Publié le Mardi 28 juin 2011 à 20h41.

Élections thaïlandaises : un pari risqué pour la coalition au pouvoir

Dans moins d’une semaine, dimanche 3 juillet, les Thaïlandais iront voter pour renouveler les 500 députés qui composent le parlement. Ces élections interviennent un an après la répression du mouvement des Chemises rouges. Après plusieurs mois de mobilisation pour demander la démission du Premier ministre démocrate Abhisit Vejjajiva, l’armée –en particulier la garde de la Reine- a donné l’assaut contre le campement des manifestants rassemblés dans le quartier commercial et touristique de Rachaprasong. Entre le 10 avril et le 19 mai, date de l’assaut final, plus de 93 personnes ont trouvé la mort, la plupart des manifestants.

Abhisit est devenu Premier ministre en décembre 2008, à la suite d’un renversement d’alliances organisé par les militaires au sein du parlement. Son parti, le Parti démocrate, n’a pas remporté d’élections nationales depuis 1992. En organisant des élections début juillet, alors que la constitution lui permettait de poursuivre son mandat encore quelques mois, Abhisit cherche à obtenir par les urnes la légitimité qui lui est contestée.

Le pari est risqué et Abhisit a pris quelques précautions. Une réforme du système électoral a été engagée depuis quelques mois et sera effective dès les élections de juillet. Cette réforme modifie l’équilibre entre le nombre de parlementaires élus dans les circonscriptions et ceux élus sur les listes de partis au profit des seconds. Traditionnellement, à la suite d’élections le gouvernement était composé par le chef de file du parti ayant remporté le plus de voix. Avec la réforme, ce sera le parti ou la coalition qui obtient la majorité des voix au parlement. D’où l’intérêt pour le Parti démocrate de renforcer le nombre de parlementaires issus des listes de partis…

Depuis un an la répression s’est aussi accentuée. Le gouvernement s’est appuyé sur l’article 112 de la constitution, le crime de lèse majesté, qui criminalise tous discours ou actions jugés «contre la monarchie». C’est un instrument puissant pour organiser la censure et la répression et ainsi museler toute forme d’opposition. Il est difficile de connaître le nombre exact de personnes accusées de ce «crime» ou déjà condamnées mais il y aurait selon le site Political Prisoners in Thailand au moins 300 nouveaux cas depuis le coup d’État de 2006. Les pages internet, les blogs et les journaux censurés sur la toile se comptent par dizaines de milliers. Certaines chaînes de télévision et des radios communautaires jugées trop proches des Chemises rouges ont été fermées. La répression est telle que la Thaïlande a reculé cette année de la 59ième place à la 153ième dans le classement annuel de Reporter sans Frontière sur la liberté de la presse. La Thaïlande arrive ainsi derrière la République démocratique du Congo, la Russie et le Pakistan.

Derrière la façade démocratique des élections législatives, la Thaïlande reste dominée par la monarchie, les militaires, la haute bureaucratie et quelques grandes familles industrielles. Ces élites sont incapables de réforme et jusqu’à présent, elles se sont maintenues au pouvoir par des coups de forces militaires ou judiciaires et la répression lorsque le résultat des urnes ne leur convenait pas.

Pour autant, les élections sont loin d’être gagnées pour Abhisit. Depuis le début de la campagne tous les sondages donnent le Puea Thai, le parti d’opposition, vainqueur. A mesure que les élections se rapprochent, l’écart entre le Parti démocrate et le Puea Thai s’agrandit au profit du second. Selon les dernières projections, le Parti démocrate et son principal allié au gouvernement, le Bhum Jai Thai, n’auraient même pas la majorité des voix dans la prochaine assemblée.

Le Puea Thai, affaiblit par la condamnation depuis 2006 de nombre de ses dirigeants, a fait le pari de présenter Yingluck Shinawatra, une jeune femme d’affaire inexpérimentée en politique et sœur de Thaksin, l’ex-Premier ministre renversé par le coup d’État de 2006. Les affiches électorales ne laissent aucun doute sur le sens de cette candidature: «Thaksin pense, le parti agit». Comme le Parti démocrate, le Puea Thai est un parti capitaliste qui défend les intérêts de grands capitaines d’industrie. Cependant, le Puea Thai est l’héritier du Thai Rak Thai puis du People’s Power Party, deux partis élus démocratiquement et renversés par des coups d’État militaires et judiciaires. En l’absence d’un parti de gauche au service des travailleurs, des millions de sympathisants des Chemises rouges qui aspirent à la démocratie iront voter pour le Puea Thai pour manifester leur opposition à Abhisit et ce qu’il représente: la défense de l’oligarchie au pouvoir et la répression.

Une nouvelle intervention de l’armée n’est pas non plus à exclure en cas de revers électoral de la coalition au pouvoir. Ces derniers mois, le très belliciste commandant en chef des forces armées, Prayuth Chan-ocha, a organisé un remaniement de l’État major, nommant 157 colonels et lieutenants colonels partisans de la ligne dure contre les Chemises rouges aux commandes des garnisons du nord et du nord-est. Plus récemment, il est intervenu sur plusieurs chaînes de télévision contrôlées par l’armée pour exhorter les électeurs à voter pour «les bonnes personnes». Une chose est sûre, les élections ne permettront pas de surmonter la crise multiple –politique, institutionnelle et sociale-que surmonte la Thaïlande quelqu’en soit le résultat.

Danielle Sabai. Le 26 juin 2011.