Publié le Vendredi 6 septembre 2013 à 18h49.

Égypte : après « l’union sacrée »

Le slogan « Le peuple et l'armée d'une seule main » dominait très largement sur la place Tahrir et dans toute l’Égypte lors de la mobilisation historique du 30 juin et les jours suivants la chute de Morsi.

Il avait pu donner l'impression d'un retour en arrière de plus de deux ans, lorsque l'armée avait été acclamée pour avoir lâché Moubarak lors de la révolution du 25 janvier 2011, dans le but de l'empêcher de s'approfondir... De fait, les premières semaines de l'après-Morsi ont été marquées par « l'union sacrée » autour de l'armée, lui permettant, avec le soutien de la quasi-totalité des forces politiques, de mettre en place des mesures d'exception au nom de la « lutte contre le terrorisme » — retour de l'état d'urgence, des tribunaux militaires, et mise en place d'un couvre-feu — et de mener une répression sanglante contre les Frères musulmans. En plus des massacres des 8 et 24 juillet, la vague de répression entamée le 14 août avec « l’évacuation » du sit-in de Rabaa a provoqué en cinq jours la mort de plus d'un millier de personnes. Soit plus que durant la révolution du 25 janvier, les partisans du président déchu se livrant de leur côté à des attaques meurtrières contre des coptes à travers tout le pays.

Flux et reflux

Depuis son retour sur le devant de la scène politique le 3 juillet, les mesures prises par l'armée sont indéniablement une avancée pour la contre-révolution, un de ses acteurs se substituant à un autre. Mais les grèves entamées à Suez le 23 juillet par 2000 ouvriers de l'acier et le 26 août par 10 000 ouvriers du textile dans la ville de Mahallah (où la grande grève de 2008 avait contribué à soulever la vague qui allait aboutir à la chute de Moubarak), montrent que lors des processus révolutionnaires, les flux et reflux ne sont jamais linéaires.
L'armée continue à bénéficier d'un large soutien, ayant opportunément pris appui sur le mouvement sans précédent du 30 juin et le sentiment anti-Frères, mais ces premières grèves d'importance depuis la chute de Morsi, qui s'inscrivent dans une vague de grèves sans précédent lors du premier semestre de l'année 2013, ont pointé la première des contradictions du « nouveau » régime en vigueur depuis le 3 juillet. Tout comme le gouvernement Morsi et bien évidemment le CSFA avant lui, celui-ci se montre incapable de s'attaquer à la question sociale autrement que par la répression, en envoyant immédiatement les chars déloger les grévistes à Suez et à Mahallah. Répression dans laquelle Kamal Abu Eita, ancien président de la fédération des syndicats indépendants et nouveau ministre du Travail, a joué le rôle de négociateur...

Premières fissures

Si ces deux mouvements ont été de courte durée, ils ont montré que l'adhésion encore très large au « nouveau » régime et à la figure d'Al-Sissi n'est pas une fatalité et que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la revendication centrale de justice sociale a encore la capacité de soulever la chape de plomb sous laquelle l'armée tente de l'étouffer.
D'autant que, politiquement, ces mouvements font écho aux premières fissures dans « l’union sacrée » mise en place il y a deux mois. La stratégie ultra-répressive de l'armée a ainsi trouvé ses limites lorsque le tout nouveau vice-président El-Baradeï, caution libérale du nouveau gouvernement, démissionna le 14 août au lendemain du massacre de Rabaa. Depuis, il a été accusé de « trahison », tout comme trois figures du mouvement du 6 avril (en pointe dans la révolution du 25 janvier), accusées d'avoir perçu de l'argent de l'étranger pour fomenter des troubles en Égypte... Une accusation typique des méthodes de l'ancien régime pour disqualifier toute voix discordante, sous prétexte d'unité nationale.
Gageons que sur les questions sociales comme sur les questions démocratiques, ces voix discordantes se feront de plus en plus nombreuses dans les semaines qui viennent.