Le deuxième tour de l’élection présidentielle a abouti à la victoire des Frères musulmans contre le candidat de l’armée qui incarnait la contre-révolution. Cela donne un délai aux révolutionnaires pour construire un mouvement de masse capable de satisfaire les revendications de la population.
Au terme d’un entre-deux tours tendu, qui a vu le Conseil suprême des forces armées (CSFA) procéder à ce qui a été qualifié de « coup d’État institutionnel », c’est finalement le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, qui a été déclaré vainqueur avec 51,8 % des voix.
Pour la première dans l’histoire de l’Égypte républicaine, la présidence sera donc assumée par un civil. La puissante confrérie remporte ainsi, un an et demi après la révolution du 25 janvier, une victoire historique face à l’armée. Mais quelle victoire ? Morsi devra assumer une présidence surveillée de près par le CSFA qui a pris soin, le jour même du scrutin, d’en réduire drastiquement les prérogatives, tout en s’arrogeant le pouvoir législatif. Plutôt que de forcer à tout prix la victoire de son candidat, Ahmed Shafiq, au risque de provoquer un nouveau soulèvement, l’armée a semble-t-il opté pour un compromis qui lui permet de garder la main tout en plaçant les FM en première ligne face aux aspirations de la population égyptienne. Mais ce compromis ne saurait être analysé que comme provisoire, la perspective d’un coup d’État militaire, épée de Damoclès au-dessus de la révolution, restant tout à fait plausible. La défaite de Shafiq, qui avait annoncé vouloir « remettre le pays en ordre en moins d’un mois », a été accueillie avec un immense soulagement dans les rangs des révolutionnaires. Sa victoire aurait signifié, en plus d’une démoralisation générale, une répression sans retenue face au soulèvement qu’elle n’aurait pas manqué de provoquer et à tous les mouvements qui continuent de porter le processus révolutionnaire. Les Frères musulmans face à leurs contradictions
Quelques jours avant l’annonce de leur victoire, les Frères musulmans avaient une nouvelle fois fait preuve de leur puissance, des centaines de milliers de leurs partisans occupant la place Tahrir pour protester contre la dissolution du Parlement, dans des scènes qui rappelaient les dix-huit jours qui avaient abouti à la chute de Moubarak. Cette organisation qui avait cherché tout au long de l’année 2011 à négocier avec le CSFA, et avait lors de la bataille de Mohamed Mahmoud en novembre/décembre accusé les révolutionnaires de gauche « d’anarchisme » et de « sabotage », s’est alors lancée dans sa course vers le pouvoir en tant que dépositaire de la Révolution. Et maintenant ? Pour avoir adopté une attitude ambiguë vis-à-vis de l’armée et pour n’avoir résolu aucun des problèmes de la société égyptienne après leur victoire aux législatives, paraissant se préoccuper uniquement de la conquête de tous les leviers du pouvoir, les FM ont obtenu cette victoire en perdant la moitié de leurs voix en six mois. Rien n’indique que Morsi, qui a d’ores et déjà donné des gages de stabilité à la classe dirigeante du pays, notamment en annonçant qu’il respecterait tous les accords internationaux, saura se sortir de la contradiction entre une base sociale très défavorisée, qui aspire à la justice sociale, et une direction qui représente elle-même une fraction de la classe dirigeante. Concernant les questions sociétales, Morsi a semble-t-il arbitré en faveur des « réformateurs » de la confrérie en annonçant ne pas vouloir accentuer les références à la charia dans la constitution égyptienne, et en annonçant qu’il garantirait les droits des femmes et de la minorité copte. En cherchant ainsi à rassurer une partie de la population égyptienne réticente à une islamisation croissante de la société, les FM pourraient rapidement être confrontés à la constitution d’un pôle salafiste en voie de radicalisation, dans un scénario à la tunisienne. Quelle alternative ?Autant de contradictions qui devraient voir les Frères musulmans continuer à perdre de leur influence. Mais pour le profit de qui ?
La victoire de Morsi est une victoire temporaire face à la contre-révolution brutale incarnée par Shafiq. Face à ces deux forces qui se disputent la tête de l’État, les révolutionnaires devront exploiter ce délai pour se constituer en alternative et pour continuer à construire un mouvement de masse seul à même de satisfaire les revendications issues de la révolution.