Il y a cent ans, une foule de blancs attaquait le quartier noir de Greenwood à Tulsa, Oklahoma. En deux jours, les assaillants ont tué des centaines de personnes, réduit en cendres les bâtiments et laissé 10 000 personnes sans abri.
Tout a commencé lorsque Dick Rowland, un jeune noir de 19 ans qui cirait des chaussures pour gagner sa vie, a été accusé d’avoir tenté de violer une opératrice d’ascenseur de 17 ans qu’il avait heurtée. Rowland a été emprisonné et le journal Tulsa Tribune a publié des articles sensationnalistes et agitatoires, qui ont encouragé des centaines d’hommes blancs à se rassembler devant la prison avec l’intention de lyncher le jeune homme noir. En réponse, quelque 75 hommes noirs armés se sont rendus devant la prison pour empêcher son lynchage. Après un premier coup de feu, une fusillade a éclaté faisant douze morts, dix blancs et deux noirs. Sur ce, l’émeute a éclaté.
Émeute blanche
Le shérif de Tulsa a donné des délégations à des centaines d’hommes blancs à qui on a dit de rentrer chez eux et de « prendre une arme, puis un nègre ». Une foule blanche d’un millier d’hommes a traversé le quartier noir, y compris la zone appelée Black Wall Street, considérée comme la communauté noire la plus riche d’Amérique, pillant des maisons puis les incendiant, tout en tirant et en tuant environ 300 résidents noirs. Lorsque les blancs se sont avérés incapables de maîtriser les noirs armés combattant en situation de légitime défense, des avions privés ont largué des bombes incendiaires sur le quartier et la Garde nationale a été appelée. Lorsque la fumée s’est dissipée, Greenwood, une zone qui couvrait 40 blocs, avait été complètement effacée. Quelque 1 000 noirs se sont installés dans des tentes à l’extérieur de leur ancien quartier et ont dû y vivre. Les compagnies d’assurance ont indemnisé les blancs, mais ont rejeté toutes les réclamations des noirs. Les tribunaux n’ont accusé aucun homme blanc, mais 57 noirs ont été inculpés pour avoir provoqué l’émeute.
Pourquoi cette émeute blanche et ce massacre ? L’accusation selon laquelle un homme noir avait regardé, touché ou s’était lié d’amitié avec une femme blanche était souvent un prétexte pour des lynchages ou des attaques de blancs contre les quartiers noirs. Mais la vraie raison du massacre de Tulsa et d’autres événements similaires était la visibilité croissante, l’amélioration de la situation et l’affirmation de soi des noirs en Amérique. Le boom économique qui a suivi la Première Guerre mondiale avait conduit de nombreux noirs à quitter les plantations du Sud et à gagner le Nord, lors de ce qui a été appelée de la Première Grande migration (1917-1930). La plupart ont obtenu des salaires plus élevés que dans le Sud et certains ont créé de petites entreprises. Les soldats noirs revenant de la guerre avaient appris à utiliser des armes à feu et étaient prêts à se défendre. Tulsa était par ailleurs un cas particulier car du pétrole avait été découvert dans l’État, en partie sous des terrains appartenant à des noirs, ce qui avait permis l’ascension d’un groupe de riches noirs, d’où le célèbre Black Wall Street de la ville.
Vers le mouvement des droits civiques
Les attaques contre Greenwood et d’autres quartiers et villes noires à travers les USA visaient à imposer la ségrégation et la privation du droit de vote à la Jim Crow dans le Nord et dans le Sud, à empêcher les Noirs d’accumuler des richesses et à semer la peur dans le cœur de la classe ouvrière noire.
Maintenir la classe ouvrière noire « à sa place » (tout en bas) nécessitait de la violence. Entre 1900 et 1917, 1 100 hommes noirs ont été lynchés. Tout aussi grave fut ce que les historiens afro-américains John Hope Franklin et Alfred A. Moss Jr. ont appelé une « pandémie d’émeutes raciales » qui a commencé en 1895 et s’est poursuivie tout au long des années 1920. Les émeutes raciales blanches ont non seulement conduit dans certains cas à l’autodéfense armée noire, mais ont également amené W. E. B. Du Bois et d’autres dirigeants noirs, avec des alliés blancs, à se réunir au Canada en 1905 pour fonder le Niagara Movement, qui deviendra plus tard la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), la première organisation nationale de défense des droits civiques du pays. Dirigée par des libéraux noirs et blancs aisés, la NAACP a utilisé les tribunaux pour tenter d’éviter les lynchages et les émeutes blanches, mais il faudra encore cinquante ans avant que le mouvement des droits civiques (qui connut son apogée entre 1954 et la fin des années 1960) et la désobéissance civile ne commencent à renverser la vapeur. Le racisme reste endémique en Amérique, et la lutte se poursuit aujourd’hui avec le mouvement Black Lives Matter, qui a fait descendre des millions de personnes dans la rue contre les violences policières.