La FAO tire le signal d’alarme sur la crise alimentaire. Les ONG humanitaires, dont OXFAM, indiquent dans une déclaration que c’est « la pire situation en dix ans » et Antonio Guterres, le Secrétaire général de l’ONU, parle d’un « ouragan de famines ».
Dans cette tension mondiale de l’alimentation, l’Afrique reste le continent le plus vulnérable. Si les raisons de cette crise sont multiples, elles ont cependant un point commun, celui des choix politiques qui vont à l’encontre des besoins des populations.
Spéculation et hausse des prix
L’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine a accentué la crise alimentaire en Afrique de l’Ouest, mais elle ne l’a pas déclenchée. Avant la guerre, de fortes tensions apparaissaient sur l’approvisionnement des denrées provoquées par des actions spéculatives constatées à la bourse de Chicago, une des premières places boursières pour les produits agricoles.
Depuis quatre ans, le nombre de personnes victimes de malnutrition en Afrique de l’Ouest augmente de façon vertigineuse. Il a presque quadruplé pour atteindre près de 38 millions de personnes.
Le continent est sorti considérablement affaibli économiquement de la crise sanitaire du Covid-19. Contrairement à l’Occident, les pays africains n’ont pas eu les possibilités budgétaires d’adopter des politiques de relance, ou même simplement de financer des mesures sociales permettant d’atténuer la crise.
En Afrique la part du budget des ménages pour les dépenses liées à l’alimentation est très élevée. Par exemple, au Nigeria, le pays le plus peuplé, elles représentent 59 % alors qu’en France la moyenne est de 13 %. Les augmentations des prix des denrées, surtout quand elles sont importantes, deviennent un obstacle à la possibilité de se nourrir correctement pour une grande partie des populations. Au Burkina Faso le sorgho a augmenté de 37 % et le mil de 50 %. Globalement les prix des denrées sont plus élevés qu’en 2008, année des émeutes de la faim dans une trentaine de pays. À cela il faut ajouter le prix du carburant qui a doublé sur le continent.
Baisse de la production
L’activité agricole est entravée par les multiples conflits armés qui sévissent dans la région, provoqués par les djihadistes et les milices communautaires. Le nombre de déplacéEs est estimé autour de 6,7 millions. Ce sont ainsi autant de bras qui manquent pour les travaux dans les champs. Au Sahel, les récoltes de céréales ont baissé de 12 % par rapport à 2021, pour certains pays les baisses sont encore plus importantes : – 15 % au Mali, – 18 % en Mauritanie et – 36 % au Niger.
Dans le même temps, les États sahéliens, confrontés au défi sécuritaire, donnent la priorité budgétaire aux armées. Ainsi en dix ans, les dépenses en sécurité ont augmenté de 339 % au Mali, 288 % au Niger et 238 % au Burkina Faso.
Quant aux organisations humanitaires, elles sont confrontées à une priorisation de l’aide des bailleurs en faveur des réfugiéEs ukrainiens et elles doivent faire face, elles aussi, aux augmentations des prix. La tonne de blé payé par le PAM (Programme alimentaire mondial) est passée de 290 $ à plus de 400 $ avec l’annonce de l’embargo de l’Inde.
Les problèmes rencontrés en Afrique de l’Ouest sont aussi présents dans la corne de l’Afrique. Des pays comme l’Éthiopie ou la Somalie rencontrent des difficultés pour nourrir leur population. Avec là aussi une forte inflation, le coût d’un panier alimentaire a augmenté de 36 % en Somalie et 66 % en Éthiopie.
Des choix politiques délétères
Cette situation n’est pas due à une quelconque fatalité mais principalement aux conséquences des politiques des dirigeants au niveau des pays riches, en refusant de prendre les mesures nécessaires contre le réchauffement climatique, en écrasant les pays africains sous la dette, en développant une politique de pillage des ressources naturelles et en favorisant les agrocarburants. Une première solution immédiate serait de « prendre dans les quantités de maïs produites pour les agrocarburants, 140 millions de tonnes aux États-Unis, soit la moitié, 85 millions de tonnes, et de les réorienter sur le marché de l’alimentation, pour couvrir les quantités manquantes et réduire la tension sur les prix des céréales » comme le souligne un chercheur du CIRAD, l’agence française d’agronomie pour le développement, cité par l’hebdomadaire le Point1.
Une mesure de bons sens qui sauverait des milliers de vie. L’adopter impliquerait un peu de courage politique pour aller à l’encontre du modèle productiviste de recherche du profit.
- 1. Sylvie Rantrua, « Crise alimentaire, inflation : le Sahel en état de siège », lepoint.fr, 6 mai 2022.