Le passage du Franc CFA à la nouvelle monnaie, l’Éco, permet au gouvernement français de répondre aux critiques de plus en plus fortes tout en maintenant sa mainmise économique sur son pré carré africain.
Pendant des décennies, les gouvernements français nous ont rabâché que c’était aux États africains de décider du sort de leur monnaie le Franc CFA et voilà que, tout à coup, Emmanuel Macron annonce, lors de son voyage en Côte d’Ivoire, le changement monétaire du Bénin, du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée-Bissau, du Mali, du Niger, du Sénégal et du Togo sous le prétexte de mettre fin à… la Françafrique, et de déclarer « C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques et de nombreux débats sur la France en Afrique. J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres. »1
Il est vrai que, depuis plusieurs années, de nombreux mouvements ne cessent de se développer contre le Franc CFA, une de ces nombreuses survivances coloniales dont la France a le secret. Ces mobilisations font écho aux protestations contre les opérations militaires françaises de Barkhane dans la bande sahélo-saharienne et plus récemment dans le centre du Mali. Ces luttes contre le néocolonialisme français ont un effet déstabilisateur aussi sur la plupart des potentats africains qui doivent leur pouvoir aux mascarades électorales conjuguées à la répression des populations et au soutien sans faille de la France. Alassane Ouattara, l’hôte ivoirien de Macron, en est un excellent exemple : mis au pouvoir par l’armée française contre Gbagbo, cet ancien du FMI, zélateur d’une politique d’austérité, s’apprête à briguer un troisième mandat.
L’Éco remplace le Franc CFA
Le système du Franc CFA reposait sur trois piliers : d’abord, l’obligation pour les pays de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) de déposer la moitié de leur réserve de change au Trésor public français, ensuite la présence des représentants de Bercy dans les instances de décision de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui fonctionnait au consensus – donnant de fait un droit de veto à la France – et enfin une parité fixe du franc CFA à l’Euro.
En d’autres termes, c’est la France qui gérait la monnaie des pays de l’UMOA. Un déni de souveraineté pour ces pays, ressenti à juste titre par les peuples comme une humiliation. Même si l’économie ne dépend pas de la politique monétaire, cette dernière l’accompagne et peut parfois s’avérer décisive. Ce fut le cas lors de la crise politique qu’a connue la Côte d’Ivoire en 2010, quand la France a procédé à l’asphyxie financière de Gbagbo en pleine confrontation avec Ouattara.
Avec la nouvelle monnaie, l’Éco, deux des trois piliers disparaissent, le dépôt de réserve de devises et la présence de Bercy dans la BCEAO. En revanche l’Éco reste toujours à parité fixe avec l’Euro et la garantie de convertibilité sera toujours garantie par la Banque de France. La mainmise de Bercy perdure même si elle doit se faire plus discrète. Face à un risque de voir émerger une monnaie unique de l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest avec des poids lourds économiques comme le Ghana et surtout le Nigeria, les dirigeants français tentent d’allumer un contre-feu. Cela permet à l’impérialisme français de garder un avantage important pour favoriser ses entreprises sur un continent objet de convoitises de bien d’autres économies dominantes.
Ce n’est pas la première fois que le franc CFA a subi des réformes et des changements de nom, de Franc des Colonies françaises d’Afrique, il est passé au Franc de l’Afrique occidentale française pour s’appeler enfin Franc de la Communauté financière en Afrique, nom plus acceptable mais dont les finalités de contrôle restaient identiques. Ainsi en 1994 le gouvernement de Balladur décidait unilatéralement de dévaluer le Franc CFA qui perdit la moitié de sa valeur, entrainant une augmentation des prix par deux frappant durement les populations les plus pauvres.
Céder un peu, pour garder l’essentiel, telle est la devise de la politique de la France en Afrique. La gestion du franc CFA, et maintenant de l’Éco, n’échappe pas à la règle.
Paul Martial
- 1. Cyril Bensimon, « La fin du franc CFA annoncée par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara », lemonde.fr, 21 décembre 2019.