouvernements démocratiquement élus tout au long de la Reconstruction du XIXe siècle [1865-1877, au sens étroit] et de la période Jim Crow [lois Jim Crow, 1877-1964 : ensemble de lois qui ont fait obstacle aux droits constitutionnels des Afro-américains « proclamés » à la fin de la guerre civile].
Pour les analystes et les médias libéraux [démocrates en particulier], ces manœuvres au sommet du GOP sont censées représenter le début d’une crise finale du Parti républicain. La désaffiliation de milliers d’électeurs républicains du parti [voir le relevé de désaffiliations dans divers Etats] ou les décisions très médiatisées d’importantes firmes [JP Morgan Chase, Homme Depot, PWC, Charles Schwab, etc.] de couper les contributions aux politiciens républicains qui soutenaient le mensonge de Trump selon lequel il avait réellement gagné les élections de 2020, en sont peut-être une preuve plus substantielle.
Mettons toutefois ces affirmations en perspective
- Tout d’abord, il y a un certain penchant pour les experts à faire des affirmations historiques radicales basées sur des arguments assez limités et ahistoriques. Il suffit de se rappeler ce que les principaux experts libéraux écrivaient suite aux gains de votes démocrates par George W. Bush [2001-2009] pour son programme de 2001. Ces experts ont alors comparé le Parti démocrate à un « perroquet mort », tiré d’un vieux sketch des Monty Python. Cinq ans plus tard, les démocrates ont remporté le Congrès ; et sept ans plus tard, ils ont brandi un « tiercé gagnant » : la domination des pouvoirs exécutifs et législatifs, avec la victoire de Barack Obama [2009-2017].
Sur l’autre versant, le Parti républicain, qui avait perdu en 2008 les élections dans un quasi-raz-de-marée, est revenu en 2010 avec une victoire écrasante à la Chambre des représentants. Pendant la seconde partie du premier mandat de Barack Obama et durant son second mandat un programme de droite s’est imposé au Congrès – programme auquel Barack Obama s’est d’ailleurs plié – et a donc imposé le ton à la politique du gouvernement des Etats-Unis.
Ainsi, si la crise qui sévit actuellement aux États-Unis peut modifier ces cycles électoraux, elle ne les supprimera certainement pas tant que le système politique étatsunien restera l’apanage de deux partis capitalistes oscillant au sein d’un consensus pro-capitaliste écrasant.
- Ensuite, à Washington, les républicains restent hors du pouvoir par la plus petite des marges. Ils n’ont perdu le Sénat (par un vote décisif) qu’en janvier 2021, avec les victoires inattendues des démocrates [Jon Ossoff et Raphael Warnock] au second tour en Géorgie. En outre, ils ont réduit la majorité démocrate à la Chambre des représentants de 235 voix à 221 voix (trois de plus que nécessaire pour obtenir une majorité), remportant toutes les batailles de novembre que le Rapport politique Cook (The Cook Political Report), spécialisé dans les pronostics politiques, jugeait être devoir se jouer à pile ou face. Et ils ont maintenu ou renforcé leur emprise sur les législatifs des États dans tout le pays, même dans les États où l’on avait prédit que les démocrates feraient de bons résultats. Enfin, Trump a recueilli 74 millions de voix (environ 47 % de l’ensemble des suffrages exprimés) et s’est notamment infiltré dans des « poches » d’électeurs de couleur, du Texas du Sud au Bronx. Tout cela est assez impressionnant pour un parti qui est censé être à bout de souffle.
- Enfin, il est trop tôt pour dire si les premiers indicateurs de changements substantiels dans le vote ou la base financière des républicains seront significatifs à long terme. La désaffiliation du GOP de dizaines de milliers d’électeurs est une goutte d’eau dans l’océan des dizaines de millions de votes républicains en novembre. Et l’idée que les grandes firmes des Etats-Unis soient soudainement devenues des championnes de la démocratie est risible.
La classe dominante des Etats-Unis ne veut pas renverser le système démocratique limité qui lui a procuré tant d’avantages. Mais si le Congrès ou les autorités de régulation commencent à promouvoir des politiques auxquelles s’oppose la « Corporate America » [les « Etats-Unis SA »], ses lobbies trouveront un moyen pour travailler avec les élus du GOP, ce qu’ils évitent actuellement. Il est bon de rappeler que les organisations de lobbying des firmes s’inquiètent du maintien de leur influence collective malgré la décision de la Cour suprême des États-Unis de 2010 dans l’arrêt Citizens United [organisme conservateur] versus Federal Election Commission. Un arrêt qui a permis à un petit groupe de milliardaires très idéologisés d’acheminer des sommes considérables vers diverses organisations de « dark money » [cette formule « argent sombre » fait référence aux dépenses politiques d’organisations à but non lucratif qui ne doivent pas divulguer leurs donateurs]. Jusqu’à présent, les principales organisations liées aux firmes dominantes ont lancé des campagnes largement couronnées de succès, après 2010, afin d’empêcher la nomination comme candidats du GOP de dingues inéligibles membres du Tea Party.
L’establishment et le système bipartisan
Dans un premier temps, l’establishment du monde des affaires n’a pas soutenu Trump en 2016. En 2016 comme en 2020, la plupart des fonds des firmes sont allés aux candidats démocrates à la présidence. Pour les grandes entreprises, le style chaotique de Trump, son opposition au libre-échange et à l’immigration, et par la suite son incapacité à endiguer la pandémie, ont été des raisons plus que suffisantes pour préférer Clinton en 2016 et Biden en 2020. Cependant, une fois Trump au pouvoir (rhétorique et Tweets mis à part), les firmes étaient plus qu’heureuses de l’accompagner en tant que conservateur traditionnel pour ce qui est de la fiscalité, de la déréglementation et de la nomination des juges fédéraux pro-business. Il ne faut donc pas croire que les firmes envisagent sérieusement d’abandonner définitivement le GOP.
Les événements récents ont montré que si le Parti républicain est divisé, il l’est entre une énorme majorité qui soutient les Trump and les Greene et une petite minorité qui veut prendre ses distances par rapport aux événements du 6 janvier. Même après qu’ils se soient réunis à nouveau pour certifier l’élection présidentielle – après s’être cachés face à la meute d’extrême-droite 6 janvier – les élus républicains du Congrès, dans leur très large majorité, ont voté pour contester la légitimité de l’élection de Biden.
Seuls cinq sénateurs républicains ont voté avec l’ensemble des démocrates pour rejeter la résolution du sénateur Rand Paul [du Kentucky] qui refusait le procès de destitution de Trump. Et seuls 11 républicains de la Chambre des représentants ont voté pour enlever à Marjorie Taylor Greene ses fonctions au sein des deux commissions. Et cela malgré les menaces de mort très publiques qu’elle a proférées contre d’autres membres de la Chambre. Cette poignée de républicains – que les médias de l’establishment ont salués pour leur courage – a surtout été condamnée et critiquée par les partis républicains de leur État et de leur circonscription.
Tant que les États-Unis auront un système bipartite, les deux partis de la « grande tente » [« qui attrapent tout »] rassembleront un large éventail d’opinions sous leurs parapluies pro-capitalistes. L’année dernière, la députée Alexandria Ocasio-Cortez, qui s’est identifiée comme démocrate socialiste, a fait la une des quotidiens en déclarant que si les États-Unis avaient un système parlementaire, elle et le centriste néolibéral Joe Biden ne seraient pas dans le même parti. On pourrait dire la même chose de la droite de l’éventail politique. En Grande-Bretagne, la politique de type « trumpiste » trouve sa place dans des partis comme le UK Independence Party (UKIP) ou le Brexit Party [les deux animés par Nigel Farage], avant d’être réabsorbée par le parti conservateur (Tory). La politique étatsunienne, « populiste » et conservatrice de l’establishment, reste à l’intérieur du GOP.
Même si l’agenda du capital est le moteur des deux partis, le capital lui-même n’a pas assez de soutien pour inciter les électeurs à soutenir les seuls conservateurs élection après élection. Le Parti républicain moderne a donc compté sur des millions d’électeurs (blancs pour la plupart), issus pour la plupart de la classe moyenne, afin de continuer à faire élire ses candidats.
Tout a commencé avec la campagne présidentielle de 1964, lorsque le sénateur Barry Goldwater [sénateur de l’Arizona, 1909-1998] a lancé un appel aux électeurs en s’opposant explicitement à la loi sur les droits civils de 1964. Elle s’est prolongée avec l’adoption de politiques contre le droit à l’avortement et anti-LGBT afin de réunir le plus grand secteur d’électeurs républicains: les chrétiens évangélistes conservateurs. À bien des égards, l’élargissement de la « grande tente » du GOP pour y inclure des éléments de l’extrême droite et des complotistes à la QAnons – dont la vision du monde se superpose en grande partie avec la vision évangéliste du monde – est une version plus extrême du même procédé.
Dans une atmosphère de polarisation politique continue et dans la perspective d’un GOP que retrouve la majorité au Congrès en 2022, il n’y a aucune raison pour que les politiciens ou les responsables républicains créent une cassure dans ses rangs. Plus l’élite de Washington s’éloignera du 6 janvier et plus l’accent sera mis sur l’agenda des démocrates, et alors plus les républicains réussiront à faire revivre leurs partisans en opposition aux démocrates. Ajoutez à cela une structure politique [la délimitation des circonscriptions] qui est systématiquement biaisée en faveur de la représentation des blancs, des ruraux/exurbains et des conservateurs. Ainsi, toute personne qui écrit aujourd’hui une nécrologie du Parti républicain devra peut-être ravaler ses mots demain.
Article publié le 8 février 2021 sur le site de International Socialism Project ; traduction rédaction A l’Encontre