Publié le Dimanche 24 novembre 2013 à 18h25.

Égypte : quelle alternative ?

Le 4 novembre a eu lieu l’ouverture du procès intenté au président déchu et à 14 dirigeants des Frères musulmans pour « incitation au meurtre » de manifestants. Les Frères avaient annoncé une riposte de grande ampleur dans tout le pays. Il n’en a rien été.Cet échec résulte de la combinaison de plusieurs facteurs : une impopularité des Frères musulmans telle que certains sont agressés en pleine rue et une partie de leurs locaux détruits ; l’ampleur du dispositif policier mis en place ce jour-là ; la vague répressive la plus importante que les Frères aient subie depuis les années 1950 (1) (plus de 2 000 membres de la confrérie ont été arrêtés dont les trois principaux dirigeants). Il est cependant probable que tout cela ne suffira pas à détruire ce mouvement qui a su continuer à exister dans la clandestinité pendant des dizaines d’années. Et cela d’autant plus qu’une grande partie de leur puissance économique et de leurs activités caritatives sont organisées de façon à être difficiles à démanteler.

Sissi futur imperator ?L’homme fort du nouveau pouvoir surfe sur la vague de popularité acquise pour avoir débarqué les Frères. Ancien chef des services de renseignements sous Moubarak, Sissi jouit néanmoins du soutien d’une partie de ceux qui avaient joué un rôle décisif dans la chute du dictateur en 2011, puis dans les mobilisations de juin-juillet 2013. À commencer par Kamal Abou Aita, ancien président du premier syndicat indépendant puis de la centrale EFITU, devenu ministre du Travail. Hamdeen Sabahi, candidat nassérien qui avait fait presque jeu égal avec le candidat des Frères et celui des militaires aux élections présidentielles de juin 2012, a d’ores et déjà annoncé qu’il s’effacerait derrière Sissi  au cas où ce dernier se présentait aux prochaines présidentielles. Enfin, Sissi bénéficie du soutien d’une partie au moins des leaders de Tamarod.Contrairement a ce qui a pu avoir lieu dans le passé, une minorité des gauches s’affiche  courageusement comme étant « ni pour les Frères ni pour les militaires ». La montée en puissance d’une telle orientation dépendra de sa capacité à s’enraciner dans les deux composantes essentielles de la révolution égyptienne : la jeunesse et les salariéEs. C’est la jonction entre ces deux mouvements sociaux qui avait rendu possible la chute de Moubarak, et c’est donc sur eux que repose la poursuite du processus révolutionnaire.

Le rôle possible de la classe ouvrièreUne multitude de grèves ont eu lieu depuis une dizaine d’années. Mais la plupart d’entre elles se sont terminées par des défaites, avec le risque d’usure et de découragement que cela comporte.Une des raisons de cette situation est la grande difficulté du syndicalisme indépendant à se développer. Pendant plus de 50 ans, la centrale syndicale officielle a été avant tout un prolongement du pouvoir d’État au sein du monde du travail. Ce n’est qu’en 2008 que le premier syndicat indépendant a vu le jour. Deux centrales indépendantes ont été fondées dans la foulée de la révolution de 2011. Mais celles-ci demeurent extrêmement fragiles : la législation antérieure n’ayant pas été changée, les employeurs ont le plus souvent les mains libres pour licencier les militantEs cherchant à créer un syndicat indépendant.Même si la première centrale indépendante, l’EFITU, affiche en général un nombre d’adhérents de l’ordre de 2 millions, elle ne dispose en réalité que de moyens dérisoires : la plupart de ses membres ne payent en effet pas de cotisations car une cotisation continue le plus souvent à être prélevée automatiquement par l’employeur sur leur salaire au profit de l’ancienne centrale. Et c’est celle-ci qui continue à être chargée de dispenser les prestations sociales, comme par exemple l’assurance maladie ! (2)En devenant ministre du Travail, l’ancien président de l’EFITU, Kamal Abou Aita, s’est notamment fixé comme objectif de faire sortir du congélateur le projet de loi de mars de 2011 établissant enfin la liberté syndicale en Égypte. Reste à savoir si ses amis du gouvernement accéderont à cette demande. Le fait que dans le « comité des 50 » chargé de modifier la Constitution, les deux places destinées aux syndicalistes ait été offertes à des adversaires farouches du syndicalisme indépendant ne pousse guère à l’optimisme en ce domaine.

Dominique Lerouge1. Dossier paru dans Al-Ahram hebdomadaire du 2 octobre 20132. Voir la page Égypte du site www.solidaires.org et Al-Ahram du 7 août 2013