Publié le Vendredi 22 décembre 2023 à 13h00.

En Grèce, une mesure de régularisation pour les immigréEs adoptée !

On le sait, le Premier ministre grec n’a jamais prétendu devoir être élu pour faire barrage à l’extrême-droite… Au contraire ! Dès 2019, il s’est entouré de cadres fraîchement issus de partis fascisants, jusqu’à nommer ministre le fils de l’idéologue nazi Plevris. Ces dernières années, le cours anti-immigréEs a pris à certains moments des accents d’appel au meurtre, comme lors de l’arrivée aux frontières de milliers de réfugiéEs repoussés de Turquie ou lors des incendies de l’été dernier, où l’immigré était montré du doigt comme possible incendiaire…

L’introduction dans une loi sur la protection sociale d’une mesure permettant de régulariser jusqu’à 300 000 immigréEs et votée le jour même où les députés français votaient de leur côté la honteuse loi de préférence nationale n’a pu que créer surprise et réactions, en particulier dans les rangs de la droite (ND : Nouvelle Démocratie). Cependant, la mesure adoptée est évidemment loin de signifier la libre entrée en Grèce, au contraire!

30 000 demandes de régularisation en cours

Ces dernières années, des dizaines de milliers d’immigréEs travaillent en Grèce dans les pires conditions des travailleurEs sans papiers, qu’il s’agisse de réfugiéEs ou d’immigréEs n’ayant pas pu obtenir leur titre de séjour ou son renouvellement. On estime par ailleurs qu’à ce jour, environ 30 000 demandes de régularisation sont en cours, avec des temps d’attente extrêmement longs. Le dispositif légal adopté inscrit sa réponse dans ce cadre, en fixant les conditions suivantes : un permis de séjour pourra être accordé à toutE travailleurE immigréE extra-communautaire en exercice – avec attestation d’emploi – à partir du moment où il a séjourné trois ans minimum en Grèce à la date du 30 novembre. La perte d’emploi entraînera la suppression de son titre de séjour. Le regroupement familial n’est pas autorisé, mais si la famille est déjà présente aux mêmes conditions, elle se verra accorder un titre de séjour valable tant qu’il y aura emploi du ou des parents. Cette régularisation s’accompagne des droits sociaux permettant par exemple une moindre difficulté dans l’accès aux soins. La mesure sera en vigueur pour un an et ne sera pas renouvelée.

Une amélioration évidente…

Par rapport à la situation générale des travailleurEs immigrés en Grèce, et quand on se rappelle certains épisodes comme le traitement en esclaves des ramasseurs de fraises, ces mesures constituent un progrès, et c’est la raison pour laquelle elle a été votée par toute la gauche parlementaire. C’est bien sûr pour la même raison que les trois groupuscules fascistes ont voté contre, avec des arguments, que n’auraient pas reniés un Bardella ou un Ciotti… au ras du caniveau. Et c’est aussi parce que Mitsotakis craignait que son groupe hyper-majoritaire se divise lors du vote que la consigne d’obligation du vote positif a été donnée.

En effet, l’extrême droite de la ND a condamné cette mesure (sauf le ministre du Travail) et a fait savoir qu’elle la votait par obligation, tout en parlant de grave erreur. Un seul membre de ND a eu le droit de voter contre : l’ancien Premier ministre ultra-nationaliste Samaras, qui tente de regrouper derrière lui tout le courant fascistoïde dans et hors la ND. En espérant mieux l’isoler, Mitsotakis lui a laissé réaliser ce « vote caprice » en expliquant qu’étant ancien Premier ministre, on pouvait lui accorder ce droit… ce dont Samaras compte bien profiter pour tenter de se remettre en selle.

Répondre aux besoins du patronat

Plus largement, la droite a fortement grogné contre cette mesure, et même la presse aux ordres a « enrobé » ses justifications d’un discours nauséabond, comme dans le journal Eléftheros Typos : « Les réserves de toute sorte sont respectables, surtout de la part d’habitants de quartiers où la peur de visages inconnus du voisinage est réelle. Pourtant […], plutôt que leur enrôlement dans les bandes du crime organisé ou dans les fractions radicales de l’Islam, il vaut mieux qu’ils (= les immigréEs) s’enregistrent à la Sécurité sociale et paient des impôts. » Ça grogne, ça répand le venin raciste, mais ça n’ose pas aller au-delà, car une raison supérieure a conduit à cette mesure, et le ministre de la Migration (!) l’indique clairement : la Grèce manque de bras dans toute une série de secteurs clé, comme le travail agricole, le bâtiment, le tourisme, et on estime qu’il y a ainsi 300 000 postes de travail vacants. Or, non seulement les jeunes Grecs ont été nombreux à quitter le pays des mémorandums, mais ces derniers temps, de nombreux travailleurEs immigrés sont partis de Grèce pour rejoindre des pays aux conditions moins insupportables : ainsi l’Espagne et l’Italie avec ses mesures de régularisation… prises par Meloni !

La pression patronale sur le gouvernement pour faciliter le séjour et l’emploi d’immigréEs est donc évidente : 63 % des entreprises ont du mal à trouver des travailleurEs bien formés dans des spécialités techniques (non universitaires). De son côté, le dirigeant de la Banque de Grèce juge indispensable l’incorporation d’immigréEs dans des secteurs clé où est très insuffisante la force de travail (Ef Syn, 20 décembre). Ainsi, comme le soulignait le KKE (PC grec) lors du débat parlementaire : « Ce n’est pas la commisération qui a poussé le gouvernement, ce qui l’a poussé, c’est la nécessité pour les grands groupes de la construction de trouver une force de travail qui ne lui coûte pas cher ».

Une mesure qui ne remet pas en cause la politique raciste du gouvernement

Effectivement, en scrutant les attendus de la mesure, on constate qu’elle est encadrée par des déclarations martiales sur le fait que la lutte contre l’entrée de réfugiéEs en Grèce non seulement n’est pas remise en cause, mais qu’elle reste une priorité pour ce gouvernement réactionnaire. Les actes de refoulement illégaux vont donc continuer… Pour mieux servir la soupe aux députés les plus racistes, la mesure adoptée est même présentée comme étant au service de cette politique de répression permanente : le ministre Kairidis explique que si unE travailleurE immigréE perd son travail et donc son permis de séjour, la police aura plus facilement toutes ses coordonnées pour l’arrêter et l’expulser…

Alors, même si la gauche pouvait difficilement ne pas voter cette mesure, on voit qu’elle est sans rapport avec de précédentes mesures de régularisation (1997, 2001, 2005) qui avaient permis à des centaines de milliers d’immigréEs d’obtenir des permis de séjour permanents. Et pour bien illustrer la poursuite de sa politique, le gouvernement est en train de priver de crédits le programme Hélios, dit d’intégration de réfugiéEs (qui avait commencé par l’expulsion de leurs logements de milliers de réfugiéEs), avec la menace pour 4 000 réfugiéEs de se retrouver à la rue et pour 500 travailleurEs d’être privés d’emploi.

A. Sartzekis, à Athènes, le 21 décembre 2023