Publié le Jeudi 1 octobre 2015 à 08h57.

Égypte : Des élections sur fond de reflux

L’Égypte a fait la une pour la "bavure" terrible de l'armée égyptienne dimanche 13 septembre : 12 touristes tués et 10 blessés pris pour des terroristes de Daesh qu'elle poursuivait dans le Désert libyque. Du coup, les derniers espoirs de voir le tourisme repartir s'envolent, ce qui ne va pas améliorer la situation économique.

L'Egypte vit sous perfusion : 30 milliards de dollars d'aide prodigués par les pays du Golfe depuis la chute de Morsi en juillet 2013. L'inflation annuelle est à 11 %, le taux de croissance attendu en 2015 est de 3,8 % après 4,7 % en 2014. On parle de plus en plus de la dévaluation de la livre égyptienne et les revenus attendus de la réserve gazière découverte récemment au large des côtes égyptiennes ne seront pas là avant au moins trois ans.

Pourtant un train de mesures prises par le gouvernement en faveur des couches les plus pauvres lui permet de faire passer la pilule. En particulier il a été mis en place une carte à puce qui permet d'obtenir des produits de première nécessité à prix subventionné (mais les subventions ont été baissées cet été) comme l'huile, la farine, l'huile, le riz et surtout le pain ce qui fait qu'il n'y a plus de queues devant les boulangeries et le marché noir sur ces produits est devenu quasi impossible.

 

Des "élites" corrompues 

En revanche la corruption des grands est toujours bien vivace. Le ministre de l'Agriculture du gouvernement Mahlab a été arrêté pour corruption le lendemain de sa démission forcée. Même si rien n'a été dit officiellement, il semble bien que le changement de gouvernement et de Premier ministre, remplacé par le ministre du Pétrole, intervenu peu après, samedi 12 septembre, à quelques semaines des législatives, soit dû au fait que plusieurs ministres étaient eux aussi impliqués dans des affaires de corruption. Il n'existe aucun mécanisme permettant de la combattre efficacement d'autant que l'administration de contrôle est dirigée par une personnalité nommée par le président et que ses membres sont tous d'anciens de la police ou de l'armée, deux secteurs bien impliqués dans les trafics en tous genres.

 

Manifestation de la Fonction publique

Samedi 12 septembre, c'était aussi le jour prévu de la manifestation des fonctionnaires, appelée par un front Tadamon (Solidarité) de 35 syndicats indépendants contre la loi de la Fonction publique qu'ils contestent depuis sa promulgation. Leur rassemblement prévu dans le parc de Fostât, complètement excentré, a tourné court (45 minutes de sit-in) parce que les forces de l'ordre ont usé de tous les moyens pour le saboter :les bus venant de province ont été stoppés aux portes du Caire ; toutes les rues alentour avaient été fermées et les manifestants contraints de marcher ont été forcés de faire des kilomètres pour entrer par la porte arrière du parc ce qui en a découragé un bon nombre. Le ministère de l'Intérieur a même eu recours à des voyous, soi-disant habitants du quartier, qui manifestaient contre les syndicalistes et chantaient des chants à la gloire de l'armée. Grand retour en arrière ! C'était digne des heures les plus noires de l'ère Moubarak.

 

Les législatives

Dans ce climat délétère, les élections législatives prévues du 18 octobre au 23 novembre ne passionnent pas les foules, d'autant que le système de scrutin est très compliqué. Pour 596 sièges, 448 soit 75 %sont réservés aux candidatures individuelles, 120 sièges soit 25 % pour le scrutin par liste, et 28 sièges soit 5 % pour des personnes désignées par le président. 5 420 candidatures ont été retenues pour les sièges individuels et 9 listes de parti ou coalition pour les sièges de listes.

L'émiettement des forces politiques est extrême, et il règne pour l'instant une certaine confusion concernant les listes qui seront effectivement en présence. Les deux principales devraient toutefois  être :

* Celle qui soutient le régime avec d'anciens du PND (le parti de Moubarak), mais pour éviter tout risque de concurrencer Sissi, les juges « indépendants » ont écarté la candidature d'Ahmed Chafik ancien Premier ministre de Moubarak et ancien candidat à la présidentielle.

* Celle des salafistes du parti El Nour qui, en l'absence totale des Frères musulmans éradiqués de la scène politique par les emprisonnements et les condamnations à mort, ont quelques chances d'obtenir un bon score pour les candidatures individuelles, d'autant que pour se dédouaner ils ont pris soin de faire figurer des femmes et des coptes parmi leurs candidats.

Ce type de scrutin et l'émiettement actuel de la gauche fera le jeu des felouls (vestiges) du régime Moubarak qui ont l'argent, les réseaux et les médias, ainsi que celui des islamistes.

 

On est bien dans une période de reflux. Symbole très fort, la place Tahrir a été « embellie » par un monument à la gloire de la police. Sur injonction gouvernementale l'Université Américaine du Caire détruit le mur de la rue Mohamed Mahmoud, haut lieu des manifestations anti SCAF (le Conseil Supérieur des Forces Armées qui a été aux manettes après la démission de Moubarak) et qui était couvert de graffitis à la gloire de la révolution de janvier 2011. Certes les mouvements sociaux ne vont pas cesser, les causes socio-économiques sont trop profondes, mais la répression impitoyable contre toute opposition et l'absence d'alternative à gauche rend peu probable un quelconque tournant politique à court ou moyen terme.

Hoda Ahmed - Alexandrie (Egypte)