Publié le Mercredi 16 mars 2016 à 11h32.

Brésil : Le gouvernement ne tient plus qu’à un fil

Ce dimanche 13 mars, dans plus de 300 villes brésiliennes ont eu lieu des manifestations contre le gouvernement Dilma Rousseff et pour sa destitution. On s’y est exprimé contre à la fois la corruption, la situation économique du pays, le PT, et l’ancien président Lula...

Tout le monde s’accorde pour dire que ce sont les plus grandes manifestations au Brésil depuis des dizaines d’années : plus grandes que les manifestations du même type de 2015 ; que celles, très différentes, de 2013 ; que celles qui exigeaient la démission de Collor en 1992 ; et peut-être même que celles de la campagne pour les élections directes (contre la dictature militaire) en 1983-84.

L’essor des manifestations a été favorisé tant par l’aggravation de la crise économique qui a commencé à la fin de 2014 (le PIB a chuté de 3,8 % en 2015) que par la poursuite des enquêtes et des procès contre la corruption, à commencer par l’« Opération lavage express » (« operação lava jato ») autour de l’entreprise Petrobrás. L’énorme retentissement de la garde à vue de l’ancien président Lula le 4 mars, puis de la demande de son placement en détention préventive le 9, et plus généralement l’attitude générale des médias, ont aussi encouragé ces manifestations.

D’un autre côté, les manifestations ont représenté une minorité de la société brésilienne : y ont participé des couches à revenu moyen et élevé, surtout des blancs. Les couches qui habitent les banlieues des grandes villes et qui souffrent le plus de la crise économique n’y ont que très peu participé, bien que, parmi elles aussi, prédomine le mécontentement contre le gouvernement.

Au cœur de la crise politique

L’autre mauvaise nouvelle pour le gouvernement Dilma est que le PMDB (centre droit), un des deux plus grands partis qui le soutiennent (l’autre étant le PT) tend à l’abandonner. Il a tenu une Convention samedi 12 et s’est donné un délai de 30 jours pour délibérer sur un projet de rupture avec le gouvernement. Il est des lors apparu évident qu’il négocie avec les partis de l’opposition, à commencer par le PSDB, sa place dans l’« après-Dilma ».

Le PT lui-même se trouve dans une position des plus confuses. Il défend le gouvernement, mais s’oppose à ses politiques, qu’il s’agisse de celles qui sont déjà mises en œuvre (la politique économique de « l’ajustement fiscal ») ou de celles qui sont en projet (la nouvelle réforme de la sécurité sociale). Des mouvements sociaux qui lui sont liés ont appelé à se mobiliser contre l’impeachment, mais ont aussi pris position contre la politique économique du gouvernement et contre plusieurs de ses projets (par exemple la loi « antiterroriste »). Il y a peu de chances qu’ils aient du succès.

Pour envenimer le tout, on commence à voir apparaître des accusations de financements illégaux d’une partie de la campagne présidentielle de Dilma Rousseff en 2014. Cela battrait en brèche l’un des principaux arguments contre le processus d’impeachment : celui selon lequel il n’y avait aucune accusation directe contre Dilma. Avec la poursuite de l’enquête, et avec l’existence de plusieurs « dénonciations primées » en cours (aveux avec promesse de réduction de peine), nul doute que la situation ne peut que se dégrader pour le gouvernement et le PT (mais aussi, à un moindre degré, pour les autres partis, y compris ceux de l’opposition de droite).

Dilma Rousseff jusqu’au bout ?

Dans ce cadre, les chances qui restent à Dilma d’aller au bout de son mandat se sont considérablement réduites. On ne voit pas de quelle manière le gouvernement pourrait réagir. Tout d’abord, les dégâts provoqués par le développement des accusations de corruption sont énormes. Bien sûr, les procureurs et les juges qui enquêtent sur Lula et d’autres Petistes ont agi d’une manière inéquitable et, parfois, à la limite de la légalité. D’une part, ils ne mènent pas d’enquête contre des membres d’autres partis (tels que le PMDB ou le PP, eux aussi au gouvernement, ou le PSDB) qui trempent également dans l’affaire. D’autre part il n’y avait aucune justification à la garde à vue lors de la convocation de Lula et encore moins pour une demande de détention préventive (qui n’est pas encore décidée par un tribunal). Lula s’est posé en victime de persécution, et a recueilli sympathie et solidarité, au-delà de ceux qui le soutiennent politiquement. 

Comme l’ont montré les manifestations, cela n’a pas suffi à limiter les dégâts, encore moins à inverser le courant. De plus, les accusations portées contre lui et beaucoup d’autres Petistes n’ont pas l’air d’être mensongères. On peut avoir des doutes sur le fait que Lula aurait enfreint tel ou tel article du Code pénal, mais il n’y en a aucun sur le fait qu’il a au minimum fait l’objet de faveurs de la part d’entreprises, principalement du bâtiment, pour son confort personnel (en particulier un logement dont il n’est pas officiellement propriétaire, mais qu’il occupe régulièrement avec sa famille).

Quoi qu’il en soit, le PT et le gouvernement ont estimé que seul Lula a encore un prestige suffisant et la capacité de les sauver : Dilma a fait appel à Lula pour qu’il entre au gouvernement, et il semble qu’il soit prêt à accepter. Si cela venait à se confirmer, ce serait un jeu très risqué. L’entrée de Lula au gouvernement maintenant est une manœuvre désespérée. Comme l’ensemble du PT, il a critiqué la politique économique de Dilma. Va-t-elle en changer ? Si elle le fait, n’aura-t-elle pas l’image de quelqu’un qui ne sait plus quoi faire ? Et si elle ne le fait pas, ne perdra-t-elle pas sa base parlementaire ?

De Sao Paulo, João Machado

(Traduction par Jean-José Mesguen)

Intertitres de la rédaction