Publié le Mercredi 16 octobre 2019 à 16h25.

Barcelone brûle-t-il ?

« Arde Barcelona ? » Oui, et pas seulement, les coupures de rues et de places ont lieu dans toutes les grandes villes de Catalogne (Sabadell, Tarragona, Lerida…). La police charge partout.

Après l’occupation massive de l’aéroport du Prat à Barcelone lundi, ce sont les rues des villes qui, ce mardi, ont été l’objectif des mobilisations de protestation contre les sentences au procès des indépendantistes. Les grandes avenues de Barcelone (paseo de gracia par exemple) sont coupées par 4 ou 5 barrages de feu. La police (les « Mossos » – police catalane- en tête, nous y reviendrons) charge très violemment y compris en envoyant des fourgons charger droit dans la foule. Pour l’instant la grande majorité des manifestants reste sur l’attitude « pacifique », mains agitées en l’air, etc, mais de plus en plus de jeunes plus radicaux ripostent. Dans toute la Catalogne les places se sont remplies de manifestants, dans la journée de nombreuses routes ont été coupées. Chaque jour des objectifs nouveaux sont annoncés. Demain (mercredi 16) on annonce 5 grandes « marchas » partant de cinq points du « grand Barcelone » pour converger au centre, cela pendant trois jours. Si c’est effectif cela provoquerait un « colapso » sur toutes les voies d’accès à Barcelone.

Les réactions politiques

La réaction du  PSOE au gouvernement a été immédiate : « les sentences seront appliquées dans leur totalité », bien sûr le PP, Ciudadanos et Vox, relayés par la quasi-totalité des media espagnols, en rajoutent sur la violence des extrémistes, l’appel à la répression, à la caractérisation des organisations indépendantistes comme « terroristes »…

Chez les  indépendantistes majoritaires il y a un double jeu qui commence à être dénoncé par les manifestants eux-mêmes. D’un côté, bien sûr ils appellent aux mobilisations « pacifiques » pour dénoncer la sentence, mais, de l’autre, en tant qu’autorité autonomique ils envoient les « mossos » réprimer – et très violemment – les manifestants. Ce sont d’ailleurs les « Mossos » qui coordonnent les opérations du maintien de l’ordre et décident d’appeler ou non la police nationale ou la garde civile en renfort. Cela se voit et s’entend dans les manifs « Dehors les forces d’occupation » ! mais aussi « les Mozos aussi sont des forces d’occupation » ! Torra, le président de la « generalitat » a eu cette formule d’un jésuitisme achevé : « Les mozos interviennent pour éviter aux manifestants d’être poursuivis pour sédition ». En fait, PdCat et Esquerra suivent la même ligne qu’il y a deux ans : mettre tout leur espoir sur une réaction favorable à l’échelle européenne.

Mais la radicalité du mouvement de protestation a d’autres conséquences. Les appels les plus déterminés, ceux des CDR ou de plateformes comme le « Tsunami démocratique » par exemple,  sont suivis. Il ne semble pas y avoir pour l’instant de phénomènes d’auto organisation massive comme on avait pu la connaître au plus fort de la crise il y a deux ans. Les CDR ont un crédit de convocation mais ne fonctionnent pas en assemblées. À noter deux faits significatifs : l’ANC, l’association liée au PdCat se radicalise nettement au niveau du discours. Plus important sans doute, comme au tout début de la bataille du référendum les gens « de gauche » et non indépendantistes, indignés et inquiets des sentences, semblent se mobiliser. Traduction politique, cette fois, sur le terrain de la dénonciation et de l’appel à la mobilisation, Podem et les « Comunes » sont clairement avec les manifestants.

Dans le reste de l’État Espagnol matraquage et manipulations médiatiques habituels. Quelques petites manifestations de dénonciation des sentences au pays basque et à Madrid. Mais l’espoir est qu’une partie importante des militants du mouvement ouvrier et associatif comprenne la sentence comme ce qu’elle est : une menace claire pour tous ceux qui se mobilisent. L’accusation de sédition et la menace de prison pour quiconque défend ses droits dans la rue.

 

L’interprétation de la sentence

Au-delà de son caractère scandaleusement inique, antidémocratique et menaçant, on peut en faire plusieurs lectures :

D’abord, par rapport aux peines encourues on peut dire qu’ils en sont restés « à mi-chemin » : 12 ans au lieu des 20 ans maxi. L’accusation a été « requalifiée » :  de « rébellion » elle est passée à « sédition ». Et ce changement est valable pour Puigdemont.

 Certes ce changement de chef d’accusation pourrait permettre plus facilement une extradition de Puigdemont de la part des autorités européennes. Mais en cas de décision inverse, cela pourrait aussi lui permettre de siéger au parlement européen où il a été élu…

Pour les emprisonnés, cette sentence de « troisième degré » pourrait leur permettre des « permis de sortie provisoire »  quotidiennes ou de fin de semaine à partir du mois de janvier. Ce qui a évidemment un sens, d’autant que les prisonniers indépendantistes sont maintenant en prison à… Barcelone.

Bien sûr cela fait partie des calculs politiques à moyen terme et de notre côté l’essentiel reste la dénonciation absolue de ces sentences. Une illustration : Pour  les coupables de la tentative de coup d’état du 23F 81 (Tejero), il n’y a eu que trois d’entre eux qui ont eu des peines supérieures à celles infligées aux leaders indépendantistes. Phrase entendue : « C’est plus grave de sortir des urnes dans la rue que d’y envoyer des tanks ?!»

La situation

La principale question est : combien de temps la mobilisation actuelle va pouvoir tenir ? Il n’y a pas de solution « insurrectionnelle ». Sans parler des forces armées, la détermination qui consisterait à proclamer de nouveau la « République catalane » et à appeler à effectivement expulser de toutes les villes les « forces d’occupation » (« mossos » compris !) fait défaut non seulement bien sûr aux indépendantistes majoritaires, mais même aux plus radicaux. Tout réside sur la capacité de résistance des dizaines de milliers qui se mobilisent ces jours-ci. Et des perspectives qu’ils pourront se donner.

Au niveau politique, à l’heure actuelle les camarades que j’ai interrogés ne voient pas d’issue à la crise. D’ici aux élections générales (10 novembre), le PSOE ne bougera pas de sa position « les sentences seront appliquées ». Or toute « négociation » sérieuse impliquerait forcément que les leaders emprisonnés y participent. Et le PSOE ne prendra pas le risque de plus de surenchère espagnoliste du côté du PP avant les élections. Ni même après. C’est pourquoi une hypothèse commence à être formulée : un éventuel « gouvernement d’union nationale PSOE-PP »  après les élections.

Les sondages actuels indiquent que le PSOE pourrait rester premier en tête mais avec une marge bien moins grande face au PP qui doublerait ses sièges. Ciudadanos s’effondrerait au bénéfice du PP et de Vox (qui lui passerait devant). Podemos et toutes les configurations à gauche du PSOE baisseraient. Résultat aucune majorité possible à droite ou à gauche. Les voix des députés nationalistes en Catalogne (sans doute 20 députés) et au Pays Basque seraient déterminantes pour obtenir une majorité.

A part ça au niveau social le fait marquant sont les « marches des retraités ». Partis du pays basque et d’Andalousie, elles convergent aujourd’hui à Madrid et bénéficient d’un fort soutien populaire. Sur le plan international, nombreuses  manifestations en faveur des Kurdes de Syrie, numériquement faibles, dans beaucoup de villes d’Espagne. Les anars, CNT en tête, en pointe dans ces mobilisations. 

Fabrice Thomas