Si quelqu’un doutait que le Brésil ne serait plus jamais le même après les journées de juin, la puissante grève des professeurs du réseau municipal de la ville de Rio de Janeiro, près de 60 000 grévistes, qui s’est terminée vendredi 25 octobre, est venue le confirmer.
Ce furent 78 jours d’une bataille comme on n’en avait pas vue depuis 19 ans dans le domaine de l’éducation. Au-delà des bas salaires (750 dollars environ pour 20 heures hebdomadaire d’enseignement), les enseignants ont décidé de s’opposer au manque d’autonomie pédagogique des plus de 1 000 écoles du réseau, et au système d’évaluation en fonction des résultats. Ils se sont également opposés à l’autoritarisme du secrétariat à l’Éducation qui nomme les directeurs en fonction de ses propres intérêts.La grève a débuté de façon massive, suivie par 70 % des enseignants. Il y a eu des défilés comptant jusqu’à 10 000 enseignants à travers les quartiers riches du sud de la ville, affrontant le maire Eduardo Paes (Parti du mouvement démocratique du Brésil, allié du PT). Durant les mois d’août et de septembre, la grève a été massivement suivie. Elle s’est accompagnée d’actions, de défilés et de meetings qui ont rassemblé des milliers de personnes. Les enseignants ont ainsi pu imposer des négociations à la mairie et arracher une augmentation des salaires de 15 %. Mais les professeurs exigeaient davantage, à savoir la fin de la dite « méritocratie », c’est-à-dire des critères néo-libéraux autoritaires d’évaluation en fonction des résultats.Un fois accordée la hausse des salaires, la mairie de Rio a décidé d’envoyer aux conseils municipaux ses directives pour le nouveau déroulement de carrière, introduisant l’obligation pour tous les enseignants, quelle que soit leur spécialité, d’enseigner n’importe quelle discipline. Ce qui a provoqué la colère des enseignants.
Un vote armé...Lors de la première tentative de vote, les enseignants ont donc occupé le conseil municipal. Le 30 septembre, jour de la deuxième tentative de vote, la place Cinelandia où se trouve la mairie s’est transformée en place forte. Le spectacle des professeurs, des étudiants et des travailleurs solidaires encerclés par les centaines de voitures et hélicoptères de la police a été retransmis sur toutes les chaînes de télévision. Les téléspectateurs ont pu voir en direct les charges violentes des forces de l’ordre accompagnées de tirs de bombes lacrymogènes, gaz au poivre et de tirs de balles en caoutchouc.Cette répression a permis à la coalition PMDB-PT de faire adopter son plan. Dans un discours émouvant prononcé ce jour-là, le jeune conseiller municipal du PSOL (Parti socialisme et liberté) Renato Cinco, un des opposants, leur a signifié le profond dégoût que lui inspirait leur comportement. Paes a, lui, attribué cette résistance à une conspiration du PSOL et du Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU) contre son gouvernement...Vue la puissance du mouvement, un ministre du Tribunal suprême fédéral, la plus haute cour de justice du pays, a décidé de se poser en médiateur. Une nouvelle réunion a eu lieu à Brasília le mercredi 23 octobre en présence de la direction du syndicat SEPE qui, devant l’affaiblissement du mouvement, a proposé la reprise du travail. Le vote en assemblée générale le vendredi 25 octobre fut serré : 1 065 pour la fin de la grève contre 889 pour la poursuite. Il faut maintenant tirer les leçons, s’interroger sur l’état des forces politiques engagées dans la construction du SEPE et sur la possibilité de tenir un congrès du syndicat le plus tôt possible. Car le gouvernement s’emploie à détruire ce syndicat qui est une référence en matière de combativité, d’autonomie et de démocratie syndicale dans le pays.
De Rio de Janeiro, Ana Carvalhaes(Traduction Alain Sergio)