Publié le Mardi 15 décembre 2020 à 13h47.

En Kanaky, un climat insurrectionnel

Depuis des semaines un conflit important se déroule, dont la presse ne parle pas ou si peu, cest peut-être trop loin, là-bas en Kanaky.

Sites miniers bloqués, barrages sur les routes et contre-barrages, affrontements en plein centre-ville de Nouméa, incendies, grève générale… Un climat insurrectionnel !

Marché juteux

Objet de cette bataille : la vente de l’usine de nickel au sud du territoire, détenu par la multinationale Valé (brésilienne) à un consortium, Prony Ressources, contrôlé en partie par le trader suisse Trafigura — tristement célèbre pour avoir déversé des déchets toxiques en Côte d’Ivoire, empoisonnant des dizaines de milliers de personnes.

Le complexe industriel se compose d'une mine à ciel ouvert, d'une usine de traitement du minerai par un procédé hydro-métallurgique, et d'un port dans la baie de Prony. Ce site industriel classé à haut risque, abrite aussi l’un des plus grands dispositifs de stockage d’acide au monde,

L'usine produit du nickel et du cobalt, nécessaires à la fabrication des batteries pour les voitures électriques, un marché juteux qui attire les prédateurs.

Le site concerne 3500 emplois dont 1350 directs, soit 5% de la population active.

Les indépendantistes unis rejettent catégoriquement cette transaction. Leur souhait : garder le contrôle majoritaire sur les ressources du pays, et ne plus laisser les multinationales décider à leur place.

Ils ont un projet : une proposition de rachat par la Société Sofinor - société de financement de la province nord (gérée par les indépendantistes), adossé à l’industriel Korea Zinc et avec un actionnariat public calédonien à 56 %. Une proposition qui a été purement et simplement écartée. Mercredi 9 décembre, la vente de l'usine Valé a été effectuée.

« Non au bradage de notre patrimoine »

L'usine serait donc reprise par Prony Resources, un consortium composé à 50% « d'intérêts calédoniens » (?) et à 25 % du négociant suisse Trafigura. Le reste revenant à des Fonds d’investissement, dont l'un au moins serait australien.

L’État qu’il n’a rien à voir dans cette transaction, qui concerne des intérêts privés, mais chacun sait que l’exploitation du nickel de Nouvelle-Calédonie a toujours bénéficié de soutiens financiers sous la forme de mesures de défiscalisation, d’avances, de prêts, et qu’il est de fait un partenaire incontournable.

Devant ce mépris, avec des décisions prises sans eux, concernant leur avenir, l’avenir de leurs enfants, les emplois, l’environnement, les indépendantistes voient rouge : l’USTKE (syndicat indépendantiste, majoritaire à l’usine du sud) a lancé la grève générale reconductible, tout en dénonçant le rôle essentiel de l’État français dans la transaction, et de s’interroger sur les raisons qui ont conduit à cette prise d’initiative.

Le FLNKS, l’instance coutumière autochtone de négociation (ICAN) , et le collectif Usine du Sud = usine pays ont appelé à la mobilisation générale.

Barrages sur les routes, blocages des usines et des sites miniers, manifestations se multiplient durant plusieurs jours, et les slogans fleurissent : « Trafigura dehors », « Récupération de nos ressources », « Non au bradage de notre patrimoine foncier ». Des affrontements entre militants indépendantistes et forces de l’ordre ont éclaté jusqu’au centre-ville de Nouméa.

Tirs à balles réelles

Des militants de la droite dure, chauffés à blanc et armés de fusils de chasse, ont érigé à leur tour des contre-barrages et se targuent de dégager les indépendantistes

Incursions dans l’usine, incendies de bâtiments administratifs et de véhicules, et c’est l’armée qui intervient, les gendarmes tirent à balles réelles pour stopper les véhicules qui tentaient l’intrusion. L’usine a été évacuée et mise à l’arrêt.

49 personnes ont été arrêtées, cinq personnes condamnées à des peines de prison ferme.

Devant l’engrenage, et la situation explosive, de nombreux appels au calme fusent de tous côtés et permettent un allègement de la mobilisation.

L’USTKE a levé la grève générale et appelle au maintien de la mobilisation en soutien au collectif Usine du Sud = usine pays. Un soutien qui passe avant tout par le dialogue autour des emplois et de la préservation de l’environnement. 

Le FLNKS semble accepter la main tendue du ministre des Outremers, tout en précisant « quil sagit seulement dune réorganisation, car le mouvement va sinscrire dans la durée ».

Sûr que ce conflit laissera des traces indélébiles dans une société encore plus fragmentée, et cristallise les inquiétudes à moins de deux ans de la prochaine consultation référendaire.