Jusqu’à présent maire de Gérone, Carles Puigdemont vient de prendre la tête du nouveau gouvernement catalan constitué par la coalition Junts Pel Sí (JpS) qui avait regroupé lors des élections du 27 septembre dernier des partis souverainistes de centre droit et de centre gauche. De plus, il bénéficie du soutien des principales organisations sociales indépendantistes : l’Assemblée nationale catalane et Omnium.
JpS est parvenu à un accord de stabilité parlementaire (pas seulement d’investiture) avec la Candidatura d’Unitat Popular (CUP), une force anticapitaliste et indépendantiste. La CUP, très divisée, a dû réaliser jusqu’à trois consultations internes pour parvenir à une position définitive : un Non à l’investiture de Mas, président depuis 2010, ne posant donc qu’une seule condition : un changement de candidat pour la présidence. Après avoir refusé cette possibilité un nombre incalculable de fois, Mas a dû nommer un successeur. JpS n’a pratiquement accepté aucune proposition de la CUP pour obtenir son aval à l’investiture, comme par exemple revenir sur les privatisations ou freiner la construction de Barcelona World, un énorme projet d’agression écologique et sociale. JpS n’allouera pas non plus un budget suffisant au « Plan-choc contre la pauvreté », alors que cela était inclus dans son propre programme...
La CUP a donc non seulement accepté d’investir un candidat qui a réalisé une gestion néolibérale en tant que maire de Gerone, mais elle a de plus scellé un pacte avec des conditions humiliantes : deux démissions de députés, deux autres de ses députés s’ incorporeront aux débats du groupe de JpS, interdiction de voter contre le gouvernement « au cas où cela remettrait en cause la stabilité » et même des excuses publiques pour des critiques « trop agressives ». à présent, la CUP essaye de faire passer pour une victoire la chute de Mas et celle d’autres membres des précédents gouvernements associés aux coupes budgétaires, aux privatisations et à la répression. Pourtant on les a remplacés par des personnalités dont le profil politique est dans la continuité du précédent gouvernement...Pourquoi Mas s’est-il désisté ? Tout porte à croire qu’il aurait été mis en déroute en cas de nouvelles élections anticipées. Au sein du courant indépendantiste, il y avait la peur de la possibilité d’une probable irruption de En Comú-Podem, la candidature conjointe de Podemos et de Ada Colau, la maire de Barcelone.
Vers l’indépendance ?
Une autre question problématique est la lecture faite des résultats des élections du 27 septembre. Après l’interdiction du référendum pour l’ autodétermination par le gouvernement Rajoy, JpS et la CUP ont voulu transformer les élections régionales en un plébiscite sur l’indépendance. Le reste des partis a refusé, mais cette dynamique s’est imposée de fait. Les indépendantistes ont réussi à dépasser les 50 % en sièges mais pas en voix. JpS l’interprète comme une victoire du Oui et estime que la perspective d’un référendum pour l’autodétermination est donc désormais dépassée, antidémocratique... Théoriquement, dans les prochains 18 mois doit se produire la « déconnection » de la Catalogne de l’État espagnol et un processus constituant.
Cependant, rien n’indique que le nouveau gouvernement catalan pourrait désobéir. Par exemple, le Parlement catalan a approuvé une déclaration qui déniait toute légitimité au Tribunal constitutionnel espagnol. Mais quand ce dernier a suspendu cette déclaration, le gouvernement catalan a fait un recours en alléguant que cette déclaration n’exprimait seulement qu’un « désir »... D’après ces indices et des mobilisations sociales plutôt au point mort, le risque que le processus d’autodétermination se fige et que les politiques néolibérales se poursuivent est plus qu’évident.
De Barcelone, Oscar BlancoTraduit par Francis Pallares et Jean Puyade